De Cyril Dion à Béa Johnson il n’y a qu’un pas, celui de la conscientisation à la mise en action de citoyennes et de citoyens porteurs de changements dans la Transition vers un monde plus résilient.
Après avoir contextualisé l’objet de cette analyse et porté un bref regard sur le mouvement Zero Waste, nous verrons en quoi la gestion des déchets est porteuse de sens pour des citoyennes et des citoyens actifs dans la mise en place de systèmes alimentaires alternatifs et comment un défi anecdotique peut être à la base d’une réflexion plus large sur nos modes de consommation.
2016, l’année des initiatives citoyennes
En 2016, la sortie du film « Demain » a marqué un grand nombre de téléspectateurs et de téléspectatrices en France, en Belgique et au Canada. En s’associant à Mélanie Laurent et en adoptant un postulat positif : « Partout dans le monde des solutions existent », Cyril Dion a réussi le pari difficile de toucher une large frange de la population, avec des thématiques habituellement traitées au sein de mouvements associatifs militants.
Au même moment, de nombreuses associations, dont Oxfam-Magasins du monde, avaient elles aussi décidé de mener des campagnes de sensibilisation résolument positives, en montrant aux citoyennes et au citoyens qu’il est possible de changer les choses à leur échelle. En effet, l’agro-industrie et ses dérives, qui ont fait l’objet de nombreuses campagnes de dénonciation, ne sont pas inévitables. La population a le pouvoir de mettre en place des systèmes alimentaires alternatifs basés sur l’initiative citoyenne.
Les systèmes alimentaires alternatifs sont composés de cinq étapes allant de l’accès aux ressources (la terre, les semences et l’eau) à la gestion des déchets, en passant par les étapes de production, de distribution et de consommation. Chacune de ces étapes fait l’objet de la mise en place d’initiatives citoyennes faisant la parade au système agro-alimentaire basé sur la monoculture et la centralisation des profits. En favorisant le respect des humains et de leur environnement, en redonnant de l’importance aux tissus sociaux à la diversification et à la complémentarité, les systèmes alimentaires alternatifs sont en capacité de faire face aux crises environnementales, sociales et systémiques auxquelles nous sommes de plus en plus confrontés. C’est en ce sens qu’on dit que de tels systèmes sont « résilients».
La gestion des déchets, une piste d’action
Des solutions existent donc et il est possible, en adaptant notre quotidien, d’appartenir à ce mouvement citoyen de la transition vers ces systèmes alternatifs résilients.
En parcourant les pistes d’action qui s’offrent à nous au sein des systèmes alimentaires alternatifs, on peut notamment se pencher sur l’étape de la gestion des déchets. À ce niveau, deux axes d’actions s’offrent à nous
- d’une part la revalorisation des déchets produits, via le compostage, l’upcycling ou d’autres pratiques qui permettent de recycler, de remettre dans le cycle, dans le système, les déchets que nous avons produits,
- d’autres part, la diminution voire la suppression de la consommation de déchets à la base.
Béa Johnson et le mouvement Zero Waste
Né en Californie dans les années 1980, le mouvement Zero Waste – waste signifiant à la fois « déchet » et « gaspillage » –, avait tenté une percée en Europe, il y a 15 ans. Trop tôt sans doute. Mais aujourd’hui, ce concept, cette alternative qui englobe de nombreuses pratiques, semble trouver un écho face aux préoccupations environnementales actuelles, au désir d’une alimentation plus saine ou à la maîtrise de sa consommation.
Selon un rapport de l’ONU, d’ici 2050, on estime que 70% des habitants de la Terre vivront en ville[1. Plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans des villes]. De quoi intensifier davantage les problèmes de gestion des déchets. C’est pourquoi, certaines agglomérations ont décidé d’agir concrètement en mettant en place des mesures et en associant les citoyennes et les citoyens à ces démarches.
Outre la sortie du film « Demain », 2016 a vu croitre la notoriété de Béa Johnson et de son livre “Zéro Déchet”, pourtant paru en septembre 2013.
Initialement, le Zéro déchet a toujours répondu à 3 règles d’or : Réduire, Réutiliser et Recycler. Mais, pour Béa Johnson, ce triptyque a ses limites. Cette Française, originaire d’Avignon, installée à présent aux Etats-Unis, est la porte-parole mondiale du mode de vie Zéro déchet. Dans son ouvrage l’auteur explique que selon elle, le recyclage ne représente pas la solution, il ne résout pas les problèmes de déchets, puisque sous prétexte que les produits sont recyclables, l’objectif de produire toujours plus n’est pas remis en question, tout comme nos modes de consommation.
C’est pourquoi, en ajoutant deux éléments d’actions, elle a fait évoluer la règle: tout d’abord, Béa Johnson propose de refuser ce dont nous n’avons pas besoin comme les cadeaux gratuits, les imprimés publicitaires ou les articles en plastique à usage unique, dans le but de diminuer le superflu à la source. Ensuite, elle propose de réduire le nécessaire, réutiliser ce qu’on achète, puis recycler ce qui n’a pas été supprimé au cours des 3 précédentes étapes, et enfin composter le reste.
Le mouvement Zero Waste qui ne bénéficiait pas de visibilité dans les années 2000, est aujourd’hui porté par des organisations au niveau national et européen. En France, l’association Zero Waste France a vu le jour en 2014, soutenue par des militant.e.s et des citoyen.ne.s pour qui la mise en décharge et l’incinération ne sont pas des solutions durables. L’association est à l’initiative de la première édition du Festival Zero Waste, à Paris, en Juillet 2016, où pionniers, entrepreneurs, associations et citoyen.ne.s se sont regroupés pour échanger et partager autour du mode de vie du zéro déchet.
La branche belge du Zero Waste, est encore en développement, mais la ville de Bruxelles n’a pas attendu ce mouvement pour s’engager durablement. Elle est fédératrice d’initiatives : Bruxelles Environnement organise des évènements de sensibilisation à la problématique des déchets ; 1000Bxl en transition, regroupe un collectif d’habitants mettant en place des projets citoyens comme un marché gratuit, un Repair café, une banque de temps ou la création de potagers et lombricomposteurs. On peut encore citer, à titre d’exemple, l’asbl Rencontre des Continents qui organise également des projets pédagogiques et des animations autour de l’alimentation et de l’écologie.
Le vrac, une pratique du passé porteuse d’avenir
Le processus du zéro déchet est comme une chaîne dont le vrac est un maillon. Rien de novateur là-dedans puisque cette pratique a toujours été celle de la distribution et était encore employée par nos (grands-)parents.
Avant 1957, les grandes surfaces n’existaient pas encore, c’est donc auprès de petits commerçants locaux et spécialisés que les consommateurs et les consommatrices faisaient leurs courses.
Puis la croissance économique, marquée notamment par la période des Trente Glorieuses a gagné l’Europe, introduisant la société de consommation et entraînant parallèlement des mutations dans les modes de vie.
Le vrac a alors petit à petit disparu, au profit des supermarchés et des produits préemballés. C’est ainsi que lors des vingt dernières années, en France, la quantité des déchets ménagers quotidiens par habitant a quasiment triplé, atteignant, en 2016, plus de 430 kg en moyenne par personne et par an. Parmi ces déchets ménagers, les emballages et sacs plastiques occupent une place de choix[2. Magasins bio: le succès de la vente en vrac].
Les partisan.e.s du vrac d’aujourd’hui le savent, ils ne font que reproduire d’anciennes pratiques qui ont été effacées au profit du marketing sur produits ou des normes sanitaires. Dans une société qui va toujours plus vite, le vrac nous pousse à ralentir, à réapprendre à s’approvisionner, à connaître son produit, à échanger avec son producteur local et à revaloriser les circuits de proximité en s’impliquant par exemple dans des Groupes d’Achats Alternatifs (GAA).
La gestion des déchets, une ouverture à la réflexion
En tant que porteur d’une alternative de distribution, Oxfam-Magasins du monde réfléchit à l’implémentation du vrac dans ses magasins. L’origine lointaine de la majorité de nos produits alimentaires, la volonté de transparence sur la provenance de ceux-ci, mais également les questions pratiques et administratives de la mutation de nos magasins « conventionnels » vers une offre en vrac, sont autant de défis qu’Oxfam-Magasins du monde devra relever pour y parvenir.
Mais au-delà de l’offre commerciale et de la mise au régime de nos poubelles, réfléchir à la gestion de ses déchets est avant tout l’occasion de repenser globalement notre propre consommation. Enzo Favoino, le coordinateur scientifique de Zero Waste Europe, a déclaré « Le zéro déchet, c’est un voyage plus qu’une destination », expliquant ainsi qu’il ne s’agit pas de poursuivre une utopie mais d’aller le plus loin possible dans la démarche[3. Le réseau Zero waste s’installe en France].
En tant qu’acteur d’éducation permanente, Oxfam-Magasins du monde accorde beaucoup d’importance au processus et aux enseignements qui en découlent.
Outre la valorisation d’une action individuelle porteuse de sens et de changement qui monte en puissance quand elle se multiplie et se transforme en mouvement citoyen, proposer aux citoyennes et aux citoyens de relever le défi du « zéro déchet » c’est les inviter à réfléchir aux alternatives. C’est aussi montrer que revaloriser des pratiques du passé, à l’instar du vrac dans la distribution ou de l’agriculture paysanne dans la production, ne constitue pas un retour en arrière vers des pratiques archaïques mais bien un pas en avant vers une société plus résiliente dans laquelle les liens humains et le respect de l’environnement ont toute leur importance.
Manon Huteau et Sébastien Maes