L’analyse « Huile de palme et modèle de développement agricole » s’efforçait d’expliquer les effets pervers liés à l’huile de palme. Ce sujet soulève évidement beaucoup de questions concernant l’utilisation d’un tel composant dans des produits de commerce équitable.
L’objet de la présente analyse est de savoir si le recours à l’huile de palme est véritablement inévitable. Pour cela, nous allons tenter de voir si des substituts existent, et quelles en sont les caractéristiques.
Nous nous interrogerons ensuite sur les initiatives de certification d’huile de palme « durable » et sur sa mise en œuvre. Enfin, la dernière partie sera consacrée au positionnement des organisations de commerce équitable par rapport à l’huile de palme.
Les substituts à l’huile de palme et leurs caractéristiques
L’huile de palme est une huile végétale au même titre que l’huile de colza, de tournesol ou de soja. L’huile de palme pourrait donc être logiquement remplacée par une autre huile végétale.
Faisant abstraction du « coût » qui confère à l’huile de palme un avantage comparatif déterminant, nous allons essayer de voir dans quelle mesure ces substituts représentent des alternatives viables.
Il y a une quinzaine d’années, c’était l’huile de soja qui était principalement utilisée à des fins alimentaires. Cette huile a été pointée du doigt à cause du développement des OGM (organisme génétiquement modifiés) et des problèmes que ceux-ci engendraient. De plus, l’huile de soja, comme l’huile de palme, est associée à la déforestation (voir encadré).
L’huile de tournesol présente plusieurs inconvénients. Lorsqu’elle est portée à haute température, elle produit des acides gras « trans » qui peuvent être à l’origine de cancers et de maladies cardio-vasculaires. Par ailleurs, elle peut aussi modifier la qualité gustative dans les préparations cuisinées quand elle est utilisée à chaud.
L’huile de colza semble être un bon compromis pour se substituer à l’huile de palme. En effet, cette huile ne comporte que très peu d’acides gras « trans » et ne présente donc pas de risque pour la santé. Cette huile peut être utilisée dans la confection de margarine, confiseries ou pâtisseries. Mais, elle présente un inconvénient majeur : selon la provenance, l’huile de colza peut être transgénique [highslide](1;1;;;)la culture de colza OGM est interdite dans l’UE mais son importation est en revanche autorisée[/highslide].
[highslide](Le soja en Argentine;Le soja en Argentine;;;)
Dans ce pays la culture du soja OGM a été accueillie avec enthousiasme et représentait l’espoir de faire chuter la pauvreté grâce à l’augmentation spectaculaire des rendements. Cependant, après plusieurs années, on a constaté que l’emploi des herbicides avait été multiplié par deux. Le recours massif aux herbicides (Round up notamment) a rendu les sols stériles et entrainé l’apparition de mauvaises herbes résistantes à ces produits. La culture du soja est aussi associée à la déforestation en Amazonie où les industriels achètent des terrains pour de faibles sommes et s’adonnent à la culture intensive – causant exactement les mêmes problèmes que pour l’huile de palme.
Source : The Guardian, 16 avril 2004
[/highslide]
Selon les produits, l’huile de palme peut aussi être remplacée par le beurre (graisse animale), mais là aussi, les effets sur la santé ne sont pas forcement meilleurs et les coûts [du beurre] seraient multipliés par deux ou trois par rapport à l’huile de palme.
Des substituts à l’huile de palme sont donc possibles mais présentent tous des inconvénients :
- le substitut peut nuire à la qualité gustative du produit ou du moins ne pas apporter la même qualité que l’huile de palme.
- le mode de culture du substitut peut lui aussi être néfaste pour l’environnement ou soumis à des controverses (soja, colza OGM)
- le substitut présente des effets néfastes pour la santé (acides gras « trans », tournesol)
La table ronde sur l’huile de palme durable
Une autre solution envisagée pour faire face aux problèmes liés à l’huile de palme est la production d’une huile de palme « durable ». Tel est le projet de la table ronde sur l’huile de palme durable, plus connue sous l’acronyme anglophone RSPO [highslide](2;2;;;)Roundtable on Sustainable Palm Oil[/highslide]
Présentation de l’organisation et des objectifs
Depuis 2004, la RSPO a été mise en place sur base des objectifs suivants
- la recherche et le développement de critère et de définition pour une production d’huile de palme durable
- la promotion de la croissance et de l’utilisation de l’huile de palme durable
- le développement de projets pour faciliter la mise en œuvre de bonnes pratiques
La RSPO a été créée à l’initiative de WWF en collaboration avec plusieurs entreprises du secteur (Unilever, Aarhus United UK, Malaisian Palm Oil Association, Sainsbury’s, Golden Hope Plantations Berhad, Migros). Elle est composée de producteurs et exportateurs d’huile de palme, de firmes multinationales de l’agroalimentaire, de banques et investisseurs ainsi que d’ONG environnementales et sociales [highslide](3;3;;;)Oxfam Novib, membre néerlandais d’Oxfam International, par exemple[/highslide].
Elle compte actuellement 328 membres qui se réunissent une fois par an en assemblée générale. Chaque membre dispose d’une voix au moment des votes.
L’assemblée élit pour une durée de deux ans les 16 membres de l’executive board (bureau exécutif).
L’executive board se charge d’approuver les décisions et de les faire appliquer. Les décisions prises au sein le bureau exécutif doivent l’être par consensus.
Principes et critères de la RSPO
La RSPO propose une série de principes et critères que les producteurs doivent respecter. Huit principes sont ainsi mis en avant concernant la transparence des informations mises à disposition du public, le respect des lois et normes en vigueur, la viabilité économique à long terme des activités, la responsabilité environnementale, la prise en compte des travailleurs et des communautés locales et le développement des nouvelles cultures.
A chaque principe correspondent des critères qui précisent la nature des engagements. A chaque critère correspond un indicateur qui doit être mis en place pour confirmer ou démontrer le respect des engagements.
Sur le plan de l’environnement, les critères concernent divers éléments comme le contrôle de la dégradation des sols, la qualité de l’eau, l’utilisation de produits chimiques, les émissions de CO2 et la présence d’espèces menacées.
Sur les aspects sociaux, les critères concernent les méthodes de communication entre producteurs et populations locales, le respect des lois et normes sur les conditions de travail, le droit de se syndiquer ou encore le travail des enfants.
Concernant les nouvelles plantations, elles ne doivent pas s’installer à la place de forêts primaires. Les critères précisent aussi que celles-ci doivent avoir fait l’objet d’une étude d’impact préalable sur les aspects en
vironnementaux, économiques et sociaux.
[highslide](L huile de palme certifiee RSPO;L huile de palme certifiee RSPO;;;)
Les premières plantations d’huile de palmes ont été certifiées en 2008.
80% de l’huile de palme certifiée est produite par deux entreprises : Agropalma au Brésil et Daabon en Colombie
Selon le WWF, à la mi-2009, RSPO certifiait 1.75 millions de tonnes (Mt) par an (volume équivalent à 1/3 de la consommation annuelle d’huile de palme de l’UE) alors que la production mondiale est de 47 Mt en 2009. (WWF palm oil buyers scoreboard, 2010)
En octobre 2009, sur ces 1.75Mt d’huile certifiée, seuls 19 % avait été vendue.
A l’heure actuelle, l’huile de palme certifiée ne représente qu’une part minime du total produit. Et seule une faible part de l’huile certifiée trouve preneur.
Sources : Greenpeace, WWF.
[/highslide]
Les critiques adressées à la RSPO
Une déclaration portée par 185 associations et ONG a vu le jour en 2008 [highslide](4;4;;;)International Declaration against the ‘Greenwashing’ of Palm Oil by the Roundtable on Sustainable Palm Oil 2008 disponible au 7/6/2010[/highslide]. Celles-ci dénoncent l’utilisation de la RSPO par des entreprises pour faire du » Greenwashing » [highslide](5;5;;;)Le « greenwashing » ou « éco-blanchiment » est un procédé de marketing qu’utilisent certaines entreprises dans le but se donner une image écologique et responsable[/highslide]. Leurs critiques sont de plusieurs types.
Une première série de critiques porte sur l’organisation elle-même de la table ronde. Au regard de la répartition des membres, on constate que la majorité des membres sont des industriels ou des producteurs d’huile de palme et que la représentation des ONG n’est que minoritaire. On peut donc s’interroger sur le rapport de force inégal entre industriels et ONG au moment des votes. Cependant, la présence des ONG dans l’executive board et le fait que les décisions soient prises par consensus peut aider à relativiser cette critique.
Une seconde série de critiques porte sur le peu de contraintes au niveau des critères environnementaux et sociaux. Ceci est susceptible de remettre sérieusement en cause le caractère durable de cette huile de palme.
- Les critères interdisent par exemple la destruction de forêts primaires, mais préconisent seulement d’ « éviter » d’utiliser d’autres forêts ou tourbières.
- Aucune obligation effective n’est prévue concernant les émissions de gaz à effets de serre.
- Le World Rainforest Movement WRM) explique que les acquisitions de terres doivent se faire avec le consentement des populations locales et moyennant des compensations. Problème: personne n’est chargé de vérifier le déroulement des négociations. C’est le caractère « significatif » du conflit qui déterminera si une plainte est recevable. [highslide](6;6;;;)WRM est un réseau d’ONG engagé dans la défense des forêts primaires. Cf. World Rainforest Movement[/highslide]
- Concernant les nouvelles plantations, celles qui ont causé des déforestations après novembre 2005 ne seront pas certifiées – celles plantées avant pourront l’être. Sachant qu’un palmier peut produire pendant 20 ou 30 ans, il sera donc possible d’avoir de l’huile de palme certifiée issue de la déforestation pendant encore quelques années.
- Il est précisé que l’utilisation de produits chimiques doit se faire sans mettre en danger la santé des populations et l’environnement – mais les pesticides 1A et 1B listés par l’OMS comme les plus dangereux ne sont pas interdits par la RSPO.
Enfin, une autre série de critique porte sur le fait que la RSPO entrevoit une production durable d’huile de palme au sein de plantations en monocultures. Or, ces deux termes – huile durable et monocultures – apparaîssent par essence tout à fait contradictoires.
Le positionnement des différents acteurs au sein de la RSPO
Comme nous l’avons vu, la RSPO se compose de différents types d’acteurs qui poursuivent des objectifs très différents.
Du coté des industriels, la participation à cette plateforme répond en partie à de réelles préoccupations liées à l’huile de palme. Leur participation peut aussi être vue comme un moyen de se donner une image « écologique ». Bon nombre d’entreprises (dont Sinar Mas qui est la plus grande société de plantations de palmier à huile en Indonésie) prétendent utiliser de l’huile de palme durable simplement parce qu’elles sont affiliées à la RSPO mais ne se soumettent pas à la certification. [highslide](7;7;;;)L’affiliation n’obligeant en rien à la certification ! Voir Greenpeace Fiche d’information: Destruction de la forêt vierge en Indonésie, 2010 disponible à cette URL au 11 juin 2010[/highslide].
Du coté des petits producteurs et des ONG locales, les réclamations concernent les conditions d’acquisition des terrains, les droits de propriété et les conditions de travail dans les plantations. Pour ces acteurs, la participation à la RSPO est vue comme un moyen d’entrer dans le débat politique et de faire pression de l’intérieur.
Quant aux ONG sociales et environnementales, leur attitude au sein de la RSPO est d’essayer d’obtenir des avancées sur les critères proposés. Le WWF qui est à l’initiative de la table ronde, publie à cet effet un classement des entreprises en fonction du respect de leurs engagements au sein de la RSPO et des efforts entrepris. Ici, le positionnement des ONG consiste à entamer un dialogue avec les acteurs de l’industrie pour obtenir des avancées.
Certaines ONG ont également fait le choix de ne pas participer à la RSPO parce qu’elles considèrent que leur présence servirait à légitimer les mauvaises pratiques des entreprises et contribuerait à promouvoir une huile de palme faussement durable.
Les deux positions peuvent être compréhensibles. Les ONG participant à la RSPO défendent l’idée que c’est par un processus de concertation avec l’ensemble des acteurs que des progrès s’opèreront.
De leur côté, les organisations qui n’ont pas pris part au processus préfèrent ne pas être impliquées dans une initiative dont les résultats concrets demeurent toujours très incertains. Leur principale crainte étant que les industriels se servent de leur présence pour se légitimer.
Bien que la RSPO soit une des seules initiatives pour avancer sur la voie d’une huile de palme plus « durable », elle souffre toujours d’un grand nombre de critiques. Elle pourrait constituer une véritable avancée si les critères étaient plus contraignants. Les objectifs des différents d’acteurs étant opposés, c’est uniquement dans un processus de négociation dans la durée que des progrès se produiront.
Huile de palme et commerce équitable
Nous avons vu que les questions liées à l’huile de palme sont complexes. Les problèmes d’expropriations de terres, les effets sociaux et environnementaux dans ce domaine sont évidemment tout à fait contraires aux principes de commerce équitable. Il est donc nécessaire de comprendre pourquoi l’huile de palme est toujours présente dans un certain nombre de
produits du commerce équitable et comment doit se positionner une organisation qui promeut ce type de commerce.
Concernant les substituts, il ne semble pas possible pour tous les produits alimentaires de remplacer l’huile de palme à cause des pertes de gout que cela pourrait entrainer et des propriétés spécifiques de cette huile végétale (effet liant, onctuosité, meilleure conservation dans les aliments). De plus, l’huile de palme n’est qu’une matière première qui est souvent mélangée avec d’autres huiles. Il est donc parfois difficile de déterminer la part exacte et la provenance de l’huile de palme contenue dans les produits.
Pour les produits cosmétiques, le problème est moins gênant puisque le recours à l’huile de palme n’est pas forcement indispensable. Dans les cosmétiques de la gamme NATYR (commercialisés par Oxfam-Magasins du monde), l’huile de palme est présente dans quelques produits sous le nom d’«Oenocarpus bataua» ou d’ « huile d’ungurahua » [highslide](8;8;;;)Ungurahua ou hungurahua est le nom d’une variété de palmier qui pousse en Amérique du sud et notamment en Equateur[/highslide] . Bien que cette huile ne soit pas certifiée « biologique » ou « commerce équitable », elle est produite sous l’égide de la Fondation Chankuap de manière traditionnelle et non intensive [highslide](9;9;;;)La Fondation Chankuap promeut des productions agricoles familiales et associatives dans le respect des ressources naturelles[/highslide]. Le prix payé pour ce produit est supérieur à celui proposé au niveau local. Malheureusement, la capacité de production de cette plantation n’est que de 1200 litres par an (dont la moitié est achetée par Natyr); une goutte d’eau en comparaison des 47 millions de tonnes d’huile de palme produits annuellement dans le monde.
Les organisations de commerce équitable comme Oxfam sont donc très concernées par le problème et explorent les solutions envisageables pour le résoudre. Plusieurs pistes sont en effet à explorer. Tout d’abord recourir à des substituts dès que cela est possible. Améliorer la transparence concernant le recours à l’huile de palme (mise en place d’une meilleure traçabilité sur la provenance et meilleur affichage sur les produits).Suivre l’avancement de l’initiative pour l’huile de palme durable (RSPO), bien que celle-ci pose toujours problème. Envisager le recours à des petits producteurs mais pour des quantités bien moindres.
La mise en place de ces « solutions » pourrait avoir des répercussions sur les niveaux de prix. Reste à savoir dans quelle mesure le consommateur peut consentir à payer plus pour un produit d’une meilleure qualité sociale et environnementale.
L’huile de palme est donc toujours présente en faible quantité dans quelques produits du commerce équitable. Malgré tout, ces produits offrent une plus value supérieure à ceux du commerce conventionnel en garantissant une rémunération décente aux producteurs et en permettant à des populations démunies d’améliorer sensiblement leurs conditions de vie. Reste maintenant aux organisations de commerce équitable la nécessité de réaliser des progrès pour trouver des substituts plus respectueux de l’environnement.
Romain Gelin
Stagiaire service politique
BIBLIOGRAPHIE :
Sites Internet :
- RSPO : www.rspo.org
- Site interministériel sur les OGM (France) : http://www.ogm.gouv.fr
Rapport, articles, presse :
- AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), Risques et bénéfices pour la santé des acides gras trans apportés par les aliments – Recommandations, Avril 2005
- Greenpeace Fiche d’information: Destruction de la forêt vierge en Indonésie, « Les forêts tropicales et l’huile de palme », 2010
- International Declaration against the ‘Greenwashing’ of Palm Oil by the Roundtable on Sustainable Palm Oil, 2008
- The Guardian, GM soya ‘miracle’ turns sour in Argentina, 16 avril 2004.
- Van Hauwermeiren, S,” Vanwaar komt onze palmolie”, W2, Oxfam Wereldwinkels, Juin 2009
- World Rainforest Movement, The ‘greening’ of the dark palm oil business, march 2010
- WWF, palm oil buyers scoreboard, 2009
Experte consultée
Laura Silva, aspirante F.N.R.S. à l’Institut d’Etudes du Développement, doctorante UCL (développement)