Cette dimension accompagne le commerce équitable depuis que des organisations l’ont imaginé pour valoriser les savoir-faire de groupes marginalisés économiquement, socialement et souvent culturellement. Lors d’un séminaire [[highslide](1;1;;;)Séminaire « Le commerce équitable pour quels changements ? », novembre 2009. [/highslide]] organisé par Oxfam-Magasins du monde et réunissant plusieurs organisations de commerce équitable du Nord et du Sud, la question de l’identité culturelle est clairement apparue comme une priorité pour plusieurs organisations partenaires d’Oxfam-Magasins du monde actives dans l’artisanat.
Globalisation, accélération des échanges, standardisation croissante de la production… Face à ces nouvelles réalités, les artisans du Sud sont en butte à de nouveaux défis. Menacés par l’émergence de produits imitant leur travail, les artisans poursuivent désormais deux objectifs : préserver l’identité culturelle attachée à leurs pratiques artisanales et parvenir à vendre leurs produits dans des conditions leur permettant de travailler et vivre décemment. Concrètement, cette nouvelle donne implique de trouver un équilibre entre, d’une part, l’utilisation de techniques propres à une zone géographique ou à un groupe social ou ethnique et, d’autre part, l’adaptation de la production artisanale à la demande de consommateurs majoritairement localisés dans les pays du Nord.
[highslide](Kenya : agir en justice pour proteger le kikoi;Kenya : agir en justice pour proteger le kikoi;;;)
COFTA [Coopération pour le commerce équitable en Afrique] est une plateforme qui regroupe des dizaines d’organisations de commerce équitable dans toute l’Afrique. L’action de COFTA dans « l’affaire du kikoi » révèle une autre facette des relations entre identité culturelle et l’artisanat. Le kikoi est un type de tissu réalisé par des tisserands vivant sur les côtes est-africaines. En 2007, ces tisserands se sont sentis menacés par la tentative d’une société privée britannique de faire enregistrer le terme « kikoi » comme une marque légalement protégée, ce qui lui aurait permis de détenir un monopole sur l’usage du terme « kikoi » au Royaume-Uni. Les conséquences auraient d’abord été économiques, dans la mesure où les exportations auraient été menacées. Mais, au-delà de l’aspect commercial, l’appropriation d’un mot en langue Kiswahili par une société britannique et les limitations d’utilisation d’un terme originaire de leur pays imposées de la sorte aux Kényans est symboliquement et culturellement traumatisante. Soyons clairs : cette affaire avait des relents néo-colonialistes. Heureusement, l’action juridique et de plaidoyer conjointe de COFTA au Kenya et de l’organisation de commerce équitable Traidcraft au Royaume-Uni a fait reculer la firme britannique, qui a renoncé à faire enregistrer une marque « kikoi ». Mais de nombreuses affaires similaires n’ont pas connu la même conclusion.
Source : www. traidcraft.co.uk
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Ce phénomène est toutefois moins nouveau qu’on pourrait le penser : l’artisanat a toujours évolué, notamment au gré des modes, des échanges et des opportunités économiques. De même, les identités ne sont jamais statiques et dépendent d’une multitude de facteurs.
C’est pourquoi, en abordant ces questions, il est indispensable d’éviter de tomber dans une forme d’essentialisme qui aurait pour effet de figer dans le temps et dans l’espace des techniques, des identités et des pratiques culturelles qui sont par définition en mutation permanente. Cependant, comme les pratiques artisanales, les identités sont ancrées dans un passé et des traditions. Elles ont une origine. Elles viennent de « quelque part ». Elles constituent une forme d’héritage collectif que des pratiques commerciales équitables peuvent contribuer à faire (re)vivre en leur donnant une juste valeur, tant aux yeux des consommateurs que des producteurs.
De multiples expressions en évolution permanente
L’identité culturelle ? Pour faire simple, on pourrait dire que c’est tout ce qui appartient à une société ou à un groupe d’individus et les différencie des autres : la langue, la musique, les lettres, les arts, les techniques, les modes de vie, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances, … C’est également tout ce qui le relie à une histoire et à une collectivité, dans le temps et dans l’espace.
Mais, comme nous l’avons déjà précisé, la culture n’est pas un état figé. Dans l’artisanat, l’évolution des styles, des motifs et la recherche de nouveaux designs ne datent pas d’hier. Les échanges commerciaux et culturels divers ont toujours poussé les artisans à adapter leur production à de nouveaux marchés. Nourrie par ces échanges, leur production s’est alors portée vers de nouveaux designs.
Les risques de l’industrialisation et de la globalisation
Avec l’industrialisation, de nouveaux matériaux (plastique, alliages de métaux, fibres synthétiques, etc.) et des techniques industrielles ont largement supplanté les matières premières naturelles et les savoir faire ancestraux. Ils ont permis, certes, de produire des objets utilitaires à bas prix et en grande quantité (vaisselle, vêtements,…) mais ils ont également contribué à la disparition progressive des productions artisanales.
Aujourd’hui, les produits industriels inondent les marchés locaux du monde entier. Conséquences : ils se substituent progressivement aux produits locaux traditionnels et font perdre aux artisans des opportunités de trouver des débouchés à leur artisanat.
Les contrefaçons industrielles, accessibles à bas prix, constituent une menace sérieuse pour l’artisanat de qualité. La production industrielle entraîne un appauvrissement en termes de diversité culturelle. Elle fournit en effet des produits standardisés, disponibles partout. Et si la globalisation des échanges et moyens de communication peut être vue comme un vecteur favorisant la connaissance d’autres cultures, elle accélère également l’uniformisation de la production et des modes de consommation.
En achetant des produits industriels, les consommateurs participent à la dépréciation d’un savoir-faire artisanal de qualité et porteur de sens, qui ne trouve plus de débouché et est donc menacé de disparaître. Mais il serait inutile de culpabiliser les consommateurs. Leur participation à cette évolution préoccupante est d’ailleurs très rarement volontaire. C’est pourquoi un travail d’information sur l’artisanat et ses enjeux est nécessaire, afin que les consommateurs puissent poser des choix en connaissance de cause.
Le commerce équitable : un moyen de valoriser les identités culturelles
Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes vivant dans les pays du Sud dépendent de leur savoir-faire artisanal, souvent appris dans le cadre familial, pour subvenir à leurs besoins. En valorisant économiquement les productions et les techniques locales, les organisations de commerce équitable soutiennent la création d’emplois durables et contribuent à sauvegarder des identités culturelles.
Quand elles sont économiquement rentables, les activités artisanales basées sur des techniques traditionnelles permettent à des populations marginalisées de reconquérir une dignité en tant qu’individus et en tant que groupes. Le fait de pouvoir vendre à un prix juste le fruit de leur travail – voire de l’exporter vers d’autres continents – est une source légitime de fierté pour les artisans. Au-delà de la dimension commerciale, la capacité de produire des objets de qualité reconnus comme tels donne du sens à l’activité des artisans. Comme l’exprime très bien Olivier Gosselain, du Centre d’anthropologie culturelle de l’Université Libre de Bruxelles, « faire, c’est être et être, c’est faire »[[highslide](2;2;;;)L’interview d’Olivier Gosselain pour l’édition hiver 2010 du magazine Déclics est disponible sur declics.omdm.be[/highslide]]. Autrement dit, dans la mesure où les activités des artisans jouent un rôle décisif dans la constitution de leur identité, la valorisation commerciale des produits issus de ces activités a un impact direct sur l’estime que les artisans ont d’eux-mêmes et de leur groupe.
[highslide](Vietnam : la rencontre entre le musee et les artisans;Vietnam : la rencontre entre le musee et les artisans;;;)
Au Vietnam, l’organisation partenaire d’Oxfam-Magasins du monde Craft Link est impliquée dans le projet « Artistes en Développement » de l’UNESCO. Le projet est mené en collaboration avec le Musée d’Ethnographie du Vietnam et a pour objectif de renforcer les liens entre les activités commerciales et les activités de formation de Craft Link.
Concrètement, Craft Link a pu renforcer le programme de formation des artisans. Comme beaucoup d’organisations de commerce équitable actives dans l’artisanat, Craft Link vise à permettre aux artisans de vivre dignement grâce à leur savoir-faire. L’UNESCO considère d’ailleurs le commerce équitable comme un moyen « d’améliorer les conditions socioéconomiques tout en resserrant les liens innovants entre cultures, traditions et modernité » (Rapport UNESCO Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, 201 0).
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Le design, une trahison ?
Il est de plus en plus courant de voir intervenir des designers, généralement issus de pays du Nord, dans la conception des produits de commerce équitable qui sortent des ateliers des artisans du Sud. A première vue, cette démarche pourrait apparaître comme une trahison, voire comme une sorte d’impérialisme culturel imposant les « goûts du Nord » aux populations du Sud.
Bien qu’elle soit en général basée sur des intentions légitimes, une telle supposition fait abstraction du point de vue des organisations de producteurs. Celles-ci sont pratiquement toutes désireuses de recevoir des informations sur les marchés vers lesquels elles exportent leurs produits, de manière à ce que ces produits satisfassent au mieux la demande des consommateurs. Le maintien de relations permettant une transmission efficace d’informations sur les attentes des consommateurs et la transposition pratique de ces informations dans la phase de la production sont d’ailleurs des défis majeurs pour les organisations de commerce équitable. Ce point nous permet de rappeler que la vente de produits fait partie des objectifs prioritaires des organisations de commerce équitable du Nord et du Sud. Si, une fois qu’il est en magasin, un produit ne se vend pas, l’organisation du Nord qui en a acheté un certain nombre d’exemplaires perd de l’argent, parfois au point de mettre son développement – voire son existence – en péril. Quant à l’organisation du Sud, il y a peu de chances pour qu’on lui commande à nouveau le même produit. Or, pour continuer à soutenir les artisans membres, voire pour accroître le champ de ses activités, cette organisation a tout intérêt à vendre des quantités suffisantes de produits.
Par ailleurs, il importe d’être conscient du fait que les changements qu’implique le travail sur le design ne sont pas nécessairement radicaux. Ainsi, l’objectif ne sera jamais de transformer des potiers en tisserands, mais de voir de quelle manière des artisans maîtrisant déjà des techniques données peuvent en profiter pour réaliser un produit ayant de bonnes chances de se vendre. L’exemple de la gamme Ajpu, cité ailleurs dans ce cahier thématique, illustre cette approche. Dans ce cas, des tisserandes et des couturières ont utilisé leur savoirfaire pour produire des objets à usage moderne. Ce faisant, les tisserandes n’ont pas trahi leur identité d’artisanes. Elles ont au contraire valorisé un savoir-faire ancien en produisant des objets de qualité ayant une utilité quotidienne, comme un étui pour appareil photographique.
Pour conclure : un impact au-delà de la sphère commerciale
Face aux nombreux défis que pose la globalisation, le commerce équitable permet aux artisans du Sud de transmettre des traditions artisanales et un patrimoine culturel tout en améliorant leurs conditions de vie. Ce faisant, il contribue à améliorer l’image que les populations marginalisées ont d’elles-mêmes. Dans le cadre de leur inscription dans le commerce équitable, celles-ci s’organisent démocratiquement, deviennent plus autonomes, plus fortes et plus fières de leur travail et de leur culture.
Pour Oxfam-Magasins du monde, établir des relations de commerce équitable avec des organisations du Sud est une manière d’offrir à ces populations un tremplin commercial, une visibilité et la possibilité de faire vivre leurs pratiques culturelles, de manière à ce qu’elles restent vivantes et qu’elles évoluent sans complexe dans un contexte de plus en plus globalisé.
François Graas, Service politique
Véronique Porot, Service Mobilisation
[highslide](Construire des ponts entre universitaires britanniques et potiers indiens;Construire des ponts entre universitaires britanniques et potiers indiens;;;)
L’organisation britannique de commerce équitable Traidcraft est à l’origine d’une collaboration entre l’université de Sunderland et Sri Sivam, une organisation du Sud de l’Inde active dans la production de poterie. L’objectif est de permettre des échanges entre les deux structures, de manière à ce que chacun profite de l’expertise de l’autre. D’un côté, les potiers pourraient plus facilement développer de nouveaux designs et ainsi faciliter la vente de leurs produits sur le marché britannique. De l’autre, les enseignants et les étudiants en céramique de l’université de Sunderland auraient l’opportunité de connaître directement les techniques mises en oeuvre par les experts que sont les céramistes de Sri Sivam, à une échelle bien plus grande que ce qu’ils peuvent observer dans leur propre pays.
Source : www. traidcraft.co.uk
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