Dans le cadre de la campagne « Fair Chances » sur les inégalités hommes-femmes dans la sphère du travail, Oxfam-Magasins du monde s’est appuyée sur les principes du travail décent. En effet, cette notion de travail décent est un levier essentiel pour faire progresser l’égalité hommes-femmes. Lorsqu’une femme accède à un emploi de qualité, rémunéré de manière équitable, elle devient plus autonome financièrement et gagne de la confiance. Les regards dans son entourage familial et la société évoluent tandis que la pauvreté diminue.
L’importance du travail décent pour aboutir à plus d’égalité entre hommes et femmes est-elle la même au Sud et au Nord ? Pour approfondir cette question, Oxfam-Magasins du monde a voulu mettre en lumière les principaux freins à l’égalité hommes-femmes en Inde et en Belgique et les pistes pour les dépasser. Dans deux analyses distinctes, nous donnons la parole à deux expertes de la question « emploi et genre », Véronique De Baets en Belgique et Shalini Sinha en Inde.
Ceci est donc la deuxième analyse qui s’intéresse à la situation en Belgique, avec l’interview de Véronique De Baets, experte « genre et emploi » à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.
Hélas non… Les stéréotypes sexistes ont la vie dure et il reste encore beaucoup de travail pour que femmes et hommes soient égaux. Petit tour de la question avec Véronique De Baets de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, spécialiste de l’aspect « genre et emploi ».
Quel est le poids de la culture dans les inégalités hommes femmes ?
En Belgique, ce poids est très important. Mais il est tellement intégré qu’on ne le sent pas. Notre société est pourtant influencée par de nombreux stéréotypes sexistes. Ce n’est pas un hasard si on retrouve plus de femmes dans les filières liées à la santé ou au social. Ces filières sont moins valorisé socialement, on y trouve plus de temps partiels, plus de contrats précaires et le salaire y est généralement moins élevé.
C’est le résultat d’une culture encore trop marquée par des stéréotypes : on va éduquer les petits garçons à être plus combatifs, à avoir moins le droit à l’erreur. On retrouve donc plus d’hommes par la suite dans des métiers en général plus combatifs, plus valorisés professionnellement et qui correspondent davantage à des temps pleins.
La culture et l’environnement sexiste vont donc avoir une influence sur l’accès à l’emploi des femmes, sur leur carrière et aussi sur la pauvreté de certaines femmes. Elles sont en général plus impliquées dans les tâches ménagères et dans l’éducation des enfants. En Belgique, les femmes travaillent en moyenne 8h et demi de plus que les hommes par semaine dans le travail domestique, sans prendre en compte le travail lié aux enfants. A l’inverse, les hommes travaillent 7 heures de plus de manière professionnelle rémunérée. Cela a forcément un impact sur la pension ou sur le chômage des hommes, qui seront plus élevés que chez les femmes.
Donc, même s’il y a eu beaucoup de progrès, les problèmes d’égalité en Belgique sont moins visibles mais toujours présents. L’image de la femme au service de la famille ou au service de l’homme est toujours d’actualité. Nous essayons de combattre cette image par des campagnes de sensibilisation, par une approche au niveau de l’enseignement…
Et pour les femmes qui parviennent à des postes de décision ou dans des carrières où on ne les attend pas, comment cela se passe ?
Souvent, lorsque les femmes parviennent au sommet de la hiérarchie d’une entreprise et qu’elles sont en minorité, elles adoptent des postures masculines. Elles se fondent dans la culture ambiante. Par contre, si les femmes représentent une certaine masse critique, environ 30%, alors on remarque un enrichissement mutuel puisque chaque sexe peut apporter sa spécificité dans son approche.
Comment faire en sorte que la législation donne de meilleurs résultats ?
En Belgique, on a effectivement beaucoup de lois, mais toutes n’ont pas la même efficacité. Par exemple, grâce à la loi sur les conseils d’administration, qui impose un quota dans les grosses sociétés cotées en bourse, le nombre de femmes a vraiment augmenté dans ces structures. Mais des études montrent que, dans tous les secteurs, les femmes sont sous-représentées aux niveaux de pouvoir, y compris dans les ONG, dans le non marchand, dans les médias… Il reste donc beaucoup de travail.
Et comment peut-on lutter contre cette situation ?
Il faut s’attaquer à la racine du problème, dès la petite enfance, pour lutter contre les stéréotypes. On remarque que le fait de prévoir suffisamment de places d’accueil pour les petits enfants et d’accueil extra-scolaire pour les enfants plus âgés a un impact très positif sur l’offre d’emplois de qualité pour les femmes. Un autre point est lié aux congés parentaux, qui sont prévus par la loi en Belgique, et qui facilite l’équilibre entre la vie familiale et l’emploi. Le souci, c’est que ces congés sont essentiellement pris par les femmes, ce qui va avoir un impact négatif sur leur carrière. Implicitement, cette situation renforce l’image de la femme plus impliquée dans les tâches liées à l’éducation et au ménage à la maison. Nous essayons donc d’encourager les hommes à prendre ces congés et à s’investir davantage dans la sphère familiale (NDLR : le congé de maternité en Belgique est de 15 semaines pour les femmes et de 10 jours pour les hommes).
Si on veut que les femmes soient plus présentes sur le marché du travail, il faut aussi renforcer la présence des hommes dans la sphère familiale.
Y a-t-il une évolution naturelle dans le partage des tâches ménagères en Belgique ?
Non, il faut continuer à sensibiliser et à lutter contre les stéréotypes qui nous enferment dans des rôles traditionnels. Il semble que sans cela, les pères consacreraient moins de temps aux enfants et continueraient à privilégier leur carrière professionnelle. Il y a pourtant une étude qui montre que plus de 70% des pères souhaiteraient consacrer davantage de temps à leur famille mais nombreux sont ceux qui n’osent pas demander un congé parce que culturellement, dans la mentalité des entreprises, ce serait très mal vu.
Comment peut-on améliorer l’égalité hommes-femmes en matière de salaire ?
En Belgique, l’écart salarial entre hommes et femmes n’est pas très élevé : il est de 9% sur une base horaire alors que la moyenne européenne est de 16%. Cet écart devient beaucoup plus grand si on l’analyse sur une base annuelle, c’est-à-dire si on prend en compte le temps partiel. Il est alors de 22%. L’écart de salaire est surtout important entre les personnes qui ont des emplois de qualité (davantage les hommes) et des personnes qui sont dans des secteurs moins rémunérateurs et avec des statuts plus précaires (surtout des femmes). Ce fossé entre bons emplois et emplois de seconde catégorie risque de se renforcer avec la crise.
En Belgique, près de 45% des femmes salariées travaillent à temps partiel ; chez les hommes c’est un peu moins de 10%. Cette situation empêche les femmes d’être complètement autonomes. Elles sont généralement dépendantes du conjoint financièrement. En cas de rupture, elles se retrouvent seules avec les enfants, car plus de 80% des chefs de famille monoparentales sont des femmes ! Cela entraîne un gros risque de précarité. Ce risque est aussi présent au moment de la pension, puisque les femmes n’auront pas cotisé à temps plein pour leur pension. Il y a donc un problème de pauvreté qui touche spécifiquement les femmes en Belgique.
Quelle vue a-t-on sur le secteur du travail informel, non déclaré en Belgique ?
Il est difficile d’en parler vu qu’on ne dispose pas de chiffres. La création des titres services aurait permis de légaliser environ 140 000 emplois. Par contre, ces emplois sont peu rémunérés, sont souvent en temps partiel et offrent peu de possibilité d’évolution de carrière… Ces emplois sont surtout occupés par des femmes (c’est principalement du travail de nettoyage et de ménage). On a donc légalisé des situations qui sont pourtant sources d’inégalités hommes-femmes.
Comment les femmes peuvent-elles se défendre par rapport à une discrimination sur leur lieu de travail ?
Beaucoup de lois permettent de lutter contre certaines discriminations comme le paiement inégal pour des tâches équivalentes ou comme le licenciement lors d’une grossesse. Les femmes ou les hommes qui le souhaitent peuvent contacter l’Institut au numéro gratuit 0800 12 800. Nous avons un service de première ligne qui donne gratuitement les possibilités de recours et de médiation.
Etes-vous optimiste quant à l’évolution de la situation ?
Le contexte économique et budgétaire n’est pas très propice à plus d’égalité. Il faudra être attentif à ce que les coupes budgétaires n’entravent pas le travail des institutions et associations compétentes en la matière. Sur le marché du travail, il y a des projets pour rendre le travail des femmes plus flexible, ce qui est une bonne chose. Au niveau européen, 35% des mères sont inactives mais la toute grande majorité d’entre elles (plus de 80%) souhaiterait travailler si le travail était plus flexible… Mais il faut que cela se fasse aussi dans l’intérêt du travailleur et pas uniquement dans celui de l’employeur.
Il faudra également continuer à lutter contre les stéréotypes de genre à l’école mais aussi dans les médias et dans la publicité.
Le gender mainstreaming, une approche globale du genre
Selon le Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du Conseil de l’Europe, le gender mainstreaming est : « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ».
Conclusion
Tant en Inde qu’en Belgique, il semble primordial d’impliquer les hommes pour arriver à une plus grande égalité hommes-femmes au travail. En effet, à des degrés divers, ces deux pays sont encore marqués par la domination masculine. En Inde, les violences envers les femmes sont évidemment bien plus présentes dans la société mais on assiste à une importante mobilisation autour de cette question et les progrès en matière d’éducation des filles ont été très importants ces dernières années. En Belgique, la menace pourrait venir de ce sentiment que l’égalité entre hommes et femmes est atteinte, alors qu’on est encore loin du compte. En effet, les femmes sont les premières victimes de la grande pauvreté en Belgique, et cette situation est directement liée aux différences dans la manière dont les femmes et les hommes évoluent sur le marché de l’emploi ainsi qu’ à la place que les hommes prennent dans la sphère familiale. Tant en Inde qu’en Belgique, il s’agira de sensibiliser les hommes à ces inégalités et à leurs causes. Mais il faudra également continuer le plaidoyer auprès des instances gouvernementales afin d’offrir aux femmes de réelles chances d’épanouissement et d’empowerment. Enfin, il faudra veiller à mettre en place une éducation respectueuse de l’égalité hommes-femmes et continuer à lutter contre les stéréotypes, afin que les filles et garçons de demain travaillent ensemble pour plus d’égalité.
Roland d’Hoop
Sur base de propos recueillis par Sébastien Maes.