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Pour Oxfam-Magasins du monde, il importe que le marché international – équitable ou non – ne soit pas le seul créneau de distribution de nos partenaires producteurs et qu’ils développent une activité économique sur leur territoire. La pérennité de leur organisation en dépend. Par ailleurs, notre organisation est bien consciente des enjeux globaux et du fait que les ressources en pétrole « pas cher » commencent à se tarir. Il sera dès lors de plus en plus couteux d’importer des produits venus de loin – même par bateau – ce qui aura une incidence à la hausse sur le prix d’achat des produits équitables.
Ces constats poussent notre organisation à repenser l’avenir de ses activités et de ses actions, toujours dans une optique résolument orientée sur le commerce équitable du Sud et du Nord. Il s’agira notamment de continuer à favoriser les collaborations au niveau local, le commerce équitable nord et les liens avec les autres systèmes alimentaires alternatifs. Mais une autre piste d’action pourrait également s’orienter vers la mise en place d’actions avec les organisations de partenaires producteurs d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie, pour aussi favoriser le développement de marchés locaux et la sensibilisation de leurs consommateurs et consommatrices.
En partant de ces observations nous développerons brièvement le concept de Système Alimentaire Territorialisé, avant de nous pencher sur un programme qui sensibilise la population palestinienne à l’importance de consommer des produits locaux pour contribuer au développement économique et social d’une société en crise depuis plus de 60 ans.
Système Alimentaire Territorialisé – SAT
Dans cette volonté de repenser nos systèmes alimentaires, de plus en plus de personnes actives dans la communauté scientifique, les ONG et les organisations internationales prônent le développement de filières locales et croisent les concepts de territoire et de filière agroalimentaire pour aboutir à celui de « système alimentaire territorialisé » (SAT), défini comme un « ensemble cohérent de filières agroalimentaires localisées dans un espace géographique de dimension régionale ». Les objectifs des SAT sont de :
- Valoriser les produits dans des filières de proximité ;
- Privilégier une agriculture familiale et des réseaux de PME et TPE [1. En France, sont considérées comme « Petites et Moyennes Entreprises » (PME) l’ensemble des sociétés qui comptent moins de 250 salariés et présentent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou un bilan annuel situé en dessous de 43 millions d’euros. De leur côté, les « Très Petites Entreprises » (TPE) comptent moins de 10 salariés pour un chiffre d’affaires annuel et un bilan qui ne dépassent pas les 2 millions d’euros.]agroalimentaires, des circuits alternatifs de commercialisation et mieux partager la valeur créée ;
- Inventer de nouveaux modèles de production respectueux de la santé des consommateurs·trices et intégrant une bonne gestion des ressources naturelles tout en limitant l’impact sur l’environnement ;
- Réduire les pertes et gaspillages tout au long de la chaine alimentaire.
La Campagne « Buy local » en Palestine
Ce type d’approche prend encore davantage de sens dans une région du monde telle que la Palestine où l’agriculture est l’un des secteurs d’activité prioritaires, et où les terres agricoles représentent 42 % des territoires, dont 85 % sont cultivés. Un pays, aussi et surtout, où l’occupation a fortement contribué à la chute de la part de contribution de l’agriculture au PIB, passant de 49% en 1967 à moins de 3,5 en 2017.
Les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire jouent un rôle crucial dans la création d’emplois et la lutte contre la pauvreté. La mise en place d’un système alimentaire territorialisé est donc primordiale en Palestine. Et ce d’autant plus que, aussi étonnant que cela puisse paraitre, les choix de consommation des Palestinien.ne.s se portent davantage vers des produits israéliens – perçus, à tort, comme étant de meilleure qualité – que vers des produits locaux palestiniens méconnus.
La répartition des produits agricoles palestiniens :
- 64% d’arbres fruitiers (olives, mais aussi dattes, raisins, agrumes, bananes)
- 24% de céréales
- 12% de légumes
Les Palestinien.ne.s pratiquent aussi le petit élevage (volailles, chèvres, bœufs).
Près de la moitié des terres cultivées en Palestine sont consacrées à la production d’olives.
L’industrie de l’huile d’olive représente le quart du produit brut de l’agriculture palestinienne et fait vivre 100 000 familles.
Concrètement, pour le Palestine Trade Center[2. Le Palestine Trade Center (PalTrade)est une organisation à but non lucratif basée sur l’adhésion, dont le mandat national est de diriger le développement des exportations en tant que force motrice d’une croissance économique durable.] (PalTrade), une campagne valorisant les achats locaux devait être conçue et mise en œuvre en Palestine, car la promotion de l’utilisation et de l’achat des produits locaux a un rôle clé dans l’augmentation de leur présence sur le marché. Par lien de causalité, l’augmentation de la part de marché augmente les investissements et tend à réduire le chômage et la pauvreté. De plus, l’investissement dans les secteurs de la transformation des légumes frais rapporterait des bénéfices durables et prometteurs qui permettraient à ces secteurs d’offrir des possibilités de développement pour les petit·e·s agriculteur∙trice∙s, et ainsi notamment de contribuer à l’autonomisation des femmes.
Depuis 2017, le PalTrade, en partenariat avec le bureau d’Oxfam-GB en Palestine Occupée, la Direction du développement et de la coopération suisse, l’Agence suédoise de coopération internationale au développement et l’Aide australienne, a mis en œuvre le programme « Buy Local » dans le cadre d’un programme de justice économique (PJE). Ce PJE vise à protéger et à assurer les moyens de subsistance des femmes et des hommes pauvres et vulnérables en améliorant l’accès aux marchés, en développant une production agricole et des systèmes de marché équitables ainsi qu’en améliorant l’accès des petits producteur∙trice∙s aux marchés.
« Buy Local » est notamment une campagne de sensibilisation visant à éduquer et à motiver les consommateurs, les consommatrices et les entreprises palestiniennes à envisager de favoriser l’achat de fruits et légumes frais locaux et transformés localement pour le bien économique et social de la communauté.
Cette campagne s’articule notamment autour des 5 objectifs suivants:
- construire une marque « Buy Local » ;
- accroître la confiance des consommateurs et des consommatrices dans la qualité des produits locaux ;
- sensibiliser à l’importance de l’achat de produits locaux et à son impact sur l’économie en général ;
- connecter les marchés centraux des villes. Mettre les producteurs et les productrices en contact avec les détaillants et les grossistes ;
- sensibiliser à l’existence d’une réglementation favorable aux marchés.
Si les publics cibles principaux sont les consommateurs et les consommatrices palestinien·e·s (notamment via les écoles), les détaillant·e·s et grossistes locaux, les hôtels et restaurants, il s’agit également d’atteindre les personnes actives dans la production, les « lanceurs et lanceuses de tendances » actifs·ves sur les réseaux sociaux, et les hommes et les femmes politiques.
Le programme vise à sensibiliser les consommateurs et les consommatrices à l’existence et la qualité des produits agricoles palestiniens et à les inciter à acheter des produits fabriqués en Palestine. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les consommateurs et les consommatrices peuvent décider d’acheter des produits locaux, notamment des raisons économiques, environnementales, sociales et de santé. Ils et elles peuvent vouloir soutenir leur communauté locale, s’assurer d’avoir des produits frais de qualité gustative et nutritionnelle, ou encore favoriser la santé de leur famille. Toutes ces pistes sont explorées par le programme en vue de pousser les consommateurs et les consommatrices à modifier leurs habitudes de consommation.
Par ailleurs, le programme cible les personnes actives dans la production et la distribution en les sensibilisant à l’étiquetage des produits, notamment au sujet de leur origine. Il les sensibilise également à la nécessité de produire et de distribuer des produits d’une grande qualité, afin d’attirer les consommateurs et les consommatrices. Le programme facilite aussi les liens entre la production et les circuits de commercialisation afin de permettre aux producteurs et aux productrices de mieux maitriser leurs filières de production et de distribution, et ainsi de travailler de manière plus cohérente et durable.
Les Systèmes Alimentaires Territorialisés, une piste à explorer …
Le programme « Buy local » illustre donc bien cette volonté d’élaborer un ensemble cohérent de filières agroalimentaires localisées et donc un Système Alimentaire Territorialisé, en vue d’une plus grande indépendance, de plus pérennité et de résilience au sein du système alimentaire palestinienne. Dans le tel contexte[3. Décrit dans : Oxfam-Magasins du monde, Analyse : Un 17 Avril en Palestine, Sébastien Maes 2015.] palestinien, où les activités de production et de distribution sont quotidiennement entravées par l’occupation israélienne qui limite les déplacements, l’accès à la terre, à l’eau etc., l’exercice est d’autant plus symbolique et périlleux, mais il illustre encore davantage l’impact potentiel de ces SAT dans une situation de crise. Cette observation ne peut qu’alimenter la réflexion sur nos systèmes alimentaires de « demain » et sur le rôle qu’une organisation telle qu’Oxfam-Magasins du monde aura à y jouer.
Sébastien Maes