Au cours des dernières années, une tendance alarmante s’est manifestée à travers le monde : la montée de l’extrême droite parmi les jeunes (Charbit, 2024). Ce phénomène complexe résulte de multiples facteurs sociopolitiques, économiques et culturels. Parmi ceux-ci, on peut citer, par exemple, la crise économique mondiale de 2008, qui a engendré un sentiment ambiant croissant de précarité chez les jeunes générations, les poussant à rechercher des solutions radicales. Parallèlement, la montée du nationalisme et du populisme, exacerbée par des leader/euse.s politiques charismatiques, a contribué à légitimer les discours extrémistes. Ou encore la polarisation des questions liées à l’immigration, à l’identité culturelle et à la sécurité qui ont également polarisé le débat public, créant un terrain fertile pour les idéologies xénophobes et autoritaires.
Dans cette analyse, nous allons explorer trois causes qui expliquent cette montée de l’extrême droite parmi les jeunes. En premier, les réseaux sociaux. En effet, les jeunes passent beaucoup de temps en ligne, où l’extrême droite peut recruter et propager ses idées. Les plateformes sociales offrent un espace où ces idées peuvent être partagées et amplifiées, souvent sans filtre ni contrôle parental. Ensuite, la jeune génération est particulièrement traversée par une crise d’identité et donc une recherche de communauté. Effectivement, à un âge où l’identité est en pleine formation, certain.e.s jeunes peuvent être attiré.e.s par des groupes extrémistes puisqu’ils leur offrent un sentiment de communauté et d’appartenance. Particulièrement à notre époque, où les repères de notre monde sont en constante évolution. L’extrême droite présente souvent un discours simpliste et séduisant qui peut sembler répondre aux questions et aux préoccupations des jeunes en quête de repères. De plus, le climat politique et social influence forcément les jeunes. Les crises économiques, les tensions sociales et les discours populistes actuels peuvent créer un terreau favorable à l’adhésion à des idées extrémistes.
Pour commencer, nous allons donc détailler l’impact d’internet et des réseaux sociaux sur la montée des idées d’extrême droite chez les jeunes. En effet, ces derniers jouent un rôle significatif dans la montée de l’extrême droite parmi les jeunes âgé.e.s de 12 à 18 ans pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces plateformes offrent un accès facile et constant à une variété de contenus, y compris des discours et des idées extrémistes, sans filtre ni contrôle. Les algorithmes de recommandation peuvent également contribuer à l’enfermement des jeunes dans des bulles d’information, les exposant davantage à des contenus extrémistes qui renforcent leurs croyances (Stassart, 2023). Entrent alors en jeu un biais cognitif très connu : le biais de confirmation. Comme les jeunes ne voient que le même genre de contenu à cause des algorithmes, ils/elles vont finir par privilégier les informations qui confortent leurs préjugés, leurs idées reçues, leurs convictions, leurs hypothèses (Stassart, 2023). De plus, l’anonymat relatif sur internet permet aux jeunes de s’engager dans des discussions et des communautés extrémistes sans craindre les conséquences sociales ou familiales. Cela facilite la radicalisation en ligne, car les jeunes peuvent être influencé.e.s par des pairs ou des figures d’autorité au sein de ces espaces virtuels (Stassart, 2023). Ils/elles peuvent avoir des propos bien plus virulent via écran interposés que face à face ou accepter des commentaires qu’ils/elles auraient pu contester si la conversation avait lieu en face à face. Les réseaux sociaux offrent également une plateforme pour la propagande et la diffusion de messages extrémistes de manière virale. Les jeunes sont particulièrement réceptifs aux contenus visuels et aux mèmes, qui sont largement utilisés par les groupes d’extrême droite pour véhiculer leurs idées de manière attrayante et persuasive. Les élections du 26 mai 2019 en Belgique ont déjà donné lieu à toutes sortes d’analyses plus ou moins pertinentes et restent un bon exemple de l’impact des réseaux sociaux sur les avis politiques des jeunes. En effet, l’une de ses principales leçons est sans doute que le Vlaams Belang doit sa résurgence, au moins dans une certaine mesure, à la manière dont il a exploité les réseaux sociaux nous explique Hind Fraihi (2019). Le parti d’extrême droite a en effet dépensé plus de 400 000 euros (soit plus que tous les autres partis réunis) en publicité sur Facebook (Fraihi, 2022). En 2022, le Vlaams Belang dépensait en moyenne 97.000 euros par mois en publicité sur Facebook en 2022… (Tourriel, 2023).
Les milieux d’extrême droite n’hésitent-pas à investir massivement sur les réseaux sociaux pour augmenter leur impact chez les jeunes. Hind Fraihi explique qu’en effet, même sans orchestrer de vastes campagnes publicitaires, les partis, personnalités et idéologies de droite et d’extrême droite dominent les flux de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Une étude consacrée aux débats sur Twitter en Flandre et aux Pays-Bas montre que cinquante et un des cent comptes les plus visibles sur le réseau de microblogage relèvent de la mouvance de droite ou d’extrême droite. La désinformation et les fausses nouvelles prolifèrent sur internet, ce qui peut brouiller les lignes entre la réalité et la fiction, rendant les jeunes plus vulnérables à l’endoctrinement. Enfin, la nature interactive des médias sociaux permet aux jeunes de s’engager directement avec les idées et les membres de l’extrême droite, créant ainsi un sentiment de connexion et d’appartenance qui peut les attirer davantage vers ces idéologies radicales. Les réseaux sociaux permettent aux idées d’extrêmes droites de contourner les médias traditionnaux et de se refaire une image plus attractive chez la jeune génération. Les réseaux sociaux permettent également de donner aux jeunes un sentiment d’appartenance et donc un sens à ses actions. Sur la toile, les jeunes sont de plus en plus exposé.e.s à diverses formes de violence numérique ainsi qu’à des contenus et des discours extrêmes. Ils/elles peuvent être entraîné.e.s dans la propagande et partager des informations problématiques sans véritable discernement, parfois inconscient.e.s des motivations antidémocratiques qui les sous-tendent. Ce phénomène de partage de contenus radicaux et violents peut malheureusement se traduire par des actes de violence réelle dans le monde physique. Afin de contrer cette tendance, les adolescent.e.s ont besoin de repères solides pour adopter une position ferme contre la haine et l’extrémisme. Les parents ainsi que toutes personnes ayant un rôle éducatif ont un rôle crucial à jouer en les aidant à réfléchir sur leur rapport à la religion et à la démocratie, à développer leurs capacités à débattre de manière constructive, et à remettre en question de façon critique les contenus qu’ils/elles rencontrent en ligne.
En 2023, l’Université de Bâle a mené une recherche sociologique sur le type de jeune qui rejoint des groupes d’extrêmes droites. L’équipe de chercheur.euse.s composée de sociologues et de psychologues a mis deux types de jeunes en avant : Il y a d’abord l’adolescent.e peu sûr.e de lui/elle qui ne poursuit pas vraiment de but idéologique ou politique mais recherche la cohésion du groupe dans une phase instable de sa vie. C’est le type «compensateur», souvent reconnaissable par l’habillement affiché dans les lieux publics. Le deuxième type, l’ambitieux », est mû par l’idéologie d’extrême droite et est désireux de changer la société dans ce sens. Il sera en général un peu plus âgé et choisira de préférence des groupements plus structurés et moins facilement identifiables par l’apparence. Ce qui est certain c’est que dans tous les cas le/la jeune, cherche a combler deux besoins : celui d’être différent.e et celui d’appartenir à un groupe. Sylvain Delouvée (2021) expluqe qu’ adhérer à un groupe d’extrême droit est très souvent lié au fait de vouloir se sentir unique, différent. Ce besoin va nous amener à avoir envie d’adhérer et de diffuser des versions opposées à la version officielle, de montrer que nous ne sommes pas des moutons et que nous pouvons penser par nous-même. Ça entraîne une fascination pour la pensée complotiste. Sylvain Delouvée (2021) démontre ensuite que le second grand besoin, qui est peut-être le plus important, est le besoin socio-identitaire, celui d’appartenance à des groupes. Nous sommes des êtres sociaux par essence, nous fonctionnons avec les autres, avec le regard des autres. Il y a donc un besoin d’affiliation, d’appartenir à des groupes sociaux, une communauté, à se sentir proche d’autres individus. Ce besoin de similarité va conduire à s’enfermer dans des groupes homophiles (dont les individus présentent les mêmes caractéristiques). C’est ce qu’on voit avec les bulles de filtre : Facebook et Twitter n’ont rien inventé, ils ne font que répondre au besoin d’être confronté à la similarité plutôt qu’à la différence. Cela fonctionne aussi avec les médias, les productions culturelles, etc.
Les crises économiques, les tensions sociales et les discours populistes actuels peuvent créer un terreau favorable à l’adhésion à des idées extrémistes. Ces dernières années ont été particulièrement propice à des climats de tensions. La société en perpétuel mouvement a permis l’avancée des droits de minorités. Et ce faisant, elle a également bousculé plusieurs références. Certain.e.s jeunes perçoivent avec anxiété ce changement « d’univers de référence » et donc la société stable et relativement close des générations qui les ont précédés. Claire Williquet Liétard expliquait déjà en 2013 que le manque d’échanges entre les différentes communautés entraine l’incompréhension culturelle qui accentue les replis identitaires, provoque la montée de l’extrémisme dans les différents camps, nourrit la méfiance de ceux d’en face, « non extrémistes » compris, et accroit le rejet de l’autre. Ainsi fonctionne l’infernal cercle vicieux qui conduit à la déshumanisation alimentée par la peur qui peu à peu se transforme en haine. Ce cercle vicieux n’a fait que s’accroitre en 10 ans.
Cependant Claire Williquet propose également une solution : « Pour enrayer la montée de l’extrême droite, il est urgent de recentrer le débat public sur les questions de pauvreté, de chômage, sur la régulation de la finance et non de le focaliser sur les fausses racines du problème que sont la criminalité ou l’immigration. Que de ce débat public sortent des mesures fortes qui redonnent espoir aux citoyen.ne.s. Cela nécessite également d’informer les victimes de la crise en particulier et tou.te.s les citoyen.n.s en général sur les causes de la crise économique et sociale afin d’éviter de se tromper de responsables et que celle-ci ne fasse de nouvelles victimes collatérales. » S’il y a bien une chose qui est commune à toutes les crises et les montées d’extrêmes c’est la perte de dialogue. Il est urgent et essentiel de rester en contact avec tous les jeunes peu importe leur discours politique. C’est par la discussion que nous pouvons les amener à développer leur esprit critique. Un esprit critique qui est particulièrement nécessaire dans une époque ou les fake news ne cessent de se démultiplier. En multipliant les histoires, les points de vue et les liens, nous permettrons aux jeunes d’être moins perméables aux idées d’extrêmes droites. Plus que jamais, les jeunes ont besoin d’outils pour alimenter leur réflexion de façon saine. Au final, le but n’est pas de convaincre les jeunes mais de les outiller pour en faire des adultes autonomes.
Coline Ippersiel
Bibliographie
- Fraihi,H. (2019). Comment expliquer la domination de l’extrême droite sur les réseaux sociaux ? Les plats-pays – Société.
- Charbit, G. (2024). L’extrême droite, la fin d’un tabou en Allemagne. La Trois Investigation.
- Touriel, A. (2023). 11 juillet : le Vlaams Belang a dépensé plus de 160.000 euros sur Facebook pour distribuer des drapeaux flamingants en échange de donnéesRTBF-Politique
- Stassart, C. (2023). Quand les jeunes instrumentalisent les algorithmes des réseaux sociaux. Daily Sciences. https://dailyscience.be/
- Delouvée, S. (2021). Du cerveau à l’appartenance sociale. Echange avec Sylvain Delouvée. Conseil National du Numérique.
- Williquet, C. (2013). Montée de l’extrême droite en Europe, un urgent devoir de mémoire. Centre Avec Asbl. Bruxelles.