Depuis le 1er mai 2008, le belge Olivier De Schutter est le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, poste auquel il a succédé au suisse Jean Ziegler.
L’objectif de cette analyse est de permettre de comprendre en quoi consiste la fonction qu’il exerce, et quelle est la vision du changement qu’il défend au niveau des instances internationales qui l’ont mandaté. [[highslide](1;1;;;)
La contribution du commerce équitable à l’acquisition du droit à l’alimentation ne sera pas l’objet de cette analyse. Pour approfondir cette thématique, voir : Graas, F., Commerce équitable et droit à l’alimentation, Etude, Oxfam-Magasins du monde, 2009.
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Droit à l’alimentation
Eliminer la faim n’est pas qu’un idéal noble. Assurer le droit à une nourriture adéquate et le droit fondamental d’être à l’abri de la faim est une question de droit international, spécifiquement garanti par un certain nombre d’instruments relatifs aux droits de l’homme, auxquels ont souscrit les Etats du monde entier.
Le droit à l’alimentation tient son origine dans la Déclaration universelle des droits de l’homme datant de 1948. L’article 25 de la Déclaration énonce que
Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation […].
Ce droit est encore réaffirmé dans différents instruments spécifiques tels que la Convention sur les droits de l’enfant, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il figure par ailleurs dans le préambule de la l’acte constitutif de la FAO.
En 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels décrit le droit à l’alimentation dans des termes plus précis:
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture suffisante… Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie.
Pour le Rapporteur Spécial, le droit à l’alimentation se traduit aujourd’hui par [[highslide](2;2;;;)
Cette précision du droit à l’alimentation actuelle a été faite en 1999, par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (Observation générale n°12).
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un accès régulier, permanent et non-restrictif, soit directement ou au moyen d’achats financiers, à une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante correspondant aux traditions culturelles du peuple auquel le consommateur appartient, et qui lui procure une vie physique et mentale, individuelle et collective, épanouissante et exempte de peur.
Toutefois, si le droit à l’alimentation est reconnu, directement ou indirectement, par tous les pays du monde, la faim – qu’elle soit due à la guerre, à la sécheresse, aux catastrophes naturelles ou à la pauvreté – continue pourtant d’être l’origine de nombreuses formes de souffrance. La pauvreté en est non seulement une des causes, mais aussi une des conséquences.
Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation
Au Sommet mondial de l’alimentation, en 1996, les chefs de 185 pays et la Communauté Européenne ont réaffirmé ce droit dans la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale [[highslide](3;3;;;)
Au sujet du sommet mondial de l’alimentation, voir analyse Journée Mondiale de l’Alimentation, dans ce cahier thématique.
[/highslide]]. En outre, préoccupés par le nombre important de personnes malnutries, ils se sont également engagés à donner progressivement à ce droit un contenu plus concret et opérationnel.
C’est dans ce cadre que la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a établi en 2000 le mandat de Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, qui a été assumé jusqu’en 2008 à Jean Ziegler. Il a pour mission de promouvoir au mieux la réalisation effective du droit à l’alimentation.
Pour promouvoir le droit à l’alimentation, le Rapporteur spécial dispose de trois outils :
- présenter devant la Commission des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations Unies des rapports généraux et thématiques sur le droit à l’alimentation. Il lui appartient de rendre compte des obstacles à la réalisation du droit à l’alimentation et de proposer des moyens efficaces pour les surmonter ;
- conduire des missions de terrain dans le but de contrôler le respect du droit à l’alimentation dans les pays visités ;
- envoyer des dénonciations urgentes aux gouvernements dans des cas précis de violations du droit à l’alimentation.
Pour mener à bien sa mission, le Rapporteur spécial s’appuie sur l’expertise et le travail des ONG et des organisations de la société civile.
Les obligations pour les Etats
La Commission des droits de l’homme des Nations Unies ne s’est pas uniquement contentée de la création de ce mandat. Elle a également précisé quelles en sont les obligations des Etats qu’implique la pleine réalisation du droit à l’alimentation. Trois niveaux d’obligation s’imposent désormais aux États :
1. Respecter ce droit : s’abstenir de prendre des mesures qui aient pour effet de priver quiconque de son droit à l’alimentation.
Ex : Un État ne saurait, dans des zones en déficit alimentaire, confisquer des terres ou dévier des cours d’eau utilisés à des fins agricoles sans s’appuyer sur une raison valable et proposer une compensation adéquate.
2. Protéger ce droit : veiller à ce que personne ne prive des individus de ce droit.
Ex : Avant d’attribuer des permis ou des concessions pour des activités industrielles telles que l’exploitation forestière, les autorités devront s’assurer que ces activités n’auront pas pour effet d’empêcher l’accès à la nourriture ou à des moyens d’existence.
3. Donner effet à ce droit : d’une part faciliter les actions qui renforcent, au bénéfice de la population, l’accès aux ressources et leur utilisation ;
Ex : Encourager l’adoption de mesures radicales, telles que des réformes agraires, informer la population de ses droits.
D’autre part, lorsque des citoyens se trouvent, pour des raisons indépendantes de leur volonté, dans l’impossibilité d’exercer leur droit à l’alimentation, les États doivent leur en donner les moyens.
Ex : subventions au revenu ou l’aide alimentaire d’urgence
Au niveau international, le droit à l’alimentation a très largement bénéficié du nouvel élan imprimé par l’adoption unanime, en 2004, des directives volontaires pour l’application du droit à l’alimentation [[highslide](4;4;;;)
L’intitulé exact de ces directives est : Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.
[/highslide]] par le Conseil de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pour la première fois, la communauté internationale s’est accordée pleinement sur les implications concrètes du respect du droit à l’alimentation.
Ces directives jettent une passerelle entre la reconnaissance juridique de ce droit et sa réalisation effective, apportant aux gouvernements, à la société civile et à d’autres partenaires, un ensemble cohérent de recommandations.
Au nombre de dix-neuf, elles recouvrent des considérations sur des politiques de développement économique, des questions juridiques et institutionnelles, la politique agricole et alimentaire, de nutrition, de sécurité alimentaire, de protection des consommateurs, d’éducation, de sensibilisation, de dispositifs de sécurité sociale, de situations d’urgence, de coopération internationale… Elles constituent un cadre adapté à une politique intégrée de sécurité alimentaire au niveau national [[highslide](5;5;;;)
Le lecteur intéressé de connaitre les 19 directives, voir : http://www.fao.org/righttofood/publi_01_fr.htm
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Plusieurs pays comme la Bolivie, le Guatemala, l’Indonésie, le Mali, l’Ouganda, la Mozambique, le Népal, ou encore le Brésil ont ainsi entamé un travail de transposition des recommandations de ces directives au niveau national. La société civile de ces pays suivent de près l’évolution de ce travail, et interpellent régulièrement leurs élus sur les mesures qu’ils peuvent concrètement prendre.
Un plan pour éradiquer la faim dans le monde
Le mandat d’Olivier De Schutter, démarre en 2008 sur des chapeaux de roue. L’année est, en effet, marquée par la flambée des prix agricoles internationaux, diversement répercutée sur les marchés intérieurs des pays concernés. Cette situation provoque des émeutes de la faim dans une quarantaine de pays en développement. Comme en témoignent les statistiques de la FAO l’année suivante, la barrière symbolique du milliard d’êtres humains souffrant de la faim dans le monde est dépassée. La crise alimentaire est alors sous les feux de l’actualité et est au cœur de nombreux discours politiques.
S’il existe un très large consensus sur l’analyse de la situation, les points de vue entre acteurs sur les facteurs explicatifs peuvent être, quant à eux, radicalement différents, et conduire à des solutions qui le sont tout autant. La question de la faim dans le monde apparait comme une question éminemment politique, et non technique !
D’amblée, le débat semble biaisé par les conclusions de leur petite animation vidéo introductive, censée camper les bases du débat. Partant des constats communément admis, ce sont en effet l’ouverture des frontières et l’inscription des producteurs dans le marché agricole mondial qui sont finalement préconisées.
Ces deux « solutions » néolibérale sont pourtant critiquées par un grand nombre d’acteurs – dont Olivier De Schutter – qui y voient justement l’une des causes profondes de la crise alimentaire actuelle.
Dans ce contexte, Olivier De Schutter propose de reconsidérer l’organisation du système alimentaire mondial sur le long terme afin de le rendre capable de garantir le respect du droit à l’alimentation pour tous. Tout en soulignant l’intérêt de certaines mesures immédiates préconisées par les Etats – transparence sur les stocks de céréales, filets de sécurité sociales, soutien rapide aux pays victimes de la hausse des prix,… – il formule un ensemble de recommandations pour s’attaquer de front aux causes profondes du problème.
1. Soutenir la capacité de tous les pays à se nourrir eux-mêmes
La promotion continue d’une agriculture d’exportation a rendu de nombreux pays très vulnérables à la volatilité des changes et aux flambées des prix sur les marchés internationaux. Dans ces conditions, toute hausse de prix affecte directement la capacité des pays à se nourrir à des conditions acceptables. Il faut donc soutenir les petits agriculteurs locaux et, lorsque l’offre intérieure est suffisante, protéger ceux-ci contre le dumping des produits agricoles sur les marchés locaux.
2. Appuyer la constitution de réserves alimentaires
Des réserves alimentaires peuvent constituer un outil efficace de lutte contre la volatilité des prix, limitant les risques de spéculation par les traders et les abus de position dominante des acheteurs. De cette manière, il est davantage possible d’assurer des revenus stables aux paysans et de garantir que les aliments soient disponibles à un prix abordable.
3. S’attaquer à la spéculation des acteurs financiers
La spéculation alimentaire sur les marchés des produits dérivés ne cause pas la volatilité des prix agricoles, mais elle peut l’aggraver de manière significative. Les puissances économiques doivent restreindre les opérations sur les produits dérivés des matières premières agricoles aux seuls investisseurs qualifiés et compétents, basant leurs opérations sur les fondamentaux du marché plutôt que sur la seule quête de gains spéculatifs à court terme.
4. Soutenir la création de filets de sécurité sociale par un mécanisme mondial de réassurance
De nombreux pays pauvres craignent de ne pas être capables de financer des systèmes robustes de protection sociale, du fait d’être trop exposés à des chocs intérieurs ou internationaux, comme une chute soudaine des recettes d’exportation, de mauvaises récoltes ou de fortes hausses des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux.
La communauté internationale peut aider ces pays à surmonter cet obstacle en mettant sur pied un mécanisme mondial de réassurance.
5. Encourager les agriculteurs à s’organiser
L’une des principales raisons qui expliquent la pauvreté et la malnutrition des petits agriculteurs tient dans leur faible degré d’organisation. En formant des coopératives, les producteurs peuvent non seulement produire des récoltes, mais aussi transformer leur production en denrées alimentaires et se charger de leur conditionnement et de leur commercialisation afin d’augmenter la valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire. Ils peuvent également améliorer leur pouvoir de négociation pour l’achat d’intrants et la vente de leurs récoltes et peser politiquement, de sorte que les décisions qui les concernent ne soient plus prises sans qu’ils ne soient consultés.
6. Protéger l’accès à la terre.
Chaque année, des superficies de terres arables gigantesques font l’objet de négociations pouvant conduire à leur concession à des investisseurs ou à des gouvernements étrangers. Cette tendance actuelle à la spoliation des terres, qui se déroule principalement en Afrique subsaharienne, constitue une menace majeure pour la sécurité alimentaire des populations locales.
Un moratoire sur ces investissements à grande échelle est nécessaire jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé sur des conditions d’acquisition acceptables pour tous.
7. Soutenir la transition vers une agriculture durable
Les chocs météorologiques sont une cause majeure de la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Or on peut s’attendre à davantage d’événements climatiques extrêmes dans les années à venir. L’agriculture est une des grandes victimes de ce dérèglement climatique. Mais elle a également une grande part de responsabilité: 33% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’agriculture et de la déforestation opérée pour étendre les cultures et les pâturages. Il est donc vital de bâtir des systèmes agricoles à la fois plus résilients au changement climatique et qui permettent de l’atténuer.
L’agro-écologie dessine par exemple une voie porteuse de solutions. Mais il faut encore que les gouvernements fournissent un appui solide aux pratiques agricoles durables, afin qu’elles puissent se développer à plus large échelle.
8. Protéger le droit à l’alimentation.
Dans la lutte contre la faim, les institutions et la protection des droits ont un rôle à jouer. La faim ne résulte pas d’un déficit de production à l’échelle de la planète, mais de la violation des droits des plus pauvres en toute impunité. Il faut donc que les victimes de la faim puissent engager des actions contre leurs gouvernements lorsque ceux-ci ne prennent pas les mesures qui s’imposent pour lutter contre l’insécurité alimentaire.
Cultivons, une campagne politique
Notre campagne « Cultivons ! » est politique. Elle s’inscrit en effet en droite ligne avec le travail d’Olivier De Schutter pour mettre les Etats face à leurs responsabilités de faire du droit à l’alimentation une réalité pour tous. De la journée mondiale de l’alimentation en octobre 2011 à la grande conférence de Rio+20, nous serons donc présents pour faire entendre que le système alimentaire mondial actuel doit inévitablement changer en tenant compte des recommandations faites par Olivier De Schutter !
Corentin DAYEZ
Service politique
Sources :
- Site du rapporteur spécial Jean Ziegler : www.righttofood.org
- www.aidh.org/alimentation/index.htm
- Site du rapporteur spécial Olivier De Schutter : www.srfood.org/
- Site de la FAO sur le droit à l’alimentation : www.fao.org/righttofood/
- Le droit à l’alimentation, Editions du Centre Europe – Tiers Monde (CETIM), Genève, septembre 2005
- Un plan pour éradiquer la famine, L’Echo, mardi 08 février 2011