La communauté scientifique est quasi unanime, le constat est sans appel : Le climat change d’une telle façon que les activités humaines ne peuvent être exemptées de responsabilités. Le réchauffement est non seulement régulier depuis les années 1950 mais également sans précédent depuis des décennies, voire des millénaires. Ce réchauffement affecte les différentes composantes du système climatique, atmosphère, océan et glaces ainsi que le niveau des mers, et on observe déjà ses impacts sur les systèmes naturels et humains. Il est ‘extrêmement probable’ que les activités humaines en sont la cause principale à travers l’augmentation des concentrations des gaz à effet de serre (GES), tels que le gaz carbonique, le méthane et le protoxyde d’azote (Jouzel, 2015). Production et consommation d ‘énergies fossiles, agriculture et élevage, déforestation… de fait il est peu de facettes de nos modes de vie actuels qui n’aient aucune responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre (Garnaud, 2010).
S’intéresser aux liens entre changement climatique et commerce équitable met en lumière plusieurs enjeux et problématiques. Nous ne sommes pas égaux devant le changement climatique, tant sur le plan de ses facteurs que de ses effets. Nous verrons que les producteurs de commerce équitable sont particulièrement impactés mais qu’ils disposent de ressources notables pour y faire face.
Le changement climatique n’est pas équitable
Des responsabilités différenciées…
C’est un phénomène naturel millénaire, l’effet de serre, aujourd’hui amplifié par l’humanité, qui est responsable du changement climatique. Les activités humaines émettent en effet des gaz à effet de serre en quantités croissantes depuis la Révolution industrielle. La contribution aux émissions de gaz à effet de serre varie beaucoup selon les pays : les pays les plus industrialisés et désormais les pays caractérisés par une forte croissance économique et démographique (Chine, Inde) en sont les plus gros émetteurs.
En outre, certains pays et régions du monde ont une responsabilité historique en matière d’émissions de gaz à effet de serre cumulées dans l’atmosphère. Ainsi, l’Europe et les Etats-Unis sont responsables de la moitié du total de CO2 jamais émis sur terre (Clark and Houston, 2012).
Or il n’y a pas de frontière en matière de changement climatique et le comportement d’un pays et de ses habitants a des répercussions globales.
…Et des effets disproportionnés
Il se trouve que les pays comparativement les moins émetteurs de gaz à effet de serre sont aussi les pays les plus vulnérables. Ainsi, 90% des dégâts dus au changement climatique sont subis par les pays du Sud (Fairtrade International, 2011). Leurs populations constituent les premières victimes des conséquences des dérèglements climatiques, car elles disposent de peu de moyens pour y faire face. Dans leur cinquième et dernier rapport, les experts du GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) confirment que les changements climatiques creusent les inégalités et exacerbent les vulnérabilités existantes. Les chiffres publiés sont inquiétants et montrent l’impact du changement climatique sur la santé, l’accès aux ressources en eau, les rendements agricoles, la sécurité alimentaire, et de façon plus générale sur la sécurité des populations. Il est estimé par exemple qu’une hausse de 1°C réduira d’au moins 20% la disponibilité en eau pour les habitants déjà victimes de sa rareté (André et al., 2015).
L’agriculture, notamment dans les pays du Sud, est un secteur particulièrement affecté par les conséquences néfastes du changement climatique, telles que des températures plus élevées, l’accroissement du nombre et de l’intensité des événements climatiques extrêmes, la fragilisation des écosystèmes et de la biodiversité. Les producteurs des filières de commerce équitable sont donc directement impactés.
Les impacts du changement climatique sur les producteurs de commerce équitable
Les producteurs de CE sont particulièrement touchés par les dérèglements climatiques : d’abord, parce qu’ils comptent parmi les plus pauvres de la planète, et car il s’agit le plus souvent de petits paysans, dont les pratiques agricoles dépendent fortement des aléas climatiques. Ceux-ci provoquent en effet des pertes matérielles qui affectent l’activité de production et donc la vie quotidienne de nos partenaires.
Au Sud Kivu, l’absence de statistiques officielles sur les changements climatiques ne permet guère de rendre compte d’impacts avérés de ces dérèglements. « Selon de nombreux producteurs, il se manifesterait localement par une augmentation des températures, ce qui, dans la plupart des cas, a un effet négatif sur les rendements, et [par] la modification du régime des précipitations [3. Le régime des précipitations est la quantité et fréquence des précipitations.] qui déstabilise les producteurs dans la planification de leurs cultures. La production est moins prévisible, le risque d’insécurité alimentaire est donc accru. Les pluies torrentielles, en nette augmentation ces dernières années, constituent la principale menace pour les producteurs de café, qui y sont devenus particulièrement vulnérables à cause de l’activité humaine intense dans la région. En bref, la déforestation massive exacerbe les risques d’érosion, conduisant notamment à la dégradation des sols et à des risques d’inondation plus élevés. (Dayez, 2012)
Ainsi, les producteurs des filières équitables alimentaires sont particulièrement vulnérables aux effets des dérèglements climatiques. Mais le commerce équitable leur donne des ressources pour y faire face : s’adapter aux conditions climatiques variables et diminuer leur impact sur l’environnement. Et il est d’autant plus important de les soutenir qu’ils développent des modes de production à faible impact sur le climat (Fairtrade International, 2011)
Faire face au changement climatique grâce au commerce équitable : accompagnement des producteurs vulnérabilisés et soutien de modes de production durables
Adaptation
Le commerce équitable se donne pour mission et objectif de soutenir les producteurs du Sud. Ainsi, les engagements du commerce équitable (prix juste, préfinancement, relation de long terme etc.) apportent une stabilité aux producteurs essentielle pour prévoir la production et mieux se préparer aux défis du changement climatique. La plupart des agriculteurs reçoivent également une « prime équitable » leur permettant de lutter contre les impacts du changement climatique et de mettre en place des projets de développement durable (Fairtrade International, 2011).
Face à un climat de plus en plus aléatoire, les agriculteurs doivent en effet s’adapter et mettre en œuvre « des systèmes de production plus résilients leur permettant après chaque épisode climatique destructeur de rétablir au plus vite le niveau de leurs revenus et les potentialités productives de leurs fermes » (Dufumier, 2015). Pour cela, certains avantages fournis aux producteurs par les organisations « coupoles » peuvent faire la différence : certaines ont des programmes très développés de soutien aux producteurs (renforcement des capacités, développement organisationnel), qui contribuent à développer la capacité d’adaptation des producteurs.
De même qu’il est important de soutenir les producteurs dans l’adaptation au changement climatique, il est également essentiel de limiter le changement climatique et ses conséquences. La stratégie d’atténuation consiste à freiner l’évolution en agissant à la source, à savoir l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour cela, il faut en réduire les émissions (Garnaud, 2010).
Atténuation
D’une manière générale, les acteurs de commerce équitable promeuvent l’agriculture paysanne. En effet, selon Hank Hobbelink de Grain, « l’agriculture de petite taille peut s’avérer d’une grande aide dans la lutte contre le changement climatique » (Trade for Development Centre, 2013). D’une part, les systèmes agricoles paysans émettent peu ou pas de gaz à effets de serre (alors que comme on l’a vu, ce sont les travailleurs de ce modèle agricole qui subissent le plus les conséquences du changement climatique), et d’autre part, » ils ont un potentiel d’adaptation aux perturbations du climat déjà en cours très élevé » (D’Hoop, 2013)
Les critères du commerce équitable intègrent clairement la protection de l’environnement, garantissant des modes de production durables et respectueux de la planète. Les producteurs partenaires démontrent leur engagement par des choix de production sobres d’un point de vue environnemental, souvent biologiques[4. Le mouvement de commerce équitable sensibilise les producteurs aux pratiques agricoles durables et aux impacts négatifs des produits phytosanitaires. La transition vers l’agriculture biologique est encouragée parmi les groupements intégrés à des filières de commerce équitable et qui ne travaillent pas encore de cette façon (http://www.wfto.com/news/climate-change-mitigation-and-adaptation-good-practices-ethiopia-and-thailand)] pour l’agriculture et traditionnels pour l’artisanat. Ils développent également des projets environnementaux variés :
Au Népal, ACP (Association of Craft Producers) utilise des cartons recyclés ou déjà employés pour l’empaquetage des objets artisanaux. En outre, un grand projet de traitement des eaux usées a été mis en place dès 2008 au sein des ateliers de Katmandou (Erhart, 2015).
Chez Bombolulu, en plus de projets de reboisement plus anciens, les ateliers de sculpture sur bois se sont engagés dans la création de filières de certifiées FSC (Forest Stewardship Council), pour une gestion durable des forêts (Erhart, 2015).
Le commerce équitable est une alternative au commerce conventionnel qui prend en compte des principes clés comme la justice sociale et la durabilité. Il permet à des petits producteurs d’agir contre le changement climatique, en leur donnant des moyens de s’adapter à ses impacts tout en contribuant à l’atténuer. Les acteurs de commerce équitable s’engagent aussi dans la lutte contre les changements climatiques via leurs actions d’éducation et de sensibilisation des citoyens à ces enjeux, et des actions de plaidoyer pour influencer les politiques.
Laura Pinault
Sources
André C., Bettin R., Laubin V., 2015, “Le changement climatique est-il inequitable? », in Fédération Artisans du Monde, Bulletin Equité #18.
Clark D.et Houston R., 2012, “The Carbon Map” [en ligne] http://www.carbonmap.org/
Dayez C., 2012, « Le café paysan du Kivu »
D’Hoop R., 2013, « La souveraineté alimentaire pour les nuls »
Dufumier M., 2015, “Soutenir une agriculture paysanne pour faire face au changement climatique » in Fédération Artisans du Monde, Bulletin Equité #18.
Ehrart D., 2015, « Des organisations de producteurs en action », in Fédération Artisans du Monde, Bulletin Equité #18.
Fairtrade International, 2011, “Climate Change and Fair Trade. Why is it time to make the links?” [en ligne] http://www.fairtrade.net/fileadmin/user_upload/content/2009/resources/2010-04_Climate_Change_and_Fairtrade_Position_Paper.pdf
Garnaud B., 2010, « Entre atténuation et adaptation. Des approches européennes du changement climatique » [en ligne] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000527-entre-attenuation-et-adaptation.-des-approches-europeennes-du-changement-climatique-par/article
JOUZEL J., 2015, « Réchauffement climatique : que dit le rapport du GIEC ? » in Fédération Artisans du Monde, Bulletin Equité #18.
Trade for Development Centre, 2013, « Commerce équitable et durable, et changement climatique. Les petits paysans peuvent-ils refroidir la planète ? » [en ligne] http://www.befair.be/sites/default/files/all-files/brochure/Commerce%20%C3%A9quitable%20et%20durable%20et%20changement%20climatique.pdf