Ces dernières années, plusieurs écoles ont adopté un nouveau système d’organisation des cours qui s’intitule le « P90 ». Ce système permet de « dégager » du temps, une après-midi par semaine pour faire « autre chose » avec les élèves : remédiation, activités originales, etc. Cette analyse explore les opportunités que cela représente pour les activités d’ECMS. Celles-ci sont un pont entre les matières vu au cours et les questions de sociétés (solidarité, inégalités, etc.). Elles peuvent être abordées grâce à des outils pédagogiques souvent ludiques, ce qui permet aussi d’explorer un cadre d’apprentissage différent de celui de l’école « classique ».
Depuis quelques années, on voit plusieurs établissements scolaires répondre à la demande croissante d’un modèle pédagogique différent. En effet, les pédagogies dites alternatives comme les écoles Montessori, Freinet, Steiner-Waldorf, démocratiques, etc reçoivent de plus en plus de demande d’inscriptions. Des écoles nouvelles fleurissent partout en Belgique francophone depuis dix ans, bien qu’elles se concentrent dans la région de Bruxelles et du Brabant. (Zune, 2017). Si on peut assurément dire que les pédagogies alternatives créent de nombreux débats, comme avec les auteurs Ghislain Leroy et Ani Pérez qui en soulignent les limites, nous pouvons également remarquer qu’elles ont apporté beaucoup de réflexions, d’idées et de projets pilotes. Le projet développé dans ces écoles qui sera, ici, analysé est celui qu’on appelle le « P90 ».
Le programme appelé « P90 » a pour vocation de lutter contre l’échec scolaire et d’augmenter les opportunités de sensibiliser les élèves à divers sujets, autres que ceux prévus dans le programme officiel. Ce programme a commencé à être mis en place en 2013. Les écoles peuvent organiser des périodes (P) de cours de 45 minutes (au lieu de 50) idéalement jointes pour former une session de 90 minutes (P90). L’objectif est de gagner de petites tranches de 5 minutes qui sont récupérées et regroupées en un après-midi chaque semaine afin d’organiser en priorité des activités de remédiation pour tous les élèves de toutes les classes mais également des activités de dépassement (table de conversation en langues, atelier potager, …) ou des activités de découvertes répondant aux attentes des jeunes (premiers soins, activités artistiques, musicales, sportives, embellissement de l’école, …). C’est donc un système qui permet de « récupérer » du temps, sans « perdre » d’heures de cours, pour faire « autre chose » avec les élèves afin de favoriser leur réussite (CDVP,2023). C’est cet « autre chose » qui nous intéresse ici car susceptible d’être une grande opportunité pour le secteur de l’ECMS. Selon l’UNESCO, « L’Éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) a pour objet de mettre à la disposition des apprenant.e.s de tous âges les moyens d’assumer un rôle actif tant au niveau local que mondial dans la construction de sociétés plus pacifiques, tolérantes, inclusives et sûres ». L’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire renvoie à un paradigme de pensée dont le but est de comprendre et s’approprier les enjeux et défis mondiaux sans oublier la manière dont ils sont interconnectés (Acodev, 2023). Cela pourrait correspondre aux « activités de dépassement » ou « activités de découvertes » évoquées ci-dessus. Cela donnerait la possibilité d’enseigner aux élèves hors du carcan classique de l’école et avec d’autres méthodes : apprentissage par le dessin, la découverte, en groupe, par expérience, … Ce programme permet donc d’alterner différentes pédagogies et notamment mettre en place une pédagogie dite « active ». Ce mode de pédagogie favorise la coopération et le travail de groupe. Il ne rentre dans aucune forme de cotation, d’évaluation ou d’examens. Le temps « gagné » par cette formule vise uniquement à faire acquérir du savoir, du savoir-faire et du savoir-être autrement.
Effectivement, le « P90 » a de nombreux avantages. Les élèves n’ont plus que quatre cours par jour au lieu de huit. Ce qui signifie que le travail est mieux réparti. Ensuite, comme il y a moins d’intercours qui occasionnent des déplacements dans l’école, il y a moins de temps perdu. Lors de notre entretien, Pierre Jean Riesen, professeur au Collège- Saint- Etienne explique également « qu’il y a nettement moins de pression sur l’organisation des journées. C’est devenu beaucoup plus relax avec une journée organisée en P90. Et en plus, on a aussi complètement changé nos horaires. Avant on commençait à 8h35 avec les trains qui arrivaient à 8h31 donc c’était la course pour les élèves et on terminait à 16h15 en ayant 3h le matin, récré, 2h, le temps de midi et puis l’après-midi on avait 3h d’affilée. Aujourd’hui on démarre à 8h45 donc par rapport aux transports en communs, c’est beaucoup plus cool. Par rapport à nos élèves, on a quand même l’impression de respecter un rythme qui leur convient mieux. On a donc une P90, une récréation, une P90, le temps de midi et puis une P90, une récré, une P90. Donc, on a ajouté une récré et on finit à 16h. On commence plus tard et on finit plus tôt et il y a une récrée entre chaque cours. Ce qui veut dire qu’il y a zéro pression. Les élèves ne doivent pas se presser pour aller d’un endroit à l’autre entre les cours. C’est beaucoup plus calme dans l’école parce qu’il n’y a pas toutes les 50min un coup de sonnette et un immense vacarme parce que tous les élèves changent de locaux. C’est vraiment un rythme que tout le monde préfère par rapport à l’horaire précédent. » Il est clair que le Collège Saint Etienne considère sa transition comme une victoire et ne compte absolument pas, un jour, repasser dans le système « classique ». Les temps libérés par les « P90 » permettent également aux élèves de se rencontrer les un.e.s les autres mais également de rencontrer leurs professeur.e.s différemment. En effet, ce programme permet aux élèves de choisir entre plusieurs activités différentes (ex : construire un potager, créer un podcast, un film, etc.). Les classes et les âges sont également mélangés (de la première à la troisième et de la quatrième à la sixième). Les élèves croisent ainsi des élèves autres que ceux ou celles de leur année mais également des professeur.e.s différent.e.s de ceux/celles qu’iels voient chaque jour.
Différents systèmes sont venus au cours des dernières années questionner le processus d’apprentissage de l’école. En revanche, la forme du système en soi, n’a que très peu bougé. Notre société évolue constamment et beaucoup de choses ont changé depuis la mise en place du système scolaire que l’on connaît encore actuellement. Nous devons répondre à de nouveaux problèmes qui n’étaient pas posés hier. Les élèves d’aujourd’hui seront les adultes de demain qui devront s’occuper de la Terre, des humains, des écosystèmes et réinventer une société soutenable et vivable. D’où la nécessité de faire développer un esprit critique, de faire en sorte que les élèves puissent participer à la vie démocratique en sachant communiquer, écrire, parler, vivre ensemble et s’accepter (Gasuparu, 2022). Le système de « P90 » répond en partie à ces défis. Y intégrer les outils et les ateliers de l’ECMS n’en serait que bénéfique. L’ECMS peut contribuer à apporter du sens aux ateliers, augmenter la cohésion au sein de l’école puisque les élèves ont plus d’opportunités de faire du lien entre eux/elles. Cela améliore également fortement le vivre-ensemble, contribuer à la lutte contre le décrochage scolaire par la mise en projet qui induit confiance et motivation et enfin apporter une meilleure réputation (« une école où il se passe des choses ») (Acodev, 2023).
Florine Deveseleer (2020) explique que les activités d’ECMS visent à permettre ou renforcer l’acquisition par les élèves de certaines compétences, essentielles à la formation de citoyen·ne·s actif·ve·s pour un monde plus juste et solidaire. Ces compétences ont été identifiées par WikiCM, le centre de connaissances et laboratoire d’innovation en éducation à la citoyenneté mondiale, qui rassemble les acteurs·trices du secteur de l’ECMS. Florine Deveseleer (2020) conclue que les membres de WikiCM ont ainsi répertorié 34 compétences à acquérir via l’ECMS, les ont classées en sept groupes[1] et les ont définies dans le référentiel ECMS. La plupart sont en phase avec les socles de compétences établis par la Fédération Wallonie-Bruxelles, tant pour l’enseignement primaire que secondaire. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas que l’ECMS passe à côté de l’opportunité de travailler main dans la main avec les écoles en P90. Les enseignant·e·s ont été nombreux/euses à mettre en évidence la complémentarité de l’ECMS par rapport aux contenus développés dans les cours, que l’ECMS renforce ou complète, notamment en questionnant les valeurs mobilisées pour appréhender ces contenus. Ils/elles sont d’ailleurs nombreux/euses à pointer cet apport externe comme l’un des facteurs clés favorisant un impact positif des interventions d’ECMS sur les élèves. Ces interventions donnent du sens et ancrent concrètement le contenu des cours ou le projet de l’école (Deveseleer, 2020).
En conclusion, nous pouvons dire que la création de programmes alternatif comme le P90 fonctionne en écho avec les outils créés pour l’ECMS. Actuellement, il n’y a que quelques écoles qui se sont jetées à l’eau. C’est donc une belle occasion pour le secteur de l’ECMS de co-construire avec elles des nouvelles façons d’enseigner à l’école !
Bibliographie
Gasuparu, (2022, 29 décembre). Révolutionner l’école : une nécessité. Médiapart.
Acodev, (2023) L’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire à l’école, ça marche ! Acodev
Deveseleer, F. (2020). L’ECMS : quel impact dans les écoles ? comment le renforcer ? Revue Antipodes.
Zune, M. (2017). Pour une autre éducation : les pédagogies alternatives. CPCP
Notes
- S’informer sur le monde et ses interconnexions : il s’agit notamment de faire le lien entre ici et ailleurs, de développer la curiosité pour la diversité, d’envisager la complexité du monde, de découvrir le monde à partir du concret.
- Se sentir concerné·e : Ce groupe comprend des compétences telles que la compréhension des notions de solidarité et de partage, ou encore de l’importance de l’égalité entre les êtres humains ainsi que de l’empathie.
- Développer une pensée positive et non discriminante : il s’agit de renforcer la vision positive sur les autres au-delà des apparences, prendre conscience qu’on utilise des stéréotypes et apprendre à les déconstruire, ou encore réfléchir sur la discrimination et l’exclusion.
- Etre conscient·e de sa responsabilité locale et globale : comprendre comment nos actions peuvent avoir un impact positif sur les autres, sur nous-mêmes et notre communauté, connaitre ses droits et devoirs, découvrir des leviers d’action possibles, etc.
- Se construire librement une opinion critique, autrement dit questionner les généralisations, les préjugés, découvrir qu’il existe plusieurs points de vue sur une question, oser exprimer son opinion.
- Mener une action utile/pertinente vers l’extérieur : il s’agit de modifier les attitudes et comportements des citoyen·ne·s en favorisant leur sens de l’entraide et de la coopération, en les aidant à dépasser le fatalisme, en les incitant à participer à des activités locales allant dans le sens d’un monde plus juste, et leur donnant envie d’inciter les autres à agir également.
- Adhérer librement aux valeurs de citoyenneté mondiale : par exemple, repérer la valeur de l’engagement social ou mobiliser son sens de la justice.
© Photo de Arthur Krijgsman