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Oxfam-Magasins du monde

Innovation sociale pour un mouvement de (en?) transition (2e partie)

Analyses
Innovation sociale pour un mouvement de (en?) transition (2e partie)

Oxfam-Magasins du monde se propose d’ici 2020 de « s’inscrire dans ces mouvements de citoyens qui réinventent le monde » pour contribuer au passage de nos sociétés modernes à d’autres formes plus inventives et solidaires de créer du lien et de l’échange[1. Voir Axe No. 3 du plan stratégique 2015 – 2020 d’Oxfam-Magasins du monde]. Cette analyse en deux parties s’intéresse en particulier à deux phénomènes citoyens: le mouvement de la Transition d’une part, et celui de l´innovation sociale d‘autre part. Innovation sociale et transition sont deux notions qui ont émergé avec force depuis le début du 21ème siècle en marge des discours économiques et politiques traditionnels qui font l’apologie de la croissance dans tous ses ressorts. Lorsque l’on s’attache aux principes et aux pratiques des réseaux d’initiatives de la Transition et de l’innovation sociale à différentes échelles, il est aisé d’établir des liens étroits entre les deux mouvements, qui entrent à leur tour en résonnance avec celui d’Oxfam-Magasins du monde, afin de dégager des pistes de réflexion pertinentes pour les mutations que ce dernier s’apprête à engager.

Mouvement de transition et innovation sociale : des intentions partagées, une diversité de modalités d’action

Comme l’indique son nom, la Transition implique un passage d’un état à un autre. Selon le réseau des initiatives de transition de Wallonie-Bruxelles, le mouvement de Transition désigne aujourd’hui de manière générale « le passage vers une société plus « sage » et basée sur plus de liens humains de qualité », une définition large qui permet d’une part de laisser place aux différentes approches théoriques et spirituelles qui ont inspiré le mouvement, et d’autre part de rassembler un spectre pluriel d’initiatives citoyennes qui se voient reflétées dans ses principes, ou qui s’y inspirent, engagées dans un passage collectif à une meilleure qualité de vie pour les habitants du monde, à des modes de vies plus humains, plus responsables, en touchant à différents aspects de la vie quotidienne comme le transport, l’organisation urbaine, la consommation, la production… à l’échelle des quartiers.
Le mouvement de Transition et l’innovation sociale ont en commun qu’ils regroupent des individus engagés à questionner et bousculer les manières établies de faire société, souvent avec créativité. La pensée ou « l’esprit » de design[2. Le Design Thinking est une approche qui place l’humain au cœur du processus de l’innovation et de son management. Ce processus initialement  développé en 7 étapes non linéaires par Rolf Faste dans les années 80 (Définir, Rechercher, Imaginer, Prototyper, Sélectionner, Implémenter, Apprendre) a été repris et adapté par différentes universités, entreprises,  agences de design, administrations publique, etc., pour valoriser la participation de l’usager dans l’innovation, en sollicitant notamment son intuition et sa créativité pour mieux répondre à ses besoins.], que l’on retrouve souvent dans son terme anglais (Design Thinking), est d’ailleurs au centre des intérêts et de la démarche d’un nombre grandissant d’organisations publiques et privées engagées dans l’amélioration sensible des qualités de vies sur leur territoire[3. Voir notamment le travail de la 27ème région ou de Lille Design en France.]. Au regard des définitions développées dans la première partie de l’analyse et plus haut, il est aisé de constater que les frontières entre les deux sont perméables et flexibles à souhait. L’innovation sociale est d’ailleurs un terreau de la transition. En effet, pour reprendre l´expression de Joseph Schumpeter, toute destruction est créatrice. Les destructions provoquées par la révolution industrielle et son lot d´innovations technologiques facilitant l´exploitation irresponsable des ressources naturelles, laisse aujourd´hui place au besoin ressenti par un collectif d´habitants de la planète de passer à un autre mode de vie, et donc de créer un nouveau monde de possibles. La nouveauté de nos jours se trouve dans les innovations citoyennes.
On observe par exemple que des projets comme les coopératives d’agriculture paysanne biologique et locale, les Repairs Cafés ou autres jardins urbains, s’insèrent parfaitement dans les deux définitions. Ils partagent des préoccupations d’ordre social et environnemental, questionnent le rapport de l’être humain avec son environnement pour construire des sociétés plus résilientes, aimables et durables. A travers des formes diverses, ces personnes regroupé-e-s autour de projets (re)créent des liens sociaux à l’échelle des quartiers et des communes, rapprochent les villes des campagnes, les citoyens-consommateurs des lieux et processus de production, voire même insèrent des espaces d’agriculture en ville, favorisent l’autonomie mobile et énergétique, l’interdépendance et donc la coopération, la résilience alimentaire, etc.
Ainsi, qu’elles se revendiquent membres d’un réseau de transition ou d´innovation sociale, les initiatives porteuses de changement ont en commun :

  • Des citoyen-ne-s au cœur du changement pour mettre en place des initiatives positives, réalistes, tangibles, claires et concrètes ;
  • La mutualisation et l’optimisation des ressources (humaines, sociales, écologiques et de savoirs) et la mise à profit de l’intelligence collective des citoyen-ne-s pour mieux programmer les villes et les campagnes ;
  • Le quotidien et le quartier comme lieux par excellence d’innovation sociale pour mettre en place la transition, mais un quartier ouvert, capable de dialoguer avec d’autres, à l’échelle des collectivités territoriales, puisque le changement doit s’opérer en tant que système, et que « la solution est de la même taille que le problème »[4. Expression reprise des principes du réseau wallon d´initiatives de transition: http://www.reseautransition.be/la-transition/les-principes-de-base/];
  • La créativité et la convivialité comme vecteur de partage et de solidarité, pour une meilleure qualité de vie ;
  • L’autogestion est favorisée, dans la reconnaissance de l’interdépendance des besoins, des vulnérabilités et des ressources ;
  • Le partage et la coopération pour des villes et des campagnes inclusives, solidaires et ouvertes sur le monde ;
  • Une préoccupation environnementale, puisque des solutions réalistes et durables pour les générations à venir ne sauraient s’imaginer sans être solidaire avec l’environnement et les espèces animales. Cette préoccupation est d’autant plus prononcée dans le mouvement de Transition qui s’est construit au début des années 2000 sur l’urgence d’apporter des alternatives concrètes face aux limites d’une économie de croissance basée sur l’exploitation des ressources naturelles et des énergies fossiles, au pic pétrolier et aux effets du changements climatiques, inséparables l’un de l’autre[5. Pour plus d’information voir le Manuel de Transition de Rob Hopkins, 2008.].

Ainsi, quel que soit le nom qu’il porte, un mouvement engagé dans le passage d’un modèle de faire société à un autre plus solidaire et responsable doit être analysé en tant qu’écosystème dans lequel chaque acteur, individu ou collectif, peut prendre et trouver sa place, dans le respect de sa spécificité et de ce qu’il a à apporter au changement.

Quelle place pour le mouvement Oxfam-Magasins du monde?

Etre un mouvement est un ADN d’Oxfam-Magasins du monde. Un mouvement décidé à retrouver une attitude pionnière dans le paysage social et associatif national et international, ainsi que sur le plan économique, pour participer aux changements de sociétés en y apportant sa plus-value.
La vision de changement portée par le mouvement Oxfam-Magasins du monde rejoint à bien des niveaux les intentions des mouvements d´innovation sociale et de Transition, dans sa volonté de provoquer des changements sociaux et de société sur un plan structurel et systémique, à différentes échelles territoriales, et dans la conscience de l´importance d´agir en collectif et articulé à d´autres.
Le commerce équitable a innové à l´époque de son émergence, à la fin des années cinquante pour l’Europe. L´engouement qu´il a suscité pour une partie non négligeable de la population lui a permis de s´ancrer et de se positionner ces vingt dernières années comme une alternative crédible aux règles commerciales conventionnelles, dévastatrices pour les pays de « seconde classe » dans l’échiquier géopolitique global. Paradoxalement, sa pérennité lui a fait perdre au fur-et-à-mesure du temps son caractère innovant, il est par conséquent devenu moins attractif auprès des citoyens-consommateurs en recherche d’innovation. Or, au regard des nouveaux défis auxquels font face nos sociétés modernes (replis identitaires, changements climatiques et crises alimentaires, entres autres), les organisations du commerce équitable conservent une pertinence et une spécificité qui représentent une plus-value qu´il convient d´analyser de plus près. Dans quelle mesure les organisations de commerce équitable peuvent-elles encore innover simultanément dans l’économique, le social et l’environnemental ? Nous évoquerons ici la piste du réseau de magasins comme laboratoire d’innovations sociales.
En effet, forte de son assise territoriale et citoyenne, Oxfam-Magasins du monde s´est construite une réelle légitimité dans le secteur de l’économie sociale et solidaire en Belgique, puisque qu’elle est portée par un réseau de plus de 2000 citoyennes et citoyens impliqué-e-s dans ses projets. Le modèle économique que l’organisation propose a la spécificité d’être social puisqu’il place l’humain au cœur de son projet. Il est en plus solidaire avec les pays aux suds et aux nords (depuis 2013 l’organisation a élargi ses relations de partenariat à des producteurs de Belgique et d’Europe).
Cette assise s’est construite à travers un réseau de 85 points de vente de produits équitable ou de vêtements de seconde main, gérés par des équipes de bénévoles qui puisent leur motivation et leur engagement dans des valeurs et principes de vie qu’elles partagent avec Oxfam. Ces magasins font vivre un modèle réaliste d’économie solidaire, et dans certains cas circulaire (vêtements de seconde main) tout en dynamisant le lien social dans leurs quartiers et communes, au quotidien. 85 magasins, 2500 bénévoles adultes, 120 bénévoles jeunes et 68 salariés, en voilà un terreau d’innovation[6. Chiffres repris de la brochure « Oxfam-Magasins du monde, tout un mouvement », disponible en ligne : http://www.outilsoxfam.be/produits/53.]!
Le mouvement Oxfam-Magasins du monde offre en effet une somme plurielle de métiers, d’ expériences et savoir-faire complémentaires qui, conjugués à ceux d´autres acteurs, peuvent gagner en force de proposition, de persuasion et d´impact dans les paysages économique et politique régionaux et locaux, tout en évitant l´essoufflement.
Une étude externe réalisée en décembre 2015 pour Oxfam-Magasins du monde pour mieux évaluer la situation de la sensibilisation en magasin rend compte des forces, des faiblesses, des menaces et des opportunités du mouvement dans le contexte du mouvement de Transition[7. GREGA  P. , BAHR K., CABALLERO N., OXFAM-Magasins du Monde, Evaluation externe sur la sensibilisation en magasin, décembre 2015.]. Dans cette étude, les auteur-e-s font aussi émerger des pistes et des rôles possibles pour l’organisation dans un tel contexte. Ils émettent la possibilité de revoir l’organisation des ressources humaines et des leaderships ; d’assumer, dans certains cas et territoires, un rôle fédérateur d’initiatives locales ; ils recommandent une optimisation des espaces et des actions destinés à la sensibilisation, en ouvrant par exemple le magasin à des initiatives de Transition sous différentes formes (espaces de vente pour produits locaux, espaces de rencontre-débat, espaces café et lecture …), ce qui leur permettrait en plus de se renforcer mutuellement dans leurs capacités de communication, d’organisation, et d’action, par exemple via le partage de méthodologies et d’expériences entre équipes, par l’organisation conjointe d’événements alternatifs et innovants, etc.
La transition et l’innovation sociale passent nécessairement, comme nous l’avons vu dans cette analyse en deux parties, par un processus d’expérimentation qui implique une prise de risque face à l’inconnu (du résultat, d’un monde en crise…). La somme de toutes les idées et ressources des salariées et bénévoles peut faire du mouvement un terrain d´innovation quotidienne et locale, dans la mesure où les équipes reconnaissent et prennent acte de leur capacité de création. Articulées à d’autres, elles deviennent capables d’adopter de nouveaux rôles et de s´affranchir des modes d´intervention conventionnels pour ré-imaginer leurs métiers et leur place. L’hypothèse qu’une approche de design serait pertinente pour stimuler les créativités individuelles et collectives fait sens au regard des défis auxquels font face les organisations de commerce équitable, la société civile et la planète. Elle inviterait à dépasser les frontières territoriales et disciplinaires infertiles. Il conviendrait alors de se pencher sur son application dans une structure en mutation comme Oxfam-Magasins du monde : l’organisation est-elle prête à prendre des risques, dans quelle mesure ? Et le mouvement ? Quels sont les freins perçus et existants au changement? De quoi ont besoin les équipes pour stimuler leur créativité ?… Des réponses à ces questions dépendra aussi la place de l’organisation dans un mouvement de transition.
Estelle Vanwambeke

Bibliographie