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Flambée des prix agricoles : quel rôle pour le commerce équitable ?

Analyses
Flambée des prix agricoles : quel rôle pour le commerce équitable ?

Une flambée des prix agricoles

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix alimentaires internationaux ont atteint leur plus haut niveau depuis que l’organisation a commencé à les mesurer, en 1990. Les prix actuels dépassent donc les prix atteints en juin 2008, alors que la crise alimentaire mondiale donnait lieu à des « émeutes de la faim » dans plusieurs régions du monde. Lorsque les prix des produits alimentaires montent, les plus pauvres sont les premiers à ne plus pouvoir acheter la nourriture dont ils ont besoin.
Cependant, à l’heure actuelle, la situation est moins grave qu’en 2008. Ce sont principalement les pays importateurs de produits alimentaires qui sont touchés et, grâce à de bonnes récoltes, la plupart des autres pays sont encore à l’abri de la crise. Toutefois, bien que les réserves actuelles de céréales soient aujourd’hui beaucoup plus grandes qu’en 2007-2008, une nouvelle crise alimentaire mondiale pourrait se produire si aucune réponse crédible n’est apportée.
Les causes de cette situation sont complexes et diverses. Elles incluent notamment la diminution de la production alimentaire dans certains pays suite à de mauvaises conditions climatiques ; l’augmentation du prix du pétrole, qui pèse sur les coûts de production et de transport ; la production d’agrocarburants au détriment de la production vivrière ; la spéculation financière sur les produits agricoles ; la croissance de la population mondiale ou encore la baisse de productivité agricole due aux changements climatiques, à la dégradation des sols et au manque d’investissements dans l’agriculture.
Les prochains mois seront déterminants : si les récoltes sont bonnes dans les principaux pays exportateurs de denrées alimentaires et dans les pays les plus peuplés, on pourrait assister à une diminution des prix des produits alimentaires. Par contre, de mauvaises récoltes auraient pour effet de faire grimper les prix encore davantage. Sur ce point, l’équation est donc relativement simple : les prix augmenteront si l’offre disponible n’est pas suffisante.
Gagnants et perdants
On pourrait supposer que la hausse des prix agricoles est une bonne nouvelle pour les paysans du Sud. Pourtant, dans l’ensemble, l’augmentation du prix des denrées alimentaires a des conséquences négatives pour les paysans pauvres. Pour plusieurs raisons :

  • Les paysans pauvres sont peu informés de l’évolution des marchés et leur pouvoir de négociation des prix est faible. Les bénéfices de l’augmentation des prix se concentrent donc chez d’autres acteurs de la filière commerciale : intermédiaires, négociants, entreprises de transformation et de distribution.
  • Ils disposent de peu d’infrastructures pour stocker leur production et ne peuvent donc pas se permettre d’attendre que les prix soient élevés pour vendre.
  • Enfin, les paysans sont aussi acheteurs de produits alimentaires pour leur propre alimentation et sont donc touchés en tant que consommateurs par les hausses des prix alimentaires. Rappelons que 80% des personnes souffrant de la faim vivent dans des zones rurales et dépendent directement ou indirectement de l’agriculture pour leur survie. Si elles ont faim, c’est avant tout parce qu’elles sont pauvres [highslide](1;1;;;)
  • DE SCHUTTER, Olivier, Rapport du Rapporteur Spécial sur le droit à l’alimentation, Mission auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce, 25 juin 2008, p.6.
    [/highslide] .

Les paysans pauvres font donc partie des perdants de la flambée des prix, aux côtés notamment des travailleurs agricoles et des habitants des bidonvilles. Pour survivre à de nouvelles augmentations des prix, ils seront obligés de réduire leur consommation de nourriture et de diminuer leurs dépenses dans des domaines comme l’éducation ou la santé, de vendre des biens essentiels comme leur bétail ou leurs terres, ou encore de s’endetter très lourdement.
Si les pauvres sont les perdants, d’autres acteurs réalisent quant à eux des bénéfices grâce à la hausse des prix. C’est le cas des grandes entreprises agro-alimentaires, des supermarchés, des entreprises de graines et d’engrais ou encore des gros investisseurs actifs dans la spéculation sur les prix alimentaires.

Des impacts sur le commerce équitable

Dans ses principes et son fonctionnement, le commerce équitable propose une forme de régulation des transactions commerciales permettant de limiter la volatilité des prix et de ne pas laisser ceux-ci descendre en-dessous de seuils déterminés. Alors que les marchés des matières premières agricoles sont marqués par une forte volatilité des prix, le commerce équitable peut apparaître comme une alternative crédible. Mais, dans le même temps, le fonctionnement du commerce équitable est aussi mis à mal par l’actuelle flambée des prix des matières premières agricoles. Dans les lignes qui suivent, nous nous baserons sur l’exemple du café. Mais des constats comparables peuvent être tirés pour d’autres matières premières agricoles pour lesquelles il existe une certification équitable, comme le sucre ou le cacao.

Le prix minimum garanti : un outil contre la volatilité des prix

Dans le domaine des matières premières agricoles, l’une des caractéristiques principales du commerce équitable réside dans la fixation d’un prix minimum garanti pour chaque produit certifié. Le principe est simple : le prix payé aux organisations de producteurs ne peut jamais descendre en-dessous du prix minimum garanti. Lorsque le prix payé sur le marché international est supérieur au prix minimum du commerce équitable, celui-ci est augmenté et le prix payé aux producteurs est celui du marché, auquel s’ajoute une prime destinée aux projets collectifs de l’organisation.
Le graphique ci-dessous a été réalisé par l’organisation britannique de labellisation Fairtrade Foundation (l’équivalent de Max Havelaar au Royaume-Uni). Le graphique, qui propose une comparaison de l’évolution du prix du café arabica dans le commerce équitable (en bleu clair) et du prix de l’arabica à la Bourse de New York (en bleu foncé) entre 1989 et 2011, illustre bien la logique du prix minimum à travers le temps ainsi que la volatilité des prix sur le marché international. Alors que le prix minimum équitable n’est jamais descendu en-dessous de 1,25$ par livre de café arabica et s’est dans tous les cas de figure vu majoré d’une prime de 0,10$ par livre, le prix du marché a quant à lui oscillé entre 0,45$ en octobre 2001 et 2,43$ en décembre 2010 ! Et, depuis, le prix a continué à grimper.
Contrairement aux mécanismes du marché, qui entraînent des variations des prix rapides et largement imprévisibles, le commerce équitable permet de créer une certaine stabilité pour les producteurs. Grâce au prix minimum garanti, les organisations de producteurs peuvent planifier leurs activités dans une plus grande sécurité, dans la mesure où elles sont sûres de ne pas devoir faire face à d’énormes chutes des prix de vente de leur production.
 

Comparaison du prix minimum du café arabica équitable et du prix à la Bourse de New York. Source : Fairtrade Foundation

 

Un prix du marché élevé : une tentation dangereuse

Lorsque le prix offert sur le marché conventionnel est élevé, l’avantage relatif du commerce équitable est moins important qu’en période de bas prix, à tout le moins dans une perspective économique à court terme. De plus, comme la participation au commerce équitable implique une série d’obligations pour les producteurs, la faible différence de prix entre le prix du marché et le prix du commerce équitable peut sembler insuffisante pour compenser les efforts que doivent fournir les producteurs pour rester dans le commerce équitable. Dans un contexte de prix élevés, il est donc tentant pour les producteurs individuels de vendre sur le marché conventionnel. Un constat similaire peut être tiré dans le cas de l’agriculture biologique : le prix du café conventionnel étant actuellement élevé, beaucoup de producteurs ne voient pas d’intérêt à maintenir ou obtenir une certification biologique [highslide](2;2;;;)
FAIRTRADE INTERNATIONAL, Fact Sheet Standards pour le café Fairtrade, 15 mars 2011.
[/highslide] . La logique est la même que dans le cas du commerce équitable : la certification bio coûte de l’argent, elle implique des efforts au niveau des méthodes de production et elle offre un gain économique relativement peu important par rapport au café conventionnel. Conséquence : les prix élevés sur le marché poussent certains producteurs vers un retour aux méthodes de production conventionnelles.
Par ailleurs, la logique de planification à long terme du commerce équitable souffre de la volatilité des prix observée sur les marchés. Ainsi, beaucoup de coopératives de producteurs inscrites dans le commerce équitable fixent les prix de vente avec les acheteurs plusieurs mois avant les récoltes. En principe, cette pratique profite aux organisations de producteurs, notamment en permettant le préfinancement partiel des commandes, lorsque les producteurs le demandent. Or, dans un contexte de flambée des prix, le prix équitable fixé de manière anticipée peut être inférieur au prix offert directement par d’autres acheteurs du marché conventionnel au moment où la récolte est prête à être vendue.
Dans de telles conditions, certains producteurs membres de coopératives optent pour une stratégie individuelle et préfèrent vendre leur production à des intermédiaires conventionnels qui paient cash, plutôt que fournir leur coopérative. De leur côté, les intermédiaires tirent profit de la situation de hausse des prix dans une étape ultérieure, lorsqu’ils revendent le café à un prix tenant compte de l’augmentation du prix du marché [highslide](3;3;;;)
Flambée des cours des matières premières : le commerce équitable apporte-t-il des solutions ?, 10 mars 2011, www.novethic.fr
[/highslide] . Sur le marché à terme du café, où le prix du jour s’applique à la production livrée trois mois plus tard, la position de l’intermédiaire commercial est souvent plus confortable que celles du producteur…
Le problème est de taille pour beaucoup de coopératives, qui ont du mal à répondre aux commandes de leurs acheteurs. Fairtrade International a réagi en augmentant le prix minimum garanti et la prime de commerce équitable pour le café arabica, qui passent respectivement à 1,40$ (+0,15$) et à 0,20$ (+0,10$) par livre. Dans le même sens, le bonus payé pour le café biologique passe de 0,20 à 0,30$. Autre nouveauté : sur les 0,20$ de la prime de commerce équitable, 0,05$ devront être affectés aux efforts d’amélioration de la productivité et de la qualité. Il ne s’agit donc pas seulement de répondre au défi à court terme de la hausse des prix, mais aussi de réaliser des investissements bénéfiques pour la production agricole dans une perspective à plus long terme.
Sur le versant Nord du commerce équitable, les organisations importatrices doivent elles aussi faire face à de sérieuses difficultés. Alors que le secteur avait, depuis plusieurs années, bénéficié du fait que le prix minimum du commerce équitable était supérieur au prix du marché, les organisations importatrices doivent à présent réaliser des investissements importants pour s’approvisionner en café. Les marges créées par la vente de café équitable aux consommateurs sont donc en chute libre.

Le commerce équitable : sauveur ou victime ?

Le risque de voir éclater une nouvelle crise alimentaire montre à quel point il est nécessaire de mettre en place des mécanismes limitant la volatilité des prix. Or, le constat que l’on peut tirer sur le commerce équitable est paradoxal : il propose des solutions à la volatilité des prix, en mettant en place une régulation assurant une certaine stabilité des prix et leur maintien à un niveau décent pour les producteurs, mais il est aussi menacé par la hausse rapide des prix agricoles. Le constat dépend en fait de la perspective adoptée.
Dans une perspective à court terme, l’avantage comparatif du commerce équitable pour les producteurs dépend largement de la conjoncture : lorsque le marché offre des prix bas, parfois en-dessous des coûts de production, les avantages du prix minimum garanti et de la prime du commerce équitable sautent aux yeux. Mais ces pratiques ont évidemment moins d’intérêt pour les producteurs en période de prix élevés.
Par contre, dans une perspective à long terme, le commerce équitable offre un avantage de stabilité que ne pourra jamais garantir un marché dérégulé. La courbe de l’évolution du prix du café arabica le montre bien. Si, aujourd’hui, alors que les prix du marché sont élevés certains producteurs inscrits dans le commerce équitable font le choix de vendre dans le commerce conventionnel, que feront ces mêmes producteurs lorsque les prix auront chuté ? Dans un marché caractérisé par la volatilité des prix, il est possible que les prix offerts sur les marchés connaissent de fortes chutes dans un futur relativement proche. Le filet de sécurité que met en place le commerce équitable garde donc toute sa pertinence.
François Graas
Service politique