Matériel informatique, livres, meubles ou vêtements : le seconde main a aujourd’hui le vent en poupe. Preuve en est le succès des sites de revente sur internet tels que« ebay ». Ce type de démarche vient s’ajouter aux organisations associatives ou privées actives traditionnellement dans le secteur.
Quelques chiffres nous donnent un aperçu du marché global du vêtement en Belgique :
- les Belges achètent en moyenne 13 kg de vêtements neufs[[highslide](1;1;;;)BODSON Françoise, Une seconde vie pour les vêtements usagés ? Les Analyse de l’ACRF 2007/8. Disponible sur : http://www.acrf.be/publications/analyses/analyses_2007.php#analyse200708[/highslide]] par an.
- Près d’un achat sur deux se réalise la plupart du temps dans les grandes surfaces.
- En Région wallonne, environ 11 à 12 kg de textiles sont jetés chaque année par les ménages dans les poubelles non-triées[[highslide](2;2;;;)Cellule Etat de l’environnement wallon (2005), Tableau de bord de l’environnement wallon 2005, Namur : MRW-DGRNE, p.74.[/highslide]].
Cette analyse a pour objectif de mettre en lumière la réalité du vêtement de seconde main, tant en Belgique qu’au sein d’Oxfam-Magasins du monde, et d’en souligner les enjeux. Cette analyse est également l’occasion de faire découvrir ce qui se passe à l’arrière des magasins de vêtements de seconde main.
Le contexte du vêtement de seconde main en Belgique
Afin de bien comprendre les enjeux de la filière, il est important de comprendre ce qui guide l’achat de vêtements de manière générale ; les freins et l’attractivité à l’achat de vêtement de seconde main ; le public qui achète ce type de vêtement.
Qu’est-ce qui influence l’achat de vêtements ?
Le choix d’un vêtement (neuf ou de seconde main) est conditionné par trois éléments:
- la fréquence d’achat. Certaines personnes achètent des vêtements de façon très fréquente, d’autres plus rarement en fonction de leurs besoins.
- le plaisir. Pour certains, l’achat de vêtements constitue un plaisir. La source du plaisir vient soit par l’acte d’acheter, soit par le vêtement en lui-même. Pour d’autres, cela peut être vécu comme un déplaisir à partir du moment où acheter des vêtements est vécu comme une obligation.
- le prix. Le prix module toutes les tendances d’achat mais le seuil varie d’une personne à l’autre. Selon l’étude du Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs – CRIOC[[highslide](3;3;;;)GUIOT C. et alii, « Le réemploi. Rapport 3 : la demande », CRIOC -MRW, pg. 96, septembre 2005, Bruxelles.[/highslide]], certains consommateurs déclarent consacrer 25€ par mois en moyenne à leur budget vêtements (soit 300€/an), d’autres jusqu’à 5.000€ par an.
En plus de ces trois éléments, le consommateur se base sur différents critères plus personnels lors de l’achat d’un vêtement : le look, la durée de vie, le confort, le bien-être, la mode, l’entretien …
L’attractivité et les freins à l’achat de vêtements de second main
Toujours selon l’étude du CRIOC, le consommateur qui achète dans un magasin de vêtements de seconde main, a pour principal attrait le prix. Egalement, certains clients cherchent un vêtement ou un accessoire ayant une histoire antérieure (cela leur rappelle une époque). L’achat d’un vêtement d’occasion est une fois sur deux motivé par le coup de cœur ; une fois sur trois parce que l’occasion se présente ; une fois sur quatre quand le prix est attractif.
16% des personnes interrogées pour l’enquête du CRIOC déclarent leur intention d’acheter un produit d’occasion dans le futur. Toutefois, ils sont à peine un consommateur sur dix à véritablement passer à l’acte d’achat.
Selon l’étude du CRIOC[[highslide](4;4;;;)CRIOC, ed. responsable : Marc Vandercammen « Le réemploi. Rapport 3 : la demande », pg. 100, septembre 2005, Bruxelles[/highslide]], l’achat de vêtements dans les magasins de seconde main (tous types confondus) est confronté à 3 types de freins :
- L’hygiène représente le frein principal à l’achat. Cet a-priori négatif de l’acheteur peut être dû au vêtement (usé, déformé, démodé, sale) ou aux inconvénients liés à la personne qui l’a porté (odeurs, acariens, les bactéries, histoire antérieure).
- Le manque d’habitude d’achat dans un magasin de seconde main.
- Le problème de choix, de taille.
Qui achète?
L’étude déjà citée ne spécifie pas le profil précis des personnes qui achètent des vêtements de seconde main. Toutefois, elle dégage le public qui achète des biens en réemploi de façon générale (le réemploi désigne le fait de réutiliser un bien qui a déjà été utilisé par une autre personne).
Pour le CRIOC, deux grands types de publics sont identifiés :
- Les femmes de 18 à 39 ans habitant la périphérie des villes ou la banlieue. Ce public est conscient des avantages offerts par le réemploi, quel que soit le groupe social.
- Les hommes et les femmes de 40-49 ans qui habitent les villes centrales et appartiennent aux groupes sociaux inférieurs et moyens. Ils sont plus réceptifs à l’argument financier.
Ces données démontrent clairement que le groupe social ne constitue pas un frein à l’acquisition de produits de seconde main. Cela s’explique par la recherche de la bonne affaire (affective ou pécuniaire).
Le vêtement de seconde main à Oxfam-Magasins du monde
Depuis le début de la mise en place d’un réseau de vêtements de seconde main, Oxfam-Magasins du monde combine une action solidaire et écologique au Nord et au Sud, par la poursuite de trois objectifs :
- Permettre à des personnes ici de s’habiller à prix accessibles
- Financer des projets de développement dans le Sud. 20% des ventes sont versés au « fond Made in Dignity[[highslide](5;5;;;)Ce fond permet notamment de financer des projets de partenaires Sud d’Oxfam-Solidarité.[/highslide]] »
- Lutter contre le gaspillage en offrant une seconde vie aux vêtements.
Le commerce solidaire est une activité gérée essentiellement par des femmes. Les bénévoles coordonnent la quasi totalité de la filière (tri, étiquetage, repassage, mise en rayon, vente, comptabilité, rotation des vêtements). Par an, ce sont plus de 200 tonnes de vêtements qui passent entre leurs mains !
L’organisation de la filière
Il y a quelques années, Oxfam-Magasins du monde a retiré ses cabines de dons (situées dans les lieux publics : parkings ou bords des routes) afin de favoriser le don direct en magasin. En effet, la qualité des vêtements déposés dans les cabines était de plus en plus mauvaise, entre autre depuis l’instauration des sacs poubelles payants dans la majorité des communes. Afin d’éviter ces coûts, certaines personnes – peu scrupuleuses – utilisaient les cabines de dons comme containers à ordures. Le passage du don anonyme (via les containers) au don « social » (en magasin) permet une augmentation de la qualité de l’«original » (nom des vêtements donnés).
La quantité de vêtements récoltée représente pour nos 38 magasins du monde-Oxfam ayant une activité de commerce solidaire 200 tonnes par an, soit en moyenne 25 kg par jour par magasin (en comptant que le magasin ouvre 4 à 5 jours par semaine). De l’original, suite à un tri collectif très strict (vérification de l’usure, des taches, des trous, des tirettes, des boutons, de la mode du vêtement), les équipes de trieuses extraient 4 catégories de vêtements :
1. Ce qui sera mis en vente dans le magasin
Il s’agit uniquement de vêtements de qualité (propres, récents et en très bon état). Ces vêtements qui se retrouvent en magasin représentent à peine de 5 à 10 % de l’original, soit entre 10
et 20 tonnes (de 263 kg à 526 kg de vêtements par magasin par an). La plupart du temps, ces vêtements sont repassés.
Les bénévoles (équipe étiquetage) effectuent une ultime vérification en fixant une valeur, et donc un prix aux vêtements (généralement sur base d’une grille de prix décidée en équipe). Ceux-ci sont étiquetés dans les coutures pour ne pas être abîmés et préparés pour être mis en vente.
2. Le rebut
Il s’agit de vêtements corrects mais non sélectionnés pour la vente en magasin (un bouton manque, il y a une petite tache,…) ou des vêtements non vendus en magasin après -en moyenne- 3 semaines. Ces vêtements sont évacués vers un fripier privé et seront, dans la plupart des cas revendus sur des friperies du Sud ou de l’Est. Cette catégorie représente 45% du volume total, soit 90 tonnes.
3. Les loques
Il s’agit de vêtements souillés, humides, déchirés ou dépareillés. En bref, des vêtements qui ne sont pas valorisables. Ils seront incinérés par une firme privée. Cela représente également 45% du volume total, soit 90 tonnes.
4. La poubelle
Au sein des sacs de dons, se retrouvent malheureusement aussi d’autres déchets. Ceux-ci représentent 10%, soit 20 tonnes. Ils sont évacués au niveau local (en partenariat avec la commune ou via les sacs payants).
Les enjeux de la filière
Maintenant que nous savons comment fonctionne la filière de vêtements de seconde main pour Oxfam-Magasins du monde, voyons quels en sont les enjeux. Nous en avons distingué trois : les enjeux pour les pays du Sud et de l’Est vers où sont exportés de grandes quantités de vêtements de seconde main; les enjeux Nord, autour de la filière et du traitement des déchets ; les enjeux au sein d’Oxfam-Magasins du monde par rapport aux magasins et aux équipes de vêtements de seconde main.
Les enjeux au Sud et à l’Est
Une grande quantité de vêtements de seconde main est exportée par des fripiers privés dans les pays du Sud et de l’Est. A court terme, les importations de vêtements de seconde main permettent aux populations de s’habiller à bas prix et de créer des emplois dans le secteur de l’économie informelle. Par exemple, au Kenya, 5 millions de personnes (1/6 de la population) vit directement ou indirectement du marché du seconde main. Cependant, l’emploi est précaire et instable (sans contrat de travail, sans droits, sans sécurité…). De plus, cela ne permet plus aux industries textiles locales de produire. La concurrence asiatique (en neuf), l’invasion du marché textile par le seconde main ne leur permet plus d’être compétitifs. De ce fait, de nombreuses industries doivent fermer leurs portes et licencier le personnel. C’est tout un volet de l’économie de ces pays qui voit son développement freiné.
A moyen et à long terme, la destruction de cet emploi local renforce dès lors la dépendance d’importation et d’intervention des fonds internationaux, alors que le pays pourrait produire pour sa propre population et générer de l’emploi.
En parallèle à cette question de l’impact pour le Sud du textile de seconde main au Sud, nous devons souligner l’impact du textile acheté à bon marché dans le circuit conventionnel au Nord. La course au moindre prix, très présente dans ce secteur, a un coût. Il n’est peut-être pas visible au premier abord, mais le moindre coût est toujours payé. Il peut s’agir de coûts environnementaux (transport, pollution des eaux, de l’air…) et/ou de coûts sociaux (salaires de misère, conditions de travail déplorables, …).
Que faire des vêtements alors ? D’une part, afin que nous ayons le moins possible à utiliser la filière des fripiers, il est essentiel d’insister sur l’importance du don de qualité. Un don de qualité c’est : un vêtement récent, en bon état, non taché et non déchiré. Un vêtement que nous (ou un membre de notre famille) pourrions toujours porter. D’autre part, en tant que consommateur, lors de nos actes d’achat, nous pouvons soutenir une économie qui respecte les droits des travailleurs et créatrice d’emplois dans le secteur formel, afin de permettre aux populations du Sud de soutenir leur économie (entre autre via le commerce équitable[[highslide](6;6;;;)Pour en savoir plus : analyse sur les produits d’Afrique.[/highslide]]).
Les enjeux au Nord
L’un des enjeux principaux au Nord se concentre autour du mode de consommation. Le don et l’achat de vêtements de seconde main permettent d’aller dans le sens d’une autre consommation basée sur la règle des 3 R : Réduire, Réutiliser et enfin (et seulement en fin) Recycler. L’ordre du raisonnement est important ! Aujourd’hui, nous sommes poussés au recyclage, avant même d’avoir pensé à la réutilisation et encore moins à la réduction de notre consommation. En d’autres mots, consommons moins et mieux.
Au-delà du mode de consommation, le secteur est confronté à la concurrence du neuf à bon marché venant majoritairement d’Asie. Ce type de produits a un double impact. D’une part, le consommateur privilégie le neuf bon marché malgré la qualité du vêtement. D’autre part, ces vêtements de moins bonne qualité, une fois qu’ils sont donnés ne sont plus valorisables et ne peuvent pas être remis en vente. Or, au niveau des dons de vêtements, comme nous venons de le voir plus haut, il est important de favoriser le don de qualité.
De même, il faut lutter contre l’incivisme afin de limiter un maximum la quantité des poubelles qui représentent encore 10% des dons. Et ce par respect pour le travail des équipes de bénévoles. Et puis, parce que cela pèse sur les charges, au détriment du financement de projets de solidarité.
Tant par le tri, que par le traitement des déchets, les acteurs du seconde main (Oxfam, Terre, les Petits Riens,…) assurent un complément à la mission de service public dans la gestion et le traitement des déchets. De ce fait, il nous parait important que les services publics en tiennent compte. Par exemple en intervenant au niveau du coût du traitement des loques et des déchets, au niveau local.
Finalement, un ensemble d’acteurs du seconde main sont au cœur de l’économie sociale. En favorisant l’utilisation de ce type de services, en tant que consommateur, nous devenons acteur de changement. En appuyant un travail tant social qu’économique contre l’exclusion et la pauvreté, nous joignons l’utile au solidaire, le responsable au durable.
Des enjeux pour Oxfam-Magasins du monde
Au-delà de ces enjeux au Sud et au Nord, Oxfam-Magasins du monde est confronté à des enjeux internes au mouvement, tant au niveau de la vente et de la qualité du don en magasin qu’au niveau de l’axe éducation permanente-mouvement de bénévoles et l’axe force de changement. En dehors du travail interne sur la structuration des équipes bénévoles, de la structuration des espaces de tri et des enjeux de la spécificité de ce type de bénévolat, citons parmi ces enjeux :
- Le travail sur différentes manières d’obtenir de l’original de qualité. Nous devons continuer le don social en magasin en travaillant à la sensibilisation du grand public. Mais nous devons également développer une stratégie qui permet d’obtenir des vêtements de qualité via d’autres filières.
- La valorisation de l’impact du commerce solidaire en tant qu’action pour un développement durable et solidaire, nous permettrait de mettre en avant la plus-value de ce type de commerce comme moteur de changement. Par exemple, en développant des campagnes de sensibilisation qui touchent le public qui entre dans les magasins de vêtements de seconde main.
Des défis afin qu’Oxfam-Magasins du monde valorise au mieux cette richesse d’être un mouvement de commerce équitable et de commerce solidaire, avec un objectif commun : un développement durable, équitable et solidaire.
Catherine Stommen – catherine.
stommen@mdmoxfam.be
Corentin Hecquet – corentin.hecquet@mdmoxfam.be