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Oxfam-Magasins du monde

Empowerment au féminin pour une société plus équitable

Analyses
Empowerment au féminin pour une société plus équitable

Dans une infographie du 08 décembre 2015, ONU Femmes rend compte de la situation mondiale en 2014 de l’exercice réel des droits des femmes, et de leur protection effective par nos gouvernements contre toute forme de discrimination dans les domaines publics et privés, conformément à la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF)[1. La CEDEF (CEDAW en anglais) est un document qui vise à “instaurer des conditions d´égalité, où les femmes soient en mesure d´exercer leurs droits humains dans la pratique, et où elles bénéficient d´un accès équitables aux possibilités et d´environnements favorables pour atteindre des résultats égaux”. La convention contraint donc les gouvernements signataires ou adhérents à modifier leurs lois et prendre les mesures nécessaires à l’élimination de toutes sortes de discrimination contre les femmes dans les domaines du public et du privé. Elle a été adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies, et est entrée en vigueur le 3 septembre 1981 après avoir été ratifiée par 20 pays. Aujourd’hui, 187 pays, soit plus de 95% des Etats membres des Nations Unies, ont ratifié cet instrument universel de référence sur les droits des femmes. La Belgique a ratifié la CEDEF par la loi du 11 mai 1983 (M.B. 05.11.85). Pour plus d’information sur la convention, voir : http://www.un.org/fr/women/cedaw/convention.shtml].
Encore en 2015, l’égalité des sexes devant la loi ne signifie pas nécessairement que les femmes bénéficient de chances égales dans la pratique, dans les domaines politique, social, économique, culturel et civil. Le constat dressé par  ONU Femmes montre le chemin qui reste à parcourir. En effet, 143 pays (sur 193 états membres des Nations Unies et 187 signataires de la CEDEF) garantissent dans leur constitution l´égalité des droits entre les femmes et les hommes, mais la discrimination contre les femmes persiste dans les domaines public et privé.
Par exemple, dans 83 des pays évalués, les salaires des femmes sont inférieurs de 10 à 30% à ceux des hommes (autour de 22% en Belgique sur une base annuelle[2. Selon les chiffres 2014 de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.]), ce qui implique une incidence supérieure de la pauvreté chez les femmes, une propension inférieure à économiser et à investir, une plus grande vulnérabilité face aux potentiels chocs externes (séparation, licenciement,…), entre autres effets négatifs.
Autre exemple frappant: les femmes n´occupent que 22% des sièges parlementaires dans le monde (39% en Belgique[3. Selon les chiffres de la banque mondial en 2014 : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SG.GEN.PARL.ZS]). Comment alors retrouver un environnement égalitaire et non discriminatoire, prenant en compte aussi les besoins spécifiques des femmes, si les cadres législatifs et exécutifs sont façonnés par une écrasante majorité d’hommes ?
En matière d´éducation et d´accès aux connaissances de bases en lecture et écriture, le taux d’analphabétisme est deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes selon les chiffres de l´Unesco de 2014[4. D’après l’Annuaire statistique de l’UNESCO, deux tiers des 875 millions de cas d’analphabétisme chez les adultes concernent aujourd’hui des femmes. En Asie du Sud-Est, 3 femmes sur 5 sont analphabètes, de même que la moitié des femmes africaines et du monde arabe.]. La Belgique reste concernée puisque les femmes sont plus touchées que les hommes par l’infrascolarisation[5. L’infrascolarisation est un terme qui renvoie à la situation des personnes n’ayant pas obtenu de diplôme ou étant diplômées au maximum de l’enseignement primaire.], ce qui participe au risque accru d’analphabétisme[6. Voir à ce sujets les études menées par Lire et Ecrire Communauté Française (http://communaute-francaise.lire-et-ecrire.be/images/documents/pdf/61_questions_sept2013.pdf) et le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale (http://www.luttepauvrete.be/chiffres_analphabetisme.htm)], et a de fortes répercussions sur elles en matière d´accès à leurs droits et opportunités, dans des domaines aussi variés que l´accès à l´emploi et plus généralement aux ressources économiques, aux soins de santé de qualité, en matière de représentation et participation dans la vie politique, etc.
Lorsqu’elles jouissent d’un accès égalitaires à l’éducation primaire, secondaire et supérieure, les femmes se voient davantage confrontées à d’autres difficultés, notamment concernant l’accès aux postes dits à responsabilités qui impliquent le pouvoir de décider sur des sujets collectifs. Les femmes de Belgique n’y échappent pas, notamment du fait qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à occuper des temps partiels. Selon une enquête de l’asbl Amazone réalisée fin 2015 auprès de 1092 personnes[7. Voir : http://www.amazone.be/IMG/pdf/resultats_barometre_de_l_emancipation_d_amazone_travail.pdf ], “41% des femmes travaillant à mi-temps le font pour pouvoir s’occuper de personnes tierces (comme les enfants ou leurs parents par exemple), contre seulement 23 % des hommes. Pour les hommes, la raison la plus importante d’un travail à mi-temps est de n’avoir pas trouvé de temps plein”.
Durant la carrière professionnelle, être femme est associé à la probabilité d’être mère, un argument qui justifie pour de nombreuses entreprises le recours officieux à des pratiques discriminatoires à l’embauche. A ce sujet, l’enquête d’Amazone révèle que 28% des femmes interrogées, contre 21% des hommes, estiment qu´être femmes est un obstacle à la réalisation de sa carrière. Les résultats varient selon la génération d´appartenance.
A la lecture de ces réalités globales et nationales, vingt ans après la quatrième conférence mondiale sur les femmes tenue à Pékin pour promouvoir la lutte pour l’égalité, le développement et la paix, la question d´une nouvelle campagne pour défendre l´égalité entre femmes et hommes par le biais d’un travail décent ne se pose pas, elle s’impose !
Amazone annonce le ton pour l’année 2016: “même si selon certain-e-s le féminisme est superflu à l’heure actuelle, il reste pourtant encore du chemin à parcourir, notamment dans le monde du travail”[8. Asbl Amazone : http://www.amazone.be/IMG/pdf/resultats_barometre_de_l_emancipation_d_amazone_travail.pdf]. En effet tant qu’il y aura des inégalités, les campagnes et actions de la société civile organisée seront nécessaires pour encourager et faire valoir l’empowerment des femmes ici et là, de manière solidaire.
Une campagne comme Fairchances lancée en 2015 par Oxfam-Magasins du monde défend l’égalité des femmes à accéder et jouir des mêmes opportunités et des mêmes droits que les hommes, notamment par le biais d’un travail décent, celui-ci offrant un cadre possible pour leur l’empowerment.
Le travail, et plus généralement l’économie, est en effet un des domaines fondamental de l’empowerment des femmes, à condition qu’il participe de leur émancipation au sens que la définissent Tilman et Grootaers (2014), c’est-à-dire à condition qu’il leur permette d’ « avoir une emprise plus grande sur leur environnement économique et social afin de pouvoir agir collectivement sur cet environnement et modifier les rapports sociaux de domination dans un sens plus équitable ».
En effet, pour être libérateur et émancipateur, l’empowerment doit se jouer tant sur la dimension individuelle (prise de parole, confiance en soi…) que collective (qui modifient les rapports sociaux et de pouvoir, notamment entre les femmes et les hommes), mais aussi dans la prise en compte des besoins et enjeux des territoires et des communautés.
Dans une économie sociale et solidaire centrée sur la vie et les territoires, comme dans le commerce équitable par exemple, on retrouve ce potentiel émancipateur là où les activités de production et de consommation permettent d’articuler de nouvelles pratiques qui relèvent tant de l’individu que du groupe, par la prise de décision en public, la délibération, les modes de gouvernances, la gestion des ressources, la mobilisation,… et contribuent ainsi à repenser, en même temps que l’économie, la politique.
Cette dimension collective est donc cruciale, puisque c´est celle qui permet de “changer le regard des autres sur soi” et sur les femmes dans toute leur pluralité, comme il apparaît dans de nombreux témoignages d´artisanes et productrices partenaires, en Inde jusqu’ au Burkina Faso, en passant par le Chili[9. Voir Dossier Femmes et commerce équitable, un couple qui fonctionne. Magazine Déclics (& des claques), Numéro 8, Oxfam-magasins du monde, Novembre 201 et Veillard P, Artisanat équitable et Genre, Oxfam-magasins du monde, novembre 2014.]. C’est un pari sur la solidarité, et sa capacité à bousculer les rapports de force. Quelle que soit la forme qu’ils prennent (coopératives, mutuelles, cantines populaires …), ces espaces autogérés propres à l´économie sociale et solidaire où les personnes opprimées organisent leurs vulnérabilités autour de leurs ressources, savoirs et compétences, deviennent des espaces d´entraide capables d´apporter des réponses adaptées aux différents besoins (psychologiques, familiaux, etc.) de ses membres, à travers des caisses de solidarité par exemple, là où les gouvernements ne garantissent pas les structures d´appui et de secours adaptés, conformément aux obligations inscrites dans la CEDEF. Ces espaces de partage représentent aussi un levier pour l´émancipation politique des femmes, dans la mesure où elles participent de la prise de décision collective, en y apportant leurs contributions individuelles.
L’émancipation se joue aussi dans l’expérimentation. En effet c’est à chaque collectif de femme ou féministe de créer, adapter ou réinventer les formes de son organisation et de sa gouvernance, car – et les mouvements féministes l´ont bien démontré à travers les histoires et les territoires – les femmes ne constituent pas un ensemble homogènes! Leurs revendications, leurs priorités et modes d’action se définissent selon la spécificité des territoires qu’elles habitent et de leurs structures socio-politiques, de leurs croyances et pratiques religieuses, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance à une communauté ethnique, etc. Selon ces facteurs et la manière dont ils se croisent, s’intersectent et s’accumulent, les femmes vivent de manière différente les inégalités et discriminations qui leur font violence, et les combattent différemment, avec souvent une grande créativité.
Cette diversité des formes dans les luttes et revendications féminines et féministes donne une grande richesse aux mouvements sociaux à travers le monde.
En ce sens le commerce équitable, averti des risques d’une instrumentalisation économique et managériale de l’empowerment[10. Pour approfondir le sujet lire : Guérin I, L’économie sociale et solidaire : féminine ou féministe ? Les cahiers du CIRTES, Paris, 2015. Ainsi que Tilman F, Grootaers D, L’empowerment et l’émancipation, même combat ? Le Grain asbl, Bruxelles, 06 octobre 2014.] qui ignore ou occulte les dimensions structurelles des inégalités, lorsqu´il invite les individu-e-s à organiser leurs vulnérabilités, leurs besoins et leurs ressources autour d´une activité économique et sur des bases sociales, collectives et solidaires, lorsqu’il encourage la création d’alternatives pour réinventer l’économie, la politique et le social en valorisant l’expérimentation,… est un levier d´émancipation et de transformation des rapports de pouvoirs discriminants entre les sexes.
Estelle Vanwanbeke

 Bibliographie: