fbpx
Oxfam-Magasins du monde

La pensée décoloniale et les enjeux Nord-Sud

2022 Analyses
La pensée décoloniale et les enjeux Nord-Sud

Cette analyse rend partiellement compte d’une formation intitulée « Approche décoloniale, un renouvellement des enjeux Nord-Sud ? » donnée par le CETRI en 2021[1]Formation donnée par le CETRI (Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve) dans le cadre de l’Université des aînés de l’UCLouvain.. Selon les formateurs, l’approche décoloniale « vise d’abord à rompre avec les formes de domination héritées du colonialisme qui sont à l’œuvre dans des pans entiers de la vie sociale, économique, culturelle et politique ». Elle conduit dès lors notamment à un renouvellement des enjeux Nord-Sud. Sont résumés ici les enjeux économiques suivants : le développement comme instrument de colonisation, le modèle agricole et le système alimentaire, l’extractivisme. Conséquence de ces aspects économiques, la crise environnementale vue du Sud est ensuite abordée. Enfin, la question des féminismes décoloniaux sera l’occasion d’évoquer des questions plus sociales, culturelles et politiques.

Télécharger l’analyse

La part du néocolonialisme dans le développement [2]D’après un exposé de François Polet.

Lorsqu’on parle du « développement », que ce soit de manière normative (« ce qu’il faudrait faire ») ou descriptive (la mise en œuvre concrète), on peut distinguer une demi-douzaine de modèles qui se suivent chronologiquement tout en se recoupant partiellement.

Le modèle « 0 » est celui de l’époque coloniale elle-même, dont le discours vise à rentabiliser et à justifier la présence coloniale avec des arguments économiques et humanitaires tels que la « mise en valeur des colonies » et « l’élévation morale et matérielle de l’indigène ». En pratique, c’est le début de la politique sociale, éducative et de santé qui constitue ce qu’on appelle alors développement.

1. Développement = modernisation

Apparition des premières théories du développement : Harry Truman expose en 1949 comment les USA vont aider les pays sous-développés. Il s’appuie sur Les étapes de la croissance économique ; un manifeste anti-communiste, de W.W. Rostow, ouvrage d’inspiration keynésienne qui définit cinq étapes pour passer de la société traditionnelle à la consommation de masse grâce à la technologie, aux entrepreneurs, aux capitaux. L’un des objectifs est de lutter contre le basculement dans la sphère soviétique (cf. le titre). La perspective est évolutionniste, économiciste, techniciste, mimétique. C’est dans ce cadre-là que la coopération voit le jour.

2. Théorie de la dépendance

Cette théorie influence la Conférence de Bandung qui, en 1955, réunit une trentaine de pays récemment décolonisés, surtout asiatiques. Elle se base sur l’ouvrage La dégradation des termes de l’échange, de Raul Prebisch, qui démontre comment la dépendance économique perdure malgré l’indépendance politique (néocolonialisme). La critique de la modernisation est limitée : science, rationalité et industrialisation restent le but. Mais l’ambiance est nationaliste, indépendantiste. Un enjeu jugé important est la nécessité d’établir des barrières douanières pour se protéger des pays plus industrialisés. En 1964 sera créée la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement): les États veulent un nouvel ordre économique international. Durant les années 70, les objectifs sont de protéger les industries locales, de préserver les ressources naturelles, de contrôler les multinationales et les prix à l’exportation.

3. Le règne du marché

De la fin des années 70 au milieu des années 90, c’est sur le marché qu’on compte pour permettre et organiser le développement. C’est l’époque de Reagan et Thatcher, de la chute de l’URSS, du néolibéralisme à la Milton Friedman (« le gouvernement est le problème »). Le FMI et la Banque mondiale ont racheté une grande partie des dettes des pays du Sud envers le privé et imposent des programmes d’ajustement structurel : mesures d’austérité notamment dans les secteurs sociaux, privatisation des entreprises publiques, libéralisation et ouverture aux investissements étrangers, à la concurrence et aux multinationales, fin de la planification de l’industrialisation et de la protection des ressources naturelles, perte de la souveraineté économique des pays du Sud. Désormais c’est chacun pour soi dans la mondialisation. L’idée de développement – qui sous-entend l’action d’un État – est pratiquement remplacée par le marché.

4. Le développement durable

Des événements tels que la crise économique asiatique (1997) et les émeutes de la faim (2008) font douter de l’efficacité du marché. Les dimensions sociale, environnementale, de gouvernance, des droits humains… conduisent à questionner le principe de l’économie comme but premier, voire unique, du développement. Il ne s’agit pas encore d’une remise en cause du néolibéralisme et du marché mondial, mais plutôt de tentatives de les corriger, par exemple par la « conditionnalité démocratique » : pour obtenir une aide, les pays doivent respecter les principes démocratiques et les droits de l’homme. Adoptés en 2015 par l’ONU, les 17 objectifs du développement durable sont compris par les pays du Sud comme une continuation et un élargissement des ajustements structurels et de la conditionnalité, donc comme des pressions extérieures ne respectant pas leur souveraineté.

5. Alternatives au développement

Aujourd’hui, la contestation du développement prend des formes comme le néoextractivisme, qui dénonce les pressions des multinationales occidentales et leurs conséquences sociales et environnementales sur les pays du Sud, les mobilisations indigènes notamment autour de l’usage des langues traditionnelles, la pensée décoloniale… Le « développement » est vu comme l’occidentalisation du monde, l’aliénation culturelle, la dépossession des communautés faibles, la destruction de la nature et du lien social.

Certains groupes arrivent à résister aux pressions et à entretenir un rapport au collectif et à la nature non dicté par l’accumulation matérielle. Ils expérimentent des modes d’épanouissement collectifs valorisant la diversité des identités, la solidarité communautaire et les usages traditionnels des ressources (l’homme n’est pas séparé de la nature, qu’il doit soigner et non exploiter). Par exemple, dans les régions d’Amérique andine, le Buen Vivir constitue une critique radicale de la modernité, du progrès et de l’universalisme, principes considérés comme inséparables de la « colonialité ».

Transformer le système alimentaire : un enjeu décolonial ?[3]D’après un exposé de Laurent Delcourt

Aujourd’hui, en moyenne, chaque produit alimentaire vendu dans un supermarché a parcouru 2500 kilomètres. Ces produits, qui sont très variés, dépendent tous de moins d’une dizaine de marques, dont les quatre principales totalisent 75% des importations. Il y a donc une concentration du commerce alimentaire dans les mains de quelques entreprises multinationales (oligopoles). On pourrait presque comparer ce système aux « Compagnies des Indes » qui détenaient le monopole du commerce entre une métropole et ses colonies aux XVIe et XVIIe siècles.

À l’époque de la colonisation, les grandes plantations cultivent et exportent de nombreux produits alimentaires : épices, café, sucre, pommes de terre, tomates, bananes… Elles profitent du système esclavagiste, qui perdurera jusqu’au milieu du XIXe siècle et sera remplacé par un ensemble d’inventions techniques : c’est en effet à ce moment-là que l’agriculture va connaître des progrès importants, surtout tout d’abord aux États-Unis où la mécanisation, l’irrigation et la chimie (engrais, pesticides) permettront d’augmenter la productivité à l’hectare tout en diminuant la main d’œuvre. Les industries alimentaires commenceront elles aussi à se développer et on inventera de nouvelles méthodes de conservation.

Après la deuxième guerre mondiale, c’est à un problème de surproduction agricole qu’est confronté le monde occidental. L’importance des réserves conduit à subsidier l’exportation. Les surplus sont envoyés vers les pays nouvellement indépendants dans le cadre d’un programme d’aide alimentaire composé de dons et de prêts. C’est aussi une façon de lutter contre l’influence communiste dans le contexte de la guerre froide. Le modèle de l’agriculture industrielle est également exporté dans certains pays. Globalement, on constate un renforcement de la dépendance alimentaire et une marginalisation des agricultures paysannes qui pousse les agriculteurs à quitter les campagnes pour les villes (bidonvilles).

Les crises pétrolières et financières des années 70 conduisent à un endettement de plus en plus important des pays du Sud qui se voient obligés de se soumettre aux conditions du FMI, notamment l’interdiction de continuer à aider leurs propres producteurs.

Après la chute de l’URSS, un système alimentaire transnational voit le jour et se consolide dans un contexte ultra-néolibéral qui favorise les grands accords de l’agrobusiness (Uruguay Round, Alena, NAFTA…). Ce ne sont pas seulement les échanges qui sont libéralisés, mais aussi les investissements. Les rachats d’entreprises conduisent à des intégrations horizontales et verticales. Exemple : Cargill a racheté les abattoirs, les aliments pour poulets, les ports, les entreprises de transformation – bref toute la chaîne de valeurs. Le système est aux mains d’un nombre de plus en plus réduit d’acteurs, qui contrôlent également les supermarchés et donc les prix, et peuvent ainsi imposer leur propre modèle agricole et dicter les normes internationales. Á cela s’ajoute l’implication de plus en plus grande des acteurs financiers (banques et fonds de pension).

La crise de 2007-2008 résulte d’un emballement des prix et des spéculations, de la pression de la demande en agrocarburants, de l’accaparement des terres. Les acteurs financiers font des profits énormes, mais 70 millions de personnes basculent dans la pauvreté.

Aujourd’hui, l’agriculture industrielle est généralisée et les habitudes de consommation s’uniformisent. La mondialisation a provoqué un appauvrissement de l’agriculture paysanne : 84% des fermes ne totalisent que 24% des terres cultivées et 34% de la nourriture consommée.

La libéralisation du commerce alimentaire était présentée comme une solution à l’insécurité alimentaire. Or, au contraire, ces dernières années cette insécurité augmente – alors que les objectifs du développement durable de 2015 prévoient d’éradiquer la faim pour 2030. La principale cause de la faim est la pauvreté, qui est due à une distribution inégale des superficies agraires (alors qu’il y a assez de terres pour nourrir 14 milliards de personnes) et à des prix impossibles, avec pour conséquences une hyperspécialisation et un appauvrissement de la biodiversité des cultures, une déforestation grandissante, des émissions de gaz à effet de serre accrues liées à l’agriculture intensive (engrais, machines) et un risque croissant de pénurie d’eau.

Le principal instrument de la décolonisation dans le domaine alimentaire est la souveraineté alimentaire. Elle nécessite une transition agroécologique, des politiques redistributives portant notamment sur les terres, une obligation pour les multinationales d’appliquer les droits humains et une réforme des structures de gouvernance.

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales. Elle défend les intérêts et l’intégration de la prochaine génération. Elle représente une stratégie de résistance et de démantèlement du commerce entrepreneurial et du régime alimentaire actuel.

Extrait de la Déclaration de Nyéléni, Sélingué, Mali, 27 février 2007

L’extractivisme : marqueur décolonial ?[4]D’après un exposé de Frédéric Thomas.

L’extractivisme a été défini par E. Gudynas en 2009 comme un « type d’extraction, en grande quantité et/ou intensive, de ressources naturelles, non ou peu transformées, et destinées principalement à l’exportation ».  Il ne s’agit donc pas seulement de l’extraction de minerais, mais de plus généralement de produits de base, de matières premières. La prise de conscience de cette problématique date des années 2008-2012.

À partir des années 2000, la demande en matières premières (surtout pétrole, charbon et métaux de base) connaît une croissance rapide et forte qui est liée à celle de la Chine. La Chine est aujourd’hui le 2e partenaire commercial de l’Amérique latine et ses relations commerciales avec l’Afrique ont été multipliées par 20 entre 1997 et 2008. Elle importe de ces continents essentiellement des ressources naturelles et y exporte des produits industriels et manufacturés. Elle est le facteur clé du retour des pays d’Amérique latine et des Caraïbes à une économie basée sur l’exportation des matières premières (reprimarisation).

Les pays et régions disposant d’abondantes ressources naturelles sont souvent plus pauvres que les autres : c’est un processus qu’on appelle parfois la « malédiction des ressources naturelles ». Cette pauvreté s’explique par la corruption, par l’évasion fiscale, par les variations de prix sur le marché international (ces pays dépendent souvent de deux ou trois ressources seulement) et par ce qu’on nomme la « maladie hollandaise », c’est-à-dire que les pays n’exploitent pas eux-mêmes ce qu’ils possèdent et n’ont pas une économie diversifiée. Contrairement à ce qu’on espérait au moment de la décolonisation, ces pays n’accèdent donc pas à un développement autonome mais sont pris au piège d’une « trappe de la pauvreté ».

On retrouve donc le schéma colonial selon lequel les pays colonisés exportaient leurs ressources vers les métropoles, où avait lieu la transformation, qui était la source principale des profits. Exemple actuel : l’Afrique exporte de la bauxite (minerai de base de l’aluminium) mais importe de l’alumine (bauxite transformée dont est extrait l’aluminium). Ce type d’économie est déconnecté du terrain, son seul intérêt pour le pays est constitué par les taxes : les machines et le personnel viennent d’ailleurs.

Les activités extractives sont très intensives et génèrent d’importants bouleversements environnementaux. Même une période d’exploitation courte (ex. 20 ans) peut avoir des conséquences à long terme. Elles s’implantent dans les zones rurales, chassent les agriculteurs de leurs terres tout en créant peu d’emplois et rendent le tourisme impossible. Elles ont souvent un impact majeur sur l’eau, qu’elles utilisent en très grande quantité et polluent souvent gravement. Elles provoquent des conflits environnementaux mais aussi liés au travail, aux relations entre les autorités nationales et locales, à la répartition des bénéfices.

La transition vers une économie moins extractive – et donc moins coloniale – passera nécessairement par le respect de deux critères au moins : la maîtrise des impacts environnementaux et l’amélioration des conditions sociales.

En général, le modèle économique qui s’est appliqué en Amérique latine est épuisé : il est extractiviste, il concentre la richesse en peu de mains et possède peu d’innovation technologique. [Il faut] un tournant structurel du modèle.

Alicia Barcena, Directrice de la Cepal, 7/02/2020, dans El País.

Il est primordial de ne pas oublier que le continent [africain] dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun.

Collectif de 90 intellectuel·les africain·es, 13/04/2020

La crise environnementale vue du Sud[5]D’après un exposé de Bernard Duterme.

On parlait déjà de la crise environnementale il y a 50 ans (cf. le « Rapport Meadows »). Depuis lors, les dégradations et pollutions ne font qu’augmenter, mais ceux qui en tirent profit relativisent, minimisent voire nient le problème, tandis que ceux qui sont le plus affectés sont les plus précaires. Mais les plus affectés ne sont pas les plus mobilisés : comment se préoccuper de la fin du monde quand la fin du mois n’est pas assurée ?

Les luttes socio-environnementales explosent dans les pays du Sud suite à la poussée extractiviste des années 2000-2015 et à la production intensive d’agrocarburants qui prend la place des cultures alimentaires, provoquant la sous-alimentation des enfants.

Sur un plan plus théorique, des principes tels que ceux des « responsabilités communes mais différenciées » et du pollueur-payeur conduisent à estimer que les pays riches ont une dette à l’égard des pays pauvres. Selon le rapport Oxfam, en effet, le 1% des plus riches émet deux fois plus de CO2 que les 50% des plus pauvres.

Un double clivage complique les débats dans les pays du Sud :

  • clivage entre pays émergents et pays pauvres sur le choix entre le souverainisme (pour les pays émergents, soutenus par les USA et le Canada, la souveraineté nationale prime sur le supranational) et le multilatéralisme (c’est-à-dire la coopération entre plusieurs Etats, préférée par les pays pauvres soutenus par l’UE) ;
  • clivage entre les positionnements « officiels » qui souhaitent une plus grande protection des pays du Sud et plus d’ouverture du Nord, et les positions antisystémiques, plus radicales, qui veulent sortir de la dépendance liée au libre-échange.

Que pense le Sud du « développement durable » et de la « croissance verte » ? La seconde est une fausse solution pire encore que la première, qui elle non plus ne marche pas, puisqu’on n’y retrouve pas le social : elle consiste à booster l’économique par l’environnemental. C’est une nouvelle dynamique coloniale. Les parcs nationaux, par exemple, ne respectent pas les habitants qui y vivent. La financiarisation du vivant, qui consiste à attribuer un prix aux ressources naturelles soi-disant pour mieux les protéger, a surtout pour objectif de faire du profit.

Alors que faire ? Quelques mots-clés : démarchandisation, démondialisation, démocratisation, partage des communs, valeur d’usage, souveraineté, planification écologique… Cette dernière constitue un modèle de développement alternatif basé sur des principes tels que le contrôle du crédit, la relocalisation de l’économie, la garantie d’un emploi décent, la délibération démocratique sur les choix de production et de consommation, la justice environnementale, etc. Ce modèle est toutefois lui aussi traversé par des clivages, des questions : l’État est-il un moteur ou un frein au changement ? Ne faut-il pas plutôt se baser sur le municipalisme, le communalisme, c’est-à-dire le niveau local ? Faut-il être (plus) anticapitaliste ou (plus) antiproductiviste ou les deux sont-ils compatibles ?

Trajectoire et perspectives du féminisme décolonial[6]D’après un exposé d’Aurélie Leroy.

Depuis une vingtaine d’années, l’approche décoloniale, qui conteste la supériorité de la pensée occidentale sur le reste du monde, se diffuse et touche des situations de domination fort diverses. Les luttes contre le racisme et le sexisme sont parmi les plus radicales. Aujourd’hui, tout le monde se dit féministe, mais ce « féminisme majoritaire » est considéré par certain.e.s comme superficiel et insuffisant.

Les mouvements des femmes du Sud expriment des préoccupations différentes de celles du Nord. Ils insistent sur le fait que la catégorie « femme » n’est pas homogène, que le patriarcat n’est pas le seul problème et que les stratégies d’émancipation ne peuvent pas être les mêmes partout. Ainsi, l’importance de l’emploi pour l’émancipation des femmes du Nord ne peut pas être projetée telle quelle sur la situation des femmes du Sud. Il n’y a pas de « ruissellement » des solutions du Nord vers le Sud, et les féministes du Sud refusent que les hommes blancs égalitaristes prétendent « sauver » les femmes noires de la soumission aux hommes noirs. Les femmes colonisées – aujourd’hui « racisées » – ont été oubliées par le féminisme majoritaire.

Les féministes musulmanes refusent la représentation binaire d’un Orient obscurantiste face à un Occident pratiquant la raison. Selon certaines d’entre elles, le soutien occidental au dévoilement des femmes n’a pas pour objectif principal la défense de leurs droits, mais est une récupération raciste anti-musulmane. Cette dimension raciste est devenue obsessionnelle et insupportable en France, où n’importe quel prétexte est utilisé en ce sens sans tenir compte des réalités socio-économiques.

Complémentaire au féminisme décolonial, l’intersectionnalité est un outil conceptuel qui permet de prendre en compte simultanément les questions de race, de genre, de classe sociale et d’orientation sexuelle. Vu sous cet angle, le patriarcat n’est pas forcément l’ennemi principal. Certains disent que quand on parle de race, on oublie les problèmes de classe : l’intersectionnalité se veut une réponse à ce genre d’omission.

Les luttes féministes remettent également en cause le modèle néolibéral en raison de ses effets sur les femmes. Ainsi par exemple, le travail domestique, parce qu’il ne se traduit pas par un profit, n’est pas pris en compte par le capitalisme, ce qui est une forme de violence. La pandémie a donné de la visibilité à cette injustice.

Tous ces débats sont très sensibles et parfois très virulents, au point qu’on a parfois l’impression de consacrer plus de temps et d’énergie à justifier et défendre le féminisme, l’intersectionnalité, le décolonialisme lui-même… qu’à combattre les comportements qui en sont la cause.

Résonnances chez Oxfam-Magasins du monde

Les relations Nord-Sud telles qu’envisagées chez Oxfam-Magasins du monde n’échappent pas à ces questionnements et une réflexion est en cours en interne à ce sujet depuis 2021. Cela fait suite notamment à une demande des instances subsidiantes (Direction Générale au Développement) requérant la mise en place d’un parcours d’apprentissage intitulé « diversité et inclusion » pour les organisations actives en ECMS dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre des plans 2022-2026.

Ce parcours ouvre de nombreuses pistes de réflexions et de questionnements, que ce soit dans les supports de communications (termes employés), les publics visés par nos activités ou encore les rapports dans les relations de partenariat.

La place d’Oxfam-Magasins du monde est particulière dans ce débat car si elle se pose en opposition à l’extractivisme entrainé par la colonisation et qu’elle vise à réduire les inégalités grâce au commerce équitable (Trade not Aid), cela ne veut pas dire qu’elle passe à côté des écueils de la perpétuation des stéréotypes racistes envers les populations du Sud et qui contribuent à les maintenir dans une position dominée vis-à-vis du Nord. Les ONG’s d’aide développement sont d’ailleurs aussi pointées du doigts comme étant un héritage colonial.

Chez Oxfam-Magasins du monde, un groupe de travail interne a, depuis, été mis en place et se chargera d’aborder ces nombreux défis afin de « questionner nos structures, stratégies, relations partenariales, et modes de pensée existants, pour les adapter afin qu’ils contribuent toujours plus à un monde juste, inclusif et durable »[7]« Note sur la mémoire coloniale et les enjeux de décolonisation », CNCD-11.11.11, 2022..

Notes[+]