fbpx
Oxfam-Magasins du monde

L’ ONG d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, un partenaire susceptible de faire évoluer le monde scolaire ?

Analyses
L’ ONG d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, un partenaire susceptible de faire évoluer le monde scolaire ?
Les animations en milieu scolaire proposées par Oxfam-Magasins du monde et d’autres ONG peuvent-elles aider à résoudre le problème du décrochage scolaire ? Elles apportent en tout cas de nouvelles manières de considérer les relations entre élèves et encadrants, et conduisent à repenser les objectifs et méthodes de l’apprentissage dans un sens plus collaboratif et plus motivant pour les élèves… comme d’ailleurs pour les profs. Il y a cependant encore bien du travail à faire pour convaincre certaines directions d’école de leur intérêt.

[wpdm_package id=’50327′]
Lors d’une conférence organisée dans le cadre d’une des Mobilités du Projet des Jeunes Ambassadeurs du Commerce Equitable (JACE)[1.Le projet JACE : Sur trois ans, des élèves de trois écoles (Belgique, France et Portugal) découvrent le commerce équitable et s’impliquent activement dans la sensibilisation de cette alternative auprès de leurs pairs. Trois ans pour faire d’eux de véritables ambassadeurs épaulés par l’expertise des ONG Artisans du Monde (France), CIDAC (Portugal) et Oxfam-Magasins du Monde (Belgique). Au programme, des animations, des visites, des rencontres, la découverte des produits du commerce équitable, des coopératives et des cultures indigènes. Mais encore, des séjours organisés par les différents pays, la visite des institutions européennes, la découverte des problématiques auxquelles le commerce équitable tente de répondre, l’approfondissement de la réflexion sur la mondialisation économique et ses conséquences.], Bernard De Vos[2. CV de Bernard De Vos :  http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=2484], délégué général aux Droits de l’Enfant en Fédération Wallonie-Bruxelles, s’est exprimé sur l’intérêt d’amener une organisation tierce (comme Oxfam-Magasins du monde) à collaborer avec le monde scolaire pour mener à bien des projets, notamment en vue de lutter contre le décrochage scolaire.
Dans la présente analyse, nous revenons sur cette intervention en mettant en lumière les forces et les faiblesses, les opportunités et les risques d’une telle collaboration, et ce, dans une perspective de changement à long terme du système scolaire.
A partir du projet des JM-Oxfam[3. Les équipes JM-Oxfam, actives dans les écoles en Belgique francophone, sont composées d’élèves et d’adultes (enseignants ou personnel de l‘établissement). Elles gèrent un magasin de commerce équitable et mènent des actions de sensibilisation autour de la consommation responsable et des relations Nord-Sud. Les équipes JM-Oxfam ont également pour mission de s’organiser de manière démocratique, notamment en organisant des réunions régulières et de faire en sorte que tout le monde trouve sa place et puisse donner son avis. Enfin, elles sont des lieux de réflexion, d’échanges et de débats au sein de l’école pour encourager une citoyenneté critique et solidaire.], nous avons en effet souvent pu analyser les interactions écoles/ONG, mais généralement avec comme angle d’approche les succès ou déboires de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire et non l’intérêt de l’institution scolaire elle-même.

Le décrochage scolaire au sens large

Marie-Alice Moreira, enseignante au Lycée Bel-Orme de Bordeaux, propose lors de la conférence une définition du décrochage scolaire : « Le processus qui conduit un jeune à arrêter ses études avant d’avoir obtenu un diplôme ».
Comme l’a rappelé Bernard De Vos au départ de son intervention, le décrochage scolaire est devenu une priorité (du moins dans les discours) pour les gouvernements successifs ces dernières années.
« (…) Le décrochage est aussi pris à bras le corps par les responsables politiques parce que c’est un problème de sûreté publique. Malheureusement, le focus de la plupart des politiques menées dans ce cadre est surtout d’éviter qu’il y ait des jeunes en rue. Cela dérange. »[4. Retranscription de l’intervention de Bernard De Vos, délégué général aux Droits de l’Enfant. Conférence JACE, Bruxelles, 12 janvier 2018.]
Et de rappeler également que l’on circonscrit généralement le décrochage à l’absentéisme. « On s’intéresse peu ou pas du tout à ceux dont on parle aussi ici, ceux que j’appelle les décrocheurs assis. Des jeunes qui ne trouvent plus sens à l’école, qui y vont contraints et forcés, qui sont présents physiquement mais qui ne participent pas réellement »[5. Ibid.].

L’école reste traditionnelle

Bernard De Vos rejoint différents constats faits par les enseignant.e.s et les membres des ONG impliqué.e.s dans le projet JACE et développe sa vision du monde scolaire actuel : « On a une école qui est encore héritière des vieilles pratiques. On voit déjà que dans le supérieur ou à l’université des choses ont bougé, les Erasmus, les MOOCs, des modules de cours que l’on peut choisir de suivre… Il y a des chances qu’on aille vers cela davantage dans l’école classique pour les plus jeunes, mais en attendant on est toujours avec cet enseignement frontal, à l’heure où tous les contenus de cours sont disponibles sur le Net. Il y a un souci sur le fait de transmettre des matières mais aussi autour de l’autorité des maitres.
Il faut arriver à changer le modèle d’autorité grâce à une autre relation et plus de participation. Celle-ci est d’ailleurs un droit reconnu. Il y aussi le fait que les jeunes sont entre deux modèles : l’école et la famille. Or, les familles ne font plus autorité de la même manière. On n’impose plus comme avant, on est dans un dialogue permanent. L’autorité n’a pas disparu mais elle s’exerce différemment. A l’école, bien souvent, c’est encore « c’est comme ça et pas autrement ! ». Cette cohabitation entre deux modèles pour beaucoup d’enfants est vraiment maltraitante.(…) On est un peu en déficit d’une certaine autorité qui se base sur des modèles passés. Les jeunes réagissent, et du coup, on réagit en retour, et on surenchérit. Il y a dès lors beaucoup d’enseignants qui sont persuadés qu’aujourd’hui les problèmes qui apparaissent dans l’école sont dus au fait qu’on a voulu faire évoluer l’école. Ils disent très régulièrement qu’il faut revenir à une école d’antan. Plus d’autorité, plus de discipline, renforcer les contrôles, pas de logique de coopération. »

Une relation triangulaire pour bousculer les enseignements.

Dans le projet JACE, dans celui des JM-Oxfam comme dans d’autres projets , trois acteurs prennent part. Deux peuvent être considérés comme « éducateurs » mais proviennent d’une culture de travail (parfois très) différente : enseignant.e.s et animateurs/trices. La rencontre de ces deux cultures peut-elle être bénéfique pour amorcer une évolution de l’école vers un modèle d’enseignement plus actuel et serein, en phase avec les réalités des jeunes ?
A la différence de la triangulation « parents – enseignant.e.s – jeunes », les animateurs/trices arrivent en général dans l’école, c’est-à-dire sur le même terrain que leurs homologues enseignant.e.s. La cohabitation est donc de mise, surtout dans un projet à plus long terme et qui peut impliquer des voyages scolaires de plusieurs jours.
« Ce qui est intéressant dans votre projet, c’est que vous amenez un tiers, la participation citoyenne, les ONGs de commerce équitable, au sein d’un projet spécifique. Vous n’êtes donc plus dans une confrontation. Vous amenez du tiers dans la relation »[6. Ibid.].
Comme en témoignent des membres du projets JACE, un premier effet de cette collaboration est la découverte de techniques d’animations qui sortent du cadre habituel du cours proprement dit, tout en faisant passer auprès des élèves des contenus abordés souvent de manière plus ludique et participative que de coutume.
Marie-Alice Moreira constate que « nous avons dû évoluer dans notre approche pédagogique au contact des ONG grâce auxquelles nous avons rencontré des animateurs/trices. On se permet de nouvelles choses avec les élèves, inspirées de l’animation de groupe. Cette approche a été très bénéfique pour des élèves qui sont moins scolaires »[7. Ibid.].

Une relation triangulaire pour bousculer le modèle d’autorité

L’intervention du tiers dans l’école va-t-elle bousculer également le modèle d’autorité, dans le sens d’un meilleur dialogue comme souhaité par Bernard De Vos ? Marie-Alice Moreira le constate également : « La relation profs-élèves a fortement changé. Les élèves sont davantage bienveillants »[8. Ibid.].
Chez Oxfam-Magasins du monde, quand bien même nous le souhaiterions, notre modèle d’autorité peut difficilement se baser sur d’anciens acquis scolaires. Nous arrivons dans les écoles avec la casquette d’« animateur/trice extérieur.e à l’école ». Nous n’avons pas vraiment de légitimité auprès des élèves sinon comme adultes, êtres humains. Si nous ne nous posons pas en « maître », la relation est plus simple, plus directe et chaleureuse. Notre savoir-être sera rapidement le baromètre de notre relation avec les jeunes.
Sans entrer davantage dans ces questions qui peuvent être aussi délicates à gérer, au sein du projet JACE nous avons parfois utilisé cet « avantage » pour dialoguer avec certains jeunes dont le comportement n’était pas toujours respectueux lors de certains voyages. Sans autorité institutionnelle exerçant une pression invisible sur la relation, nous étions obligés d’être dans l’écoute, l’explication, le dialogue afin de faire prendre conscience aux jeunes de certaines limites. Cela a aussi permis de maintenir la motivation des jeunes et de ne pas les braquer.
Cependant, entre adultes, entre écoles différentes, ou même entre collègues directs, la relation d’autorité reste un défi permanent à établir avec le groupe de jeunes impliqués. Mais cette rencontre est toujours riche en remises en question de son propre savoir-être, de ses convictions et de ses habitudes d’éducation.

Un tiers en marge ou intégré au système scolaire ?

Bernard De Vos réagit à la question que se posent certain.e.s enseignant.e.s sur le fait d’obliger ou non des élèves à participer au projet JACE. Le Lycée Bel-Orme a travaillé avec des élèves volontaires, tandis que l’Institut Saint-Roch de Theux a commencé le projet avec des élèves issus d’une même section technique et auxquels le projet a été imposé.
Sa réponse se veut être une vision d’avenir dans laquelle les ONG et autres asbl gravitant autour de l’école trouveraient une place considérée comme l’égale des cours pour atteindre les socles de compétences voulus.
« Ce que je vois dans votre projet c’est que les outils que vous avez amenés ne doivent pas être en dehors des cours, ce sont des cours. Je suis sensible à la question de savoir si l’on rend de tels projets facultatifs. Quand on tient un petit magasin de commerce équitable dans l’école, forcément il faut faire de la compta, peut-être des courriers, donc du français, si on s’intéresse au Commerce équitable, forcément on fait de la géo, de l’histoire. Donc ce que je regrette, c’est que ces projets intéressants ne sont pas plus systématisés dans le cadre scolaire »[9. Ibid.].
Comme en écho, l’auteur de la présente analyse partage en effet le constat suivant lors de la conférence : « L’institution scolaire agit en quelque sorte comme un rouleau compresseur sur ces types de projets pour broyer ceux-ci dans le temps scolaire et différentes contraintes. Même dans le projet JACE, on a senti à plusieurs moments que malgré le feu vert et la place donnée au projet dans les écoles, il fallait souvent renégocier, se confronter à la direction, aux autres collègues pour lui donner une place et une considération au quotidien ».
En effet, bien souvent, l’équipe éducative d’une école fait la distinction nette entre les cours et le reste (animations socio-culturelles, voyages scolaires qui illustrent le cours, sensibilisations, participations des jeunes à des journées citoyennes dans ou en dehors de l’école, initiatives des jeunes d’inviter des témoignages, des alternatives au sein de l’école,…).
Les cours restent la matière centrale des apprentissages et les projets satellites obligatoires ou facultatifs sont parfois soit déconsidérés, soit vus comme parasitaires, soit purement et simplement oubliés par les enseignant.e.s.
Ainsi, un.e élève qui participe à une journée Oxfamnesty[10. Journée thématique d’ateliers, d’échanges, de rencontres organisée chaque année en partenariat avec Amnesty International.] un mercredi, sera vu.e par certains enseignant.e.s  comme un.e élève qui rate des cours, non comme un.e élève qui continue son apprentissage d’une autre manière (voire qui en fait davantage !).
Enfin, si dans certaines écoles et pour certaines familles, cette implication des jeunes est plutôt encouragée, elle sera beaucoup plus difficilement au rendez-vous pour des jeunes en difficulté ou en échec scolaire. Alors même que la participation à ces activités peut être facteur de motivation et de… raccrochage !

Le modèle du « Service learning »

Pour « creuser » sa vision, Bernard De Vos se réfère au « Service Learning » ou en français « Service-étude » qu’il présente dans la foulée : « J’ai participé à un projet qui s’appelle le Service-étude. Aux Etats-Unis, le Service Learning est pratiquement obligatoire, c’est-à-dire que chaque étudiant américain va en faire à un moment de son parcours. L’idée est d’intégrer le service à la collectivité à la formation. Ce n’est donc pas en dehors, c’est dans le programme scolaire. Ce n’est pas libre, ça fait partie de ce qui doit être fait à l’école et cela fonctionne bien.
On remarque également que dans deux écoles Ixelloises où l’on pratique ce service-étude, les enseignants se solidarisent entre eux très vite et se sentent beaucoup plus renforcés. On lutte ainsi aussi contre le décrochage scolaire des enseignants (qui est au moins aussi important que celui des élèves). Il faut en parler aussi ! »[11. Ibid.]
Il est certain qu’un programme tel que le Service-étude proposé à un niveau national, permettant d’assurer aux enseignants qu’il s’agit bien toujours pour les jeunes « de faire école », peut réellement amener les projets d’ONG telles qu’Oxfam vers une reconnaissance accrue et une couverture bien plus grande. A l’image, finalement, des stages que beaucoup d’élèves effectuent déjà durant leurs humanités dans le secondaire technique et professionnel.
Tout dépend de la manière d’implémenter un tel programme et d’y faire participer les différent.e.s intervenant.e.s. Cependant, il ne suffit sans doute pas de retirer les jeunes quelques jours ou quelques semaines de l’école pour les amener dans une association et organiser cela dans leur parcours scolaire classique. Il faut conscientiser les enseignant.e.s sur les apprentissages réalisés.
A cet égard, Bernard De Vos livre un exemple révélateur : « Je ne crois plus que l’école changera comme ça, par de grandes décisions. L’école changera parce que les acteurs la feront changer. Mais ça ne suffit pas de dire ça. Si on ne saisit pas ces opportunités pour imposer quelque chose à l’école, je pense qu’on va devoir encore attendre longtemps le changement. Quand j’ai travaillé chez SOS Jeunes, on discutait avec les jeunes sur le temps de midi avec un sandwich et ces jeunes nous disaient le désespoir qu’ils avaient d’aller à l’école juste en face. On s’est dit, on peut proposer des opérations Thermos[12. L’opération Thermos consiste à faire la rencontre de sans-abris et à amener une soupe, un café, un repas que l’on cuisine et que l’on propose (dans une gare, dans la rue…).] qui marchaient bien ailleurs, à cette école. Le directeur était partant et proposait de rencontrer les enseignants pour organiser cela. On s’est vite rendu compte que rencontrer les enseignants, c’était compliqué. Ils étaient peu dispos, et ils ne se parlaient pas entre eux, du coup, pas vraiment l’envie d’embrayer dans un projet collectif. On l’a fait finalement, et cela a amené un enthousiasme merveilleux.
Je suis allé trouver le directeur après en demandant pourquoi il n’encourageait pas plus d’activités de ce genre à l’école. Il m’a répondu honnêtement qu’il n’y trouvait pas grand intérêt. On lui propose un atelier djembé, l’opération thermos, une pièce de théâtre qu’on prépare pendant les récrés ou pendant les cours, information SIDA, etc. Les profs sont en général contents car cela amène des choses et ça leur permet de souffler. Mais selon lui, ça n’amène pas grand-chose…
C’est à ce moment-là que par hasard, j’ai un frère qui me dit : « où vous en êtes avec le Service Learning en Europe ? ». Du coup, l’idée a été de continuer à faire de la citoyenneté (de vraiment la vivre et d’arrêter d’en parler) mais de la relier aux socles de compétences, et ça marche du tonnerre, la direction et les enseignants s’y retrouvent ».

Y perdre son âme ?

Une intervenante lors de la conférence pose la question suivante : « J’ai une interrogation concernant la question de rendre obligatoire ou non de tels projets. Ma crainte est qu’on en arrive à « scolariser » de tels projets, à transformer ces projets qui ont leurs particularités en quelque chose qui se perdrait dans le moule scolaire »[13. Retranscription de la Conférence JACE, Bruxelles, 12 janvier 2018.]
Malgré les freins et difficultés posés par l’école ou ses acteurs à ce que peut proposer le monde associatif, ce dernier n’est-il pas également, à tort ou à raison, quelque peu attaché à sa propre spécificité ?  Le fait d’être totalement intégré au parcours scolaire peut en effet permettre d’étendre à tous les jeunes les projets proposés et à ne pas prêcher que les convaincus, mais le risque est-il d’y perdre sa marque de fabrique ?
Pour Bernard De Vos, le choix est clair : il ne faut pas aller vers les déjà convaincus ou ceux qui le seront facilement parce que leur milieu les y a préparés. Il faut toucher les autres.
Mais pour cela, il est nécessaire d’avoir un dialogue constructif et d’égal à égal entre école et monde associatif afin que chacun.e accepte de faire un pas vers l’autre. Il faut la volonté pour chacun.e également d’évoluer, de modifier ses pratiques. Pour les enseignant.e.s, il peut s’agir de chercher à sortir des programmes et des méthodes habituelles. Il faut évidemment en avoir les moyens. Pour les animateurs/trices, il peut s’agir de mieux percevoir les apprentissages que l’on souhaite proposer, de les systématiser et de les valoriser.
Ce qui serait dommage, c’est que la culture scolaire souvent dénoncée comme frustrante par les élèves (décrocheurs ou non) et même les enseignant.e.s, englobe et récupère des animations et des projets originaux avec pour conséquence d’y distiller certaines logiques scolaires (comme celle de l’évaluation). Les élèves ne pourraient alors trouver dans de tels projets une alternative à l’école, d’autres manières d’apprendre…
Il ne faut pas oublier que certains élèves en mal d’école refuseront en bloc tout ce qui provient de l’école, même ce qui est présenté comme différent.
Dans le projet JACE, il a fallu souvent revoir certaines manières d’aborder les contenus (Commerce équitable ou autres) afin que les jeunes continuent à s’intéresser au projet, car c’est bien davantage la méthode utilisée plutôt que les contenus qui peut faire la différence, et s’il n’est déjà pas facile pour un.e enseignant.e d’aborder de nouveaux contenus, il est encore plus difficile de changer de méthode et de mode d’organisation.
Pour résoudre cette difficile confrontation, peut-être faut-il bien permettre à chaque acteur/trice de construire son projet pédagogique comme il/elle l’entend, tout en créant (et ce serait de la responsabilité des pouvoirs publics) un espace plus libre dans le parcours scolaire afin de se frotter à d’autres formes d’apprentissages. Cet espace serait cependant pleinement « au programme », le temps et les moyens seraient alloués pour qu’il puisse se dérouler sereinement.

Se sentir utile

Bernard De Vos relève, comme dernier atout de ces projets de service à la collectivité, la possibilité donnée aux jeunes de se sentir utiles. Les apprentissages scolaires sont en effet principalement tournés vers l’élève, ses savoirs et ses compétences, pour une vie active future. Très peu lui est proposé dans l’immédiat s’il souhaite, dès le plus jeune âge, prendre part à la société et avoir un impact direct, réel et concret sur elle.
Or, c’est bien souvent de tels projets que proposent les ONG et le monde associatif. Pour prendre un exemple parlant : les sections « Techniques de vente » dans l’enseignement technique et professionnel ont des salles de classes classiques mais intègrent aussi parfois des classes qui simulent les rayonnages d’un magasin. Cependant, l’apprentissage passe à la vitesse supérieure lorsque les élèves effectuent un stage ou tiennent un magasin de commerce équitable dans l’école. Car cette fois, c’est pour de vrai, et ça peut aussi être pour contribuer à changer l’école et le monde !

Du pain sur la planche

La vision souhaitée et proposée par Bernard De Vos est loin d’être réalisée en Belgique. L’école comme institution est encore fort peu ouverte à remettre en question ses pratiques d’enseignement, son modèle d’autorité et son organisation interne à la lumière de ce que proposent d’autres agents éducatifs. Au contraire, elle exerce plus souvent une pression et une mise à l’écart de ces projets qui ne peuvent pas perturber la machine scolaire en marche.
Anecdote vécue récemment par l’auteur pour le moins révélatrice : une direction d’école annulant à la dernière minute une activité prévue (impliquant des comédiens et deux animateurs), écrit que les élèves ont déjà perdu trop d’heures de cours notamment à cause de visites médicales (obligatoires) et qu’ils ne peuvent se permettre d’encore « perdre » deux heures de cours. L’autrice de ses mots s’est-elle rendue compte de la maladresse d’une telle formulation face au travail d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire effectué par Oxfam, et face au travail éducatif proposé aux jeunes qui y auraient participé ? Des heures vraiment perdues ?
Trop souvent encore, les « profs JM » (qui encadrent et soutiennent les JM-Oxfam dans leur école) sont isolé.e.s dans leur rôle, entièrement bénévoles (des heures pourraient leur être attribuées même symboliquement) et sans soutien particulier de leur hiérarchie. Au contraire, ils/elles doivent parfois lutter eux-mêmes contre les préjugés d’autres collègues, et faire sortir quelques élèves pour une heure de cours ou une demi-journée reste difficile.
Derrière cela, se cache une pression qui pèse sur les épaules de l’école, des enseignant.e.s, des élèves. Pression parfois mise aussi par les parents : la réussite de l’élève. Dans le cadre du décrochage scolaire, l’objectif premier devient autre, d’abord raccrocher. Cela permet éventuellement (mais pas systématiquement) de revoir la proposition éducative de l’école et de s’ouvrir à autre chose.
C’est exactement la démarche effectuée par les enseignant.e.s du Lycée Bel Orme impliqué.e.s dans le projet JACE. Elle est d’autant plus à saluer qu’elle n’est pas facilement entreprise par la plupart des écoles. Le Service Learning semble cependant être une piste sérieuse à poursuivre pour ceux et celles qui souhaitent voir l’école évoluer.
Simon Laffineur