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Oxfam-Magasins du monde

Changement de projet : un renouvellement dans l’équipe ?

Analyses
Changement de projet : un renouvellement dans l’équipe ?
Plusieurs équipes de bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde ont été amenées récemment, pour diverses raisons, à se réorganiser et à modifier leur projet en y intégrant de nouveaux volets. Quatre expériences sont relatées ici. Elles montrent quelles sont les difficultés à dépasser et quels bénéfices peuvent découler de ces changements. La réflexion porte également sur l’autonomie des équipes et sur le rôle des encadrants professionnels.

anderlecht

Introduction

Le plan stratégique Oxfam 2020 prévoit trois axes de travail pour le futur d’Oxfam-Magasins du monde[1. OMDM] : le renouvellement des bénévoles, les collaborations (projet Nouvelle terre), et l’inscription dans le réseau de la Transition.
Le premier axe de travail est au centre de cette analyse, sous un angle d’approche différent de celui des deux autres analyses rédigées de façon concomitante.[2. « Renouveler son bénévolat : bonne idée ! Mais par où commencer ? » (Sylvie Dossin, décembre 2016) et « Un bénévolat en transition » (Sara Dodémont, décembre 2016)] Nous verrons que sa concrétisation peut être intimement liée au second axe «Nouvelle Terre » : modifier les espaces de vente et la gamme de produits proposés.
À noter que le terme « renouvellement » signifie non seulement l’implication de bénévoles n’ayant jamais pris part à la vie d’une équipe ou d’un projet Oxfam, mais également le rajeunissement du bénévolat, et enfin sa redynamisation, par des changements de responsabilités, l’organisation de nouveaux événements, etc.
Dans cette analyse, nous souhaitons visiter quelques projets récents, menés par des équipes OMDM, qui ont été incitées à réfléchir à leur avenir et à trouver des pistes de redéploiement, dans le cadre de ce plan stratégique.

Des processus différents pour se mettre en projet

Evolution interne

À Malmedy

À Malmedy, une équipe Oxfam-Magasins du monde gère depuis plus de vint ans un magasin d’épicerie et d’artisanat issus du commerce équitable, tout en étant active alentour : participation à de nombreux événements (petits déjeuners, marchés, journées à thèmes,…), ventes extérieures, animation dans les écoles et les groupes,… . Fin 2015, le « groupe réseau »[3. Cellule de travail au sein d’OMdm, chargée d’analyser la situation de chaque équipe/magasin, en tenant compte de plusieurs critères : humains, financiers, commerciaux, éducatifs, immobiliers. Cette cellule est composée de la responsable du service immobilier, de la responsable du service commercial et du responsable du service mobilisation adultes.] d’OMDM a invité l’équipe de bénévoles à réfléchir à la manière de redynamiser non seulement les ventes mais également la visibilité et les actions militantes d’Oxfam sur la région. Cette réflexion était rendue nécessaire par la baisse de la contribution[4. recettes- dépenses % marge du magasin.  Un magasin de CE est censé contribuer aux frais de la centrale OMdm, à hauteur de 18% minimum, par rapport à son chiffre d’affaires.] de ce magasin, mais également par le constat d’une diminution des activités extérieures.
Déconcertée, voire dépitée, dans un premier temps, l’équipe a organisé plusieurs rencontres pour aboutir, après moult remous, à la proposition suivante : renforcer le magasin de commerce équitable  avec un dépôt-vente de vêtements dames de seconde main, offrir un petit rayon de livres de seconde main, et créer un véritable espace d’accueil et de sensibilisation. L’idée de « chipoter dans les fripes » ne séduisait pas tout le monde, mais l’équipe a fait appel à son réseau de connaissances et s’est étoffée au final de 4 ou 5 bénévoles, toutes féminines, spécifiquement attirées par le vêtement de seconde main, qui n’existait pas encore à Malmedy.
Du côté de l’espace sensibilisation, c’est au « coming out » de certains bénévoles que l’on a assisté. Une bénévole assez réservée a fait connaître sa motivation, après avoir entendu en assemblée locale qu’un espace allait être officialisé, et qu’une petite cellule sensibilisation allait être créée. Elle ne se serait jamais mise en avant spontanément, mais pas contre, dans un cadre clair et sécurisé par la présence d’autres bénévoles, elle se sent prête à assumer des animations.
Cet exemple montre qu’un simple élargissement de l’activité en magasin peut soit attirer de nouveaux profils, qui seront intégrés à l’équipe de base selon les balises de la Dynamique des Bénévoles, soit inciter des bénévoles exclusivement tournés jusqu’alors vers la vente en magasin, à se lancer dans d’autres défis.

Évolution en partenariat

À Anderlecht

À Anderlecht, c’est à nouveau le groupe réseau qui a incité l’équipe à trouver des alternatives pour se redéployer. L’idée de déménager rebutait profondément les bénévoles, qui ont longuement réfléchi pour finalement proposer d’agrandir la surface de vente existant, afin ouvrir un espace bouquinerie de seconde main. Plus aucune librairie n’existait dans le quartier, le défi semblait donc réaliste. Tout naturellement, l’équipe est allée visiter l’un des « bookshops » tenus par Oxfam-Solidarité[5. ONG sœur d’Oxfam Magasins du monde, membre d’Oxfam-en-Belgique, avec Oxfam-Magasins du monde et Oxfam-Wereldwinkels.], ailleurs à Bruxelles, et le hasard a bien fait les choses puisque la coordinatrice bruxelloise d’OSol se trouvait justement dans le magasin visité. Elle a immédiatement marqué un vif intérêt pour le projet, et l’a soutenu de toute son expérience.
Parallèlement à cette création d’un espace bouquinerie, l’équipe d’Anderlecht s’est vue proposer un troisième type de produits : ceux de la ferme Nos Pilifs. Cette entreprise de travail adapté est située dans une commune voisine d’Anderlecht, et comprend entre autres une boulangerie artisanale qui confectionne des pains, pizzas, biscuits, etc. Le directeur de cette ETA, Benoît Ceysens, est par ailleurs membre de l’équipe OMdm d’Anderlecht, et il a donc été naturel pour lui de proposer que les produits de la boulangerie de Nos Pilifs soient mis en vente au Magasin du monde de la rue Saint Guidon.
A entendre Sylvie Warnotte, représentante de l’équipe d’Anderlecht à  l’assemblée générale d’OMDM, cette évolution du projet a donné un coup de boost à l’équipe, et a permis d’intéresser six personnes supplémentaires, qui  n’avaient jamais été bénévoles Oxfam auparavant, et qui ont été attirées par la tenue de l’espace livres de seconde main.
Comme à Malmedy, cette nécessité de changement, même si elle rompt, parfois violemment, la routine, a le mérite de réveiller certaines énergies, de remotiver certains bénévoles, de solliciter des compétences peu connues.

Révolution interne

À Ans

La configuration ansoise avait ceci de particulier que deux magasins de vêtements de seconde main coexistaient sur la même chaussée, tous deux sous la bannière Oxfam, mais l’une appartenait à Oxfam-Magasins du monde tandis que l’autre relevait d’Oxfam Solidarité. Le magasin OMdm étant en difficulté commerciale et immobilière (local à la limite de l’insalubrité), l’idée d’une fusion des deux projets a été avancée par le groupe réseau, et validée par l’équipe de bénévoles, là aussi après de très nombreuses discussions et réticences. Qui ont dû être débattues une à une.
Le magasin OMDM a donc fermé, et celui d’OSol est en transformation pour accueillir le commerce équitable (épicerie et fins de série artisanat). Plusieurs bénévoles OMdm ont fait le choix de ne pas intégrer la nouvelle équipe de bénévoles OSol-OMDM. Ils arrêtent purement et simplement leur bénévolat chez Oxfam. Pour diverses raisons parmi lesquelles un désaccord net avec l’approche « humanitaire » d’OSol, ou une crainte difficile à surmonter face au changement et à la nouveauté. Le déménagement n’a pas encore eu lieu, et il est donc trop tôt pour voir si de nouvelles candidatures vont se manifester. Mais il apparaît déjà que des vocations se sont exprimées, et que des anciens bénévoles, partis pour des raisons de mésentente, sont prêts à revenir. Dans le premier cas, il s’agit de bénévoles qui profitent du départ d’un responsable pour manifester leur intérêt. Il y a ainsi un roulement qui se produit, par opportunité. Dans le second cas, ce sont des bénévoles qui affectionnaient particulièrement la seconde main. On assiste donc à un renouvellement dans la répartition des fonctions, et à une nouvelle configuration de l’équipe.
Qui plus est, un nouveau type d’équipe est à construire, avec des bénévoles OMDM habitués à une certaine autonomie, et d’autres qui n’ont connu que les systèmes moins participatifs d’OSol. Il y a là un enjeu à ne pas sous estimer : susciter une attitude de responsabilité chez les bénévoles, maintenir – ou recréer – un esprit démocratique et réellement participatif,…

Révolution en partenariat

Etterbeek

A Etterbeek, OMDM a trouvé deux complices pour concrétiser son plan stratégique. Et cette fois, la transition est clairement visible, puisque l’un des partenaires n’est pas un acteur commercial, mais bien un collectif de citoyens souhaitant inscrire la commune dans la dynamique de la transition.  Un nouveau magasin va ouvrir ses portes, qui commercialisera les produits Oxfam et ceux d’Agricovert, c’est-à-dire des produits locaux et écologiques. Son nom ? Il est encore à choisir à l’heure où sont écrites ces lignes, mais il est certain que son enseigne portera les valeurs du commerce équitable, local, et solidaire, ainsi que celles de la transition.  Le lieu ne sera pas uniquement consacré à de l’activité commerciale, mais il accueillera également les citoyens porteurs de projets, des ciné-débats, des activités comme les Repair Cafés, etc.
François-Olivier D., membre du collectif citoyen, revendique clairement sa sympathie pour les trois pans du projet, et estime que le rôle du collectif citoyen est notamment de capter les énergies citoyennes pour les maximiser. Il a déjà entendu plusieurs de ses compagnons manifester un intérêt pour une participation aux activités commerciales d’Oxfam, de type permanences au magasin, ou responsabilité épicerie, artisanat. Voici donc de nouveaux bénévoles en perspective, a priori dans la tranche des 30-50 ans plutôt que dans celles des60 ans. Et l’inverse sera probablement également vrai : les bénévoles Oxfam sont, pour la plupart, eux-mêmes des habitants de la commune, qui soutiendront les activités programmées dans l’espace de sensibilisation à la transition.

Des résultats divers

En dehors des situations réellement intenables, le changement fait peur et nous sort de notre zone de confort. le Pr A.BERNADOU[6. Professeur à l’université Paris-VI, médecin-chef de service à l’Hôtel-Dieu de Paris.] note ainsi que «  ce qui est naturel, c’est la résistance au changement, ce n’est pas l’inverse », car il existe chez l’homme « un système de défense contre les idées, les opinions et les comportements des autres, dont le but est identique (au système immunitaire) : garder l’intégrité psychique du soi ».
Le changement peut pourtant se révéler très dynamisant et mener à des résultats positifs. Sur le thème qui nous intéresse ici, nous constatons que les changements proposés aux équipes ont été vécus différemment.
Avec une première phase de révolte et une sérieuse crise d’équipe à Malmedy, qui débouche finalement sur une amélioration du projet global, et sur un renouvellement du bénévolat, tant en interne qu’à partir de l’extérieur : 4 ou 5 nouveaux, et une rotation des responsabilités.
Avec une grande appréhension et des refus de participer au processus de la part de certains bénévoles à Ans, ce qui rend moins évidentes les conclusions positives. L’on observe cependant revenir d’anciennes bénévoles motivées.Avec un réel enthousiasme à Anderlecht, amplifié par le dynamisme de la bénévole administratrice et la cote de sympathie du bénévole directeur de l’ETA Nos Pilifs. L’équipe se renforce également de 6 nouveaux bénévoles.
Avec créativité à Etterbeek, où la notoriété et l’expérience d’Oxfam s’allient au dynamisme et à l’esprit novateur d’Agricovert, ainsi qu’à l’engagement concret et local du collectif citoyen. Ce projet est sans doute celui qui a le plus de potentiel pour aboutir à un nouveau type de bénévolat, qui ne sera plus exclusivement étiqueté Oxfam, mais qui fera sens autour d’un espace de consommation et d’actions alternatives.

Comment se donner les moyens de réussir ces changements ?

L’encadrement professionnel

Outre ces résultats encourageants quant à l’objectif de renouvellement du bénévolat, cette observation de quatre expériences récentes met en lumière l’extrême importance de l’encadrement du changement, et de l’adhésion de tous ses acteurs.
À Malmedy comme à Ans, la gestion des conflits et des plaintes a monopolisé l’énergie de la coordination régionale[7. A titre d’exemple, 19  trajets aller-retour vers Malmedy en 12 mois]. Avec succès à Malmedy où l’équipe repart du bon pied et retrouve une ambiance de travail et d’échanges agréable. Avec un résultat plus mitigé à Ans, mais de manière relative, puisque l’équipe souffrait déjà de dissensions internes.
Le point commun de ces deux changements est qu’ils ont été amenés dans l’urgence, pour des raisons de fin de bail imminente, et/ou de situations commerciales interpellantes. Ce ne sont donc pas les équipes de bénévoles qui ont impulsé le changement mais bien les salariés d’OMdm. Ceci peut expliquer la résistance plus forte des bénévoles, et le côté conflictuel au démarrage. Ce n’était pas réellement possible, mais dans une situation idéale:  « il faut laisser aux acteurs le temps de s’approprier et de digérer (les) différents bouleversements, dont certains agissent comme des chocs » (Françoise GONNET)[8. Sociologue française s’étant particulièrement penchés sur la question du changement dans les institutions non commerciales (les hôpitaux en l’occurrence)].
L’équipe de Malmedy a refusé la proposition qui lui était faite d’ouvrir un magasin de vêtements de seconde main sur base de dons à trier. Elle a heureusement été résiliente et a proposé une alternative sous forme de dépôt-vente. Cela lui a permis de s’approprier le changement et donc de le réussir avantageusement.
À Ans, l’attitude d’une partie de l’équipe a été hostile, tandis qu’une majorité silencieuse a accepté l’idée et s’est donc intégrée au processus. De façon assez passive, certes, mais réaliste : « il faudra mettre de l’eau dans son vin. », « nous ferons de notre mieux», « s’il faut, il faut, on ne va pas arrêter Oxfam»,…
À Anderlecht, les coordinations régionales d’OSol et d’OMDM ont consacré énormément de temps à la réussite du projet. Quant à Etterbeek, si le projet a bénéficié de l’apport d’énergies venant de groupes déjà solides, il n’en reste pas moins que la présence de la coordination régionale était indispensable.
Ces deux projets ont bénéficié d’un laps de temps plus long pour se mettre en place. Ceci a permis aux bénévoles de se les approprier, et donc de les façonner tels qu’ils en avaient envie. Cette appropriation a sans doute facilité le processus.
Si les coordinations régionales ont joué un rôle important, les autres services intervenant dans les divers changements de projets, ont dû eux aussi jongler avec des impatiences, des craintes, des mécontentements, des erreurs, de la part des bénévoles.
Cette bienveillance a également dû se manifester des bénévoles vis-à-vis des professionnels. Sans compréhension et réelle attention humaine, les résultats auraient pu être tout autres. La multiplicité des interlocuteurs, tant bénévoles que salariés, ainsi que les timings serrés, ont dû, en résumé,  être gérés en faisant appel à la bonne volonté, et à la diplomatie de chacun, mais surtout à la motivation et à l’engagement de tous en faveur des valeurs de justice sociale et économique portées par Oxfam,.
Nous souhaitons conclure ce paragraphe par une citation de Françoise KOURILSKY, qui rappelle aux encadrants professionnels que «  la performance du promoteur du changement repose en priorité sur sa capacité à créer, à construire le désir d’évoluer ».

Un travail d’accueil des nouveaux et de renforcement, sur le long terme

Le premier enjeu de ce type de projet en termes de nouvelles vocations bénévoles, est de réussir l’inclusion dans une équipe, qu’elle soit OMDM, ou mixte. Engranger ou révéler de nouvelles énergies est une chose importante, les maintenir motivées et les ouvrir à tous les aspects des engagements d’Oxfam en est une autre, capitale. Le plan « Dynamique des Bénévoles » trouve toute sa place ici. Il nécessitera sans doute quelques adaptations, ou réflexions à tout le moins, pour s’adapter à, ou inspirer, des projets multiformes.
François-Olivier, du collectif citoyen d’Etterbeek, souligne par exemple qu’un groupe « gouvernance » a été créé pour le nouveau projet. Ce groupe a reçu le guide DDB d’Oxfam et y a trouvé d’excellentes idées, mais ressent également le besoin d’organiser un mode de décision plus fluide, et dans le consentement plutôt que dans le consensus. On sent sans doute ici les tendances générationnelles : la démocratie chez les bénévoles Oxfam, plus âgés de manière générale ; l’intelligence collective, la gouvernance en cercles, chez les plus jeunes.

Conclusion

Sans nier les difficultés créées par le renouvellement de projets, ce chamboulement des habitudes peut inciter des bénévoles en place à s’impliquer davantage différemment. Il peut susciter l’intérêt de personnes nouvelles. A condition d’encadrer le processus de façon professionnelle, et de susciter l’imagination, l’adhésion et l’implication de l’équipe. Ce qui est en soi un fondement de l’éducation permanente.
Ariane Hermans

Bibliographie

Plan Dynamique des Bénévoles d’Oxfam Magasins du monde, versions 2016 : http://sesame.omdm.be/download/plan-ddb-2016/
Françoise KOURILSKY, « Du désir au plaisir de changer – le coaching du changement. »
Françoise Gonnet et Sylvie Lucas, « L’hôpital en questions – un diagnostic pour améliorer les relations de travail. »
Pr. A. Bernadou, cité dans le mémoire du Dr Bengouffa « La problématique du changement, entre concepts et réalités. ».