Pour Oxfam International (OI), le fait que les impacts du changement climatique sur l’agriculture soient maintenant reconnus par une majorité de nos dirigeants, offre toute une série de nouvelles opportunités pour promouvoir des modèles d’agriculture équitable et durable, tels que l’agroécologie. Mais le cas de l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat (Global Alliance for Climate Smart Agriculture – GACSA), gangrénée par des acteurs influents du secteur des OGM et des engrais azotés[1. Voir Oxfam-Magasins du Monde, Analyse « L’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat : Un terreau fertile pour le secteur des engrais azotés.», Sébastien Maes (2015).], montre que rien n’est acquis en ce sens. De fait, cette prise de conscience du lien dynamique entre réchauffement climatique et agriculture peut également être récupérée par des sociétés privées, en vue de défendre leurs intérêts financiers, à travers de fausses solutions qui déboucheront sur un statu quo : le développement d’une agriculture industrielle non durable.
En ce sens, OI souligne les risques émanant de la composition de la GACSA et critique également les faiblesses du concept d’Agriculture intelligente face au climat (CSA), pour son manque de clarté et l’absence de critères de protection sociale et environnementale [2. Oxfam-Magasins du Monde, Analyse « L’Agriculture intelligente face au climat » : un concept qui pose question. , Sébastien Maes (2015).].
Néanmoins, selon Gina E. Castillo – chargée de programme Agriculture chez Oxfam America –, si la CSA abordait les réalités agricoles des pays d’une manière inclusive, alignée sur les processus politiques et les institutions, elle pourrait alors offrir des avantages tangibles aux agriculteurs. C’est dans cette optique et en dépit de sa critique de la GACSA, qu’Oxfam International a fait le choix stratégique de rejoindre l’Alliance africaine d’agriculture intelligente face au climat (Africa CSA Alliance).
L’Africa CSA Alliance une alternative stratégique à la GACSA
Au vu du manque de coordination entre une multitude de projets « pilotes » d’agriculture intelligente face au climat menés en Afrique par différents gouvernements et ONG, il s’est avéré nécessaire de créer une alliance pour harmoniser et optimiser les initiatives de soutien aux agriculteurs et agricultrices de petites exploitations de la région, face aux changements climatiques. L’Africa CSA Alliance a donc été créée pour coordonner aux niveaux local, national et régional, les politiques, techniques et financements qui peuvent conduire à l’adoption généralisée de pratiques de CSA dans toute l’Afrique sub-saharienne. L’ambition de l’Africa CSA Alliance est que dans cette région du monde, à l’horizon 2021, 6 millions d’agricultrices et agriculteurs de petites exploitations aient adoptés des pratiques de CSA[3. Africa CSA website – http://africacsa.org/#what-is-it.].
Cette alliance a été convoquée par l’Union africaine pour participer au Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), un programme qui fait partie intégrante du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) qui est à la fois une vision et un cadre stratégique pour l’Afrique au XXIe siècle. Le programme PDDAA, qui coordonne l’Africa CSA Alliance, constitue le cadre de la politique africaine pour la transformation agricole, la création de richesse, la sécurité alimentaire et la nutrition, la croissance économique et la prospérité pour toutes et tous[4. PDDAA website – http://caadp.net/about-us.]. C’est la première fois que ce programme donne un rôle concret aux ONG internationales, qui sont bien placées pour promouvoir la CSA en raison de leur implication dans les communautés au niveau local.
Si, à priori, on peut se féliciter de l’importance donnée aux ONG internationales, mais également à certaines organisations de la société civile, dans le cadre d’un tel programme, il importe de rester prudent à différents égards :
- Tout d’abord, comme le démontre le cas de l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat (GACSA), certaines ONG collaborent directement avec les producteurs d’engrais azotés dans l’application de leurs programmes et risquent donc d’être influencées par ceux-ci, notamment dans leur définition de ce que sont des pratiques agricoles intelligentes face au climat.
- Ensuite, outre le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), le NEPAD coordonne différents initiatives dont un programme d’appui aux engrais. Celui-ci compte « peser sur les politiques et les marchés aux plans national et régional afin d’encourager le développement d’un marché durable des engrais en Afrique. Il entend également améliorer l’accès aux engrais et offrir des incitations aux agriculteurs pour une plus large utilisation des engrais »[5. NEPAD – Programme d’Appui aux Engrais http://www.nepad.org/fr/foodsecurity/programme-dappui-aux-engrais.]. Dans sa volonté de garantir la sécurité alimentaire au plus grand nombre, via un accroissement du volume et de la qualité des produits vivriers du continent africain, l’Union Africaine donne donc également une place importante aux producteurs d’engrais. Les différents programmes menés dans le cadre du NEPAD n’étant pas hermétiques les uns par rapport aux autres, les producteurs d’engrais risquent d’être tentés d’influencer le PDDA.
- Enfin, il ne faudrait pas que les ONG internationales soient instrumentalisées pour véhiculer des pratiques dites intelligentes face au climat, qui ne feraient en fait que perpétuer le développement d’une agriculture industrielle non durable.
Tenant compte de ces risques, Oxfam International a décidé de s’impliquer dans l’Africa CSA Alliance car l’alliance entend être en partenariat directe avec les gouvernements africains et d’autres parties prenantes, y compris les petits agriculteurs et agricultrices. En étant actif au sein de l’Africa CSA Alliance, qui s’avère plus ouverte que la GACSA, OI souhaite profiter de la souplesse du concept de CSA pour influencer la définition de ce qu’on entend par Agriculture intelligente face au climat. Il s’agit donc, pour OI, d’une opportunité d’inscrire sa vision de l’agriculture intelligente dans le cadre de la politique africaine pour la transformation agricole et d’autre part, de bénéficiers des financements disponibles et affectés aux projets de l’Africa CSA Alliance pour soutenir des projets de développement de pratiques agricoles écologiquement et socialement responsables.
OI en campagne pour une agriculture paysanne durable
La stratégie d’OI ne se cantonne évidement pas à son implication dans l’Africa CSA Alliance. Dans le cadre de sa campagne CULTIVONS, lancée en 2011, OI a notamment accentué la pression sur les gouvernements pour qu’ils luttent activement contre le changement climatique. Cela a abouti à l’engagement de consacrer 50 % du Fonds vert pour le climat[6. Le Fonds vert pour le climat est un mécanisme financier de l’ONU, rattaché à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il a pour objectif de réaliser le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables afin de mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques.] à aider les populations à s’adapter aux dérèglements climatiques, avec une attention particulière pour l’égalité entre les sexes[7. OI Blog GROW, «La campagne CULTIVONS : quatre ans et ça continue ! », Rashmi Mistry (01.07.2015) : https://blogs.oxfam.org/fr/blogs/15-07-01-la-campagne-cultivons-quatre-ans-et-ca-continue ].
Une nouvelle phase de la campagne CULTIVONS se prépare, en vue de perpétuer le travail de dénonciation des injustices d’un système qui laisse encore près de 800 millions de personnes souffrir de la faim. À travers cette campagne, OI souhaite poursuivre, avec ses partenaires du Sud et du Nord, la lutte contre la faim, le changement climatique et la puissante industrie des énergies fossiles polluantes. Sur le continent africain et dans les pays en développement, les membres d’OI mèneront campagne aux côtés des femmes et des hommes qui produisent notre nourriture afin de réclamer l’appui nécessaire pour lutter contre les changements climatiques. Partout dans le monde, OI prévoit de continuer à demander des comptes aux géants du secteur agroalimentaire sur leur responsabilité dans la débâcle climatique.
L’analyse de la stratégie d’OI montre qu’en vue d’atteindre son objectif d’une agriculture paysanne durable qui garantisse la souveraineté alimentaire[8. Par Souveraineté Alimentaire nous entendons : « Le droit des peuples et des États à déterminer eux-mêmes leurs politiques alimentaires et agricoles, sans porter atteinte à autrui. Ce droit inclut : le droit à une alimentation de qualité, culturellement appropriée ; le droit à des revenus décents où les prix agricoles couvrent les coûts de production et permettent de vivre dignement d’une activité agricole ; le droit à l’accès et à une répartition équitable des moyens de production ; le droit de protéger et de réglementer la production et le commerce agricole afin qu’ils répondent aux attentes de la société et qu’ils respectent l’environnement ».] au niveau mondial, l’ONG adopte à la fois une posture de concertation et une posture d’opposition face aux acteurs internationaux de l’agroalimentaire. Ce qui pourrait être interprété comme étant une pratique schizophrénique est en fait l’addition de postures complémentaires qui s’articulent entre elles et avec le travail d’autres acteurs de la société civile afin d’assurer la transition du système agroalimentaire vers des systèmes alimentaires alternatifs.
Sébastien Maes