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Crédits carbone équitables : vraie ou fausse solution ?

Analyses
Crédits carbone équitables : vraie ou fausse solution ?
La norme Fairtrade Climate Standard (FCS) permet aux producteurs et aux productrices agricoles qui contribuent à l’atténuation des changements climatiques de vendre des crédits carbone équitables (FCC) sur le marché du carbone. Cette analyse aborde les différents aspects qui constituent cette norme pour ensuite prendre du recul en regardant les enjeux et les dérives du système des compensations, notamment prôné lors des Conférences sur le climat, et se conclut avec le positionnement d’Oxfam-Magasins du monde.

Afin de permettre aux petits exploitants et aux communautés rurales de tirer des profits financiers de leurs bonnes pratiques, Fairtrade International a élaboré la norme Fairtrade Climate Standard (FCS). L’idée est de permettre aux producteurs et aux productrices agricoles qui contribuent à l’atténuation des changements climatiques de vendre des crédits carbone[1. Fairtrade Climate Standard] équitables (FCC) sur le marché du carbone.
Cette norme qui, à première vue est dans la droite ligne du commerce équitable qui cherche à remettre l’économie au service des humains et de leur environnement, semble plus controversée quand on regarde le cadre dans laquelle elle s’inscrit. Dans cette analyse nous commencerons par énumérer les différents aspects qui constituent cette norme afin de bien la comprendre pour ensuite prendre du recul en regardant les enjeux et les dérives qui existent dans le système des compensations, notamment prôné lors des Conférences sur le climat. Nous conclurons avec le positionnement d’Oxfam-Magasins du monde.

Fairtrade Climate Standard

Dans le cadre de sa stratégie pour le changement climatique, Fairtrade International a développé le Fairtrade Climate Standard (FCS). Le but de l’organisation est d’aider les petits exploitants et les communautés rurales à se développer plus durablement et à se montrer plus résilients aux effets du changement climatique tout en leur permettant d’accéder au marché du carbone en produisant des crédits carbone[2. Un crédit carbone est une unité correspondant à une tonne d’équivalent CO2 sur les marchés du carbone] équitables, les FCC (Fairtrade Carbon Credits). Pour ce faire, Fairtrade International fournit des informations et facilite la formation des petits exploitants et des communautés rurales afin qu’ils soient en mesure de produire et de vendre des FCC pour financer leurs activités d’atténuation et d’adaptation.
Fairtrade International a développé le Fairtrade Climate Standard (FCS) en collaboration avec Gold Standard, un organisme internationalement reconnu et ayant une expertise dans les projets de climat et de développement. Le FCS est donc une norme complémentaire à la certification Gold Standard des réductions d’émissions de carbone et des avantages pour le développement durable.
Le Fairtrade Climate Standard est ouvert à tous les petits groupes organisés se trouvant dans la portée géographique de Fairtrade International[3. Fairtrade International détermine dans quels pays les organisations de producteurs et de productrices peuvent être certifiées Fairtrade. Pour ce faire, Fairtrade International prend en considération différents indicateurs économiques et sociaux ainsi que l’impact à long-terme que peut avoir le commerce équitable dans la région. Actuellement, les membres de l’Union européenne et les pays du G8 sont exclus de la portée géographique de Fairtrade International. Plus d’informations]. Il n’est donc pas nécessaire qu’une organisation soit certifiée Fairtrade pour postuler au Fairtrade Climate Standard. Les projets admissibles à la création de crédits carbone équitables se répartissent en trois catégories :

  1. Les projets d’énergie renouvelable, tels que: chauffage solaire thermique / électricité, solaire photovoltaïque, énergie éolienne, hydroélectricité, chauffage au biogaz / électricité.
  2. Les pprojets d’efficacité énergétique, tels que : cuisinières améliorées, systèmes de filtration / purification de l’eau, lampes à économie d’énergie / lampes fluorescentes.
  3. Les projets de reforestation, tels que: la plantation d’arbres ou la replantation d’arbres dans une zone précédemment boisée.

En moyenne, chaque projet devrait générer environ 25 000 crédits carbone équitables par an. La durée des projets dépend du type de projet. Les projets énergétiques peuvent durer de 7 à 10 ans, les projets forestiers peuvent durer de 30 à 40 ans.
Pour Fairtrade International, les principales composantes des relations commerciales équitables et durables de la norme FCS sont les suivantes :

  • Démocratie et transparence: Tous les producteurs participants aux projets de crédit carbone équitable ont voix au chapitre dans le processus décisionnel de leur organisation. Tous les termes et conditions des transactions Fairtrade sont détaillés dans les contrats signés par les producteurs et les acheteurs.
  • Un prix minimum du commerce équitable assurant les coûts moyens de fonctionnement des projets est couvert. Il s’agit, selon Fairtrade International, d’un ajout innovant au marché volontaire du carbone, qui offre un filet de sécurité aux projets de carbone.
  • Possibilités d’adaptation: À l’instar de ce qui se fait dans les échanges commerciaux du commerce équitable, une prime de commerce équitable est versée en plus du paiement des FCC, qui est versé aux organisations de producteurs. Ces dernières peuvent décider de la meilleure façon de l’investir pour les rendre plus respectables aux changements climatiques et à leurs collectivités.
  • Renforcement des capacités: Le Fairtrade Climate Standard offre aux producteurs et aux productrices une façon de jouer un rôle plus actif dans les projets de réductions d’émissions de carbone en améliorant leurs connaissances en matière de changement climatique, en développant leurs compétences en gestion de projets et en développant leurs propres projets à long terme .
  • Conditions de travail et respect de l’environnement: Les projets sont exécutés en respectant les principes du commerce équitable liés aux pratiques environnementales et au travail.
  • Réduction des émissions des acheteurs: Les acheteurs de crédits carbones équitables, situés à la fin de la chaîne d’approvisionnement, doivent mettre en place un plan crédible pour réduire leurs émissions et compenser de plus en plus leurs émissions avec des crédits carbones équitables.

La norme FCS s’applique aux organisations de producteurs qui souhaitent vendre des FCC mais également aux facilitateurs de projets, qui peuvent aider les organisations de producteurs à mettre en œuvre les projets. Les exigences définies par la norme s’appliquent également aux commerçants, qui achètent et vendent les FCC, et les acheteurs finaux.
On le voit, Fairtrade International a repris les critères qui lui sont propres en les adaptant aux différents acteurs qui constituent le marché du carbone, afin de le rendre équitable. Mais est-ce suffisant pour mener une lutte contre les dérèglements climatiques qui soit écologiquement efficace et équitable pour toutes et tous ?

« Nos terres valent plus que du carbone »

Pour Brigitte Gloire d’Oxfam-Solidarité : « Il  est impossible de « compenser » des émissions produites au départ d’énergie fossile ». En effet, si ces énergies fossiles étaient restées séquestrées dans le sol, elles ne seraient pas intervenues dans les cycles naturels du carbone. Et Brigitte Gloire ajoute : « Nous pensons donc qu’il n’y a pas de bons « compensateurs » ».
Dans une déclaration intitulée « Nos terres valent plus que du carbone »[4. Déclaration « Nos terres valent plus que du carbone »], initiée en France par la Confédération paysanne et le CCFD-Terre Solidaire[5. ONG de développement française dont la mission consiste à lutter contre la faim en s’attaquant à ses causes, des plus locales aux plus globales.], plus de 50 organisations signataires dont la Via Campesina[6. Mouvement international qui coordonne des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales, de communautés indigènes d’Asie, des Amériques, d’Europe et d’Afrique] et Oxfam-Solidarité dénoncent la course à la compensation qui s’engage pour faire face à la crise climatique. Cette déclaration apparue suite à la COP 21 de Paris (décembre 2015) et en vue de la COP 22 de Marrakech (décembre 2016), souligne la crainte de ces organisations de voir apparaitre de fausses solutions dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Dans une série d’analyses[7. Analyses Oxfam-Magasins du monde, Sébastien Maes : « L’Agriculture intelligente face au climat : un concept qui pose question », « AIC : Un terreau fertile pour le secteur des engrais azotés », « AIC : Positionnement et stratégie d’Oxfam International ».], nous avons notamment évoqué l’agriculture intelligente face au climat et son alliance globale, la GACSA, qui « en l’absence de critères clairs, fait le grand écart entre promotion de l’agroécologie et usage de semences OGM et de leurs herbicides »[8. Déclaration « Nos terres valent plus que du carbone »]. Le problème de ce type de « fausses solutions » c’est qu’elles servent davantage les intérêts financiers des multinationales de l’agro-industrie, qui poursuivent l’industrialisation de l’agriculture au péril des paysannes et des paysans, au lieu de s’attaquer à la cause profonde des dérèglements climatiques.
En effet, l’Accord de Paris signé au terme de la COP 21 parle très peu d’agriculture et voit les sols comme des « puits de carbone ». Les sols jouent effectivement un rôle important dans le stockage du dioxyde de carbone. C’est notamment pour cela que les pratiques agricoles prônées par l’agroécologie ne nécessitent que peu voire pas de labour, car cette pratique laisse s’échapper le CO2 stocké dans le sol. Mais comme le signalent les signataires de la déclaration : « ce n’est pas la seule fonction des sols et en particulier lorsqu’il s’agit des terres agricoles qui sont centrales pour la souveraineté alimentaire ». L’utilisation de ces sols comme facteurs de lutte contre les dérèglements climatiques en font un objet de convoitise pour les promoteurs de fausses solutions qui y voient un intérêt économique, augmentant ainsi les risques de pression foncière. Les paysannes et les paysans, qui sont les premiers à souffrir des dérèglements climatiques et du problème d’accès à la terre, risquent dès lors d’être encore davantage affectés par un tel système.
« En prévoyant un équilibre entre les émissions et l’absorption par les puits de gaz à effet de serre, l’Accord de Paris entérine le principe de compensation pour faire face à la crise climatique »[9. idem]. La COP 21 n’a donc pas débouché sur la volonté de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre mais bien sur la valorisation de l’absorption naturelle du carbone dans les sols. Quand on sait que « à l’inverse des émissions évitées, le stockage naturel du carbone est réversible et a une durée de vie limitée »[10. idem], le raisonnement adopté à Paris parait dénué de sens.

Conclusion : Est-on équitable quand on joue le jeu imposé par l’agro-industrie ?

Nous venons de le voir, les règles du jeu élaborées par les décideurs politiques lors des Conférences sur le climat semblent davantage servir les intérêts des acteurs de l’ago-industrie que les droits des paysannes et des paysans, la défense de la souveraineté alimentaire et l’intégrité des écosystèmes.
Mais alors que penser d’une norme telle que le Fairtrade Climate Standard (FCS) qui joue le jeu de la course à la compensation, en rentrant dans le système de la vente de crédits carbones avec ses Fairtrade Carbon Credits (FCC) ?
D’un point de vue social, la volonté de Fairtrade International est de permettre aux paysannes et aux paysans de tirer profit de ce système. En ayant des pratiques plus résilientes et écologiquement responsables, qui leurs garantiront des récoltes plus abondantes malgré les dérèglements climatiques, les producteurs et les productrices pourront bénéficier de la vente de FCC et ainsi pérenniser et faire évoluer leur activité et leur confort de vie. En ce sens la norme FCS est un pied de nez au système de compensations qui appuie habituellement davantage le secteur de l’agro-industrie.
Mais à y regarder de plus près, la solution FCS n’empêchera pas les paysannes et les paysans de faire face au problème de pression foncière et le dérèglement accru du climat les mettra encore davantage à l’épreuve. De plus, d’un point de vue environnemental, en vendant des FCC aux pollueurs, les paysannes et les paysans permettent à ceux-ci de continuer leurs activités émettrices de CO2. Les acheteurs de crédits carbones ayant des moyens et des intérêts qui dépassent souvent largement la valeur de ceux-ci, ne sont donc pas enclins à diminuer leurs émissions, pourtant irrémédiables.
De là à taxer la norme FCS et les FCC de « fausses solutions » à l’instar de l’agriculture intelligente face au climat et d’autres « solutions » qui sont des « coquille(s) vide(s) où peuvent s’engouffrer les multinationales de l’agro-industrie »[11. Déclaration « Nos terres valent plus que du carbone »], il y a une marge.
Pour conclure cette analyse, nous reprenons le dernier paragraphe de la déclaration « Nos terres valent plus que du carbone » qui correspond à notre positionnement en tant que Oxfam-Magasins du monde :

Nos organisations dénoncent la course à la compensation qui s’engage pour faire face à la crise climatique. Seule une réduction drastique et immédiate des émissions de gaz à effet de serre permettra, si ce n’est de les réduire, d’empêcher un accroissement dramatique des impacts de cette crise. Les terres agricoles ne peuvent devenir des outils comptables pour gérer la crise climatique. Elles sont fondamentales pour près d’un milliard de personnes dans le monde qui œuvrent à la souveraineté alimentaire, droit inaliénable des peuples déjà suffisamment mis à mal. Nous défendons l’existence d’une agriculture à même de répondre aux enjeux agricoles désormais amplifiés par la crise climatique. Cette agriculture, fondée sur l’agroécologie paysanne qui, au-delà d’un corpus de pratiques, porte une agriculture sociale et écologique ancrée dans les territoires et refuse la financiarisation de notre nature.

Sébastien Maes