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Le Service-Learning : définition, réflexion et étude de cas en Belgique francophone

Analyses
Le Service-Learning :  définition, réflexion et étude de cas en Belgique francophone
Le Service-Learning est un concept d’enseignement mettant l’accent à parts égales sur l’apprentissage par l’expérience et le service rendu à la communauté. On en entend timidement parler en Belgique francophone alors qu’il est déjà fort développé dans la culture d’enseignement anglo-saxonne et hispanophone. Ce modèle qui prône l’engagement citoyen dans le cadre des cours est encensé par beaucoup. Cependant, le type d’engagement qui doit être valorisé et la manière de le valoriser font encore débat.

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Introduction

Nous avons décidé d’aborder le Service-Learning après en avoir plusieurs fois entendu parler dans le cadre de notre travail d’Éducation à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire (ECMS). Ce thème a déjà été évoqué cette année dans une analyse de notre collègue Simon Laffineur [1. S. Laffineur, « L’ONG, un partenaire dans la relation prof-élèves », 2019. Toutes les références suivantes à S. Laffineur, sans citation directe, se réfèrent à cette analyse.]. Cette analyse explorait la question suivante : « Les animations en milieu scolaire proposées par Oxfam-Magasins du monde et d’autres ONG peuvent-elles aider à résoudre le problème du décrochage scolaire ?[2. Id.] » La personne interrogée à ce sujet, Bernard De Vos [3. Bernard De Vos est Délégué Général aux Droits de l’Enfant. Voir cv : http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=2484], y expliquait le concept du Service-Learning, originaire des États-Unis, en le considérant comme une véritable piste de remotivation des jeunes envers l’école. Il évoquait les projets qu’il avait tenté de mettre en place dans une école de la Fédération Wallonie-Bruxelles, sans grand succès en raison de la réticence de la direction. Ce qui amenait donc Simon Laffineur à constater qu’ « il y a cependant encore bien du travail à faire pour convaincre certaines directions d’école de leur intérêt.» [4. Ibid.]
Cette année également, à l’occasion d’un colloque organisé par Uni4coop[5. Collaboration des 3 ONG universitaires en Belgique francophone] intitulé « L’engagement, ça s’apprend [6. http://www.fucid.be/programme]» , nous avons fait connaissance avec ce modèle d’apprentissage. Il nous est apparu qu’il y avait un grand intérêt dans le monde académique et dans le monde associatif pour ce genre de pratique, mais qu’elle était pour le moment principalement appliquée dans le monde anglo-saxon. Nous avons pu bénéficier des exposés d’un représentant d’une université allemande et de deux représentants de la KULeuven.
Nous tenterons dans cette analyse d’aborder cette question au niveau de l’enseignement supérieur. Nous présenterons également deux cas précis en Belgique francophone et verrons si, à la lumière des définitions proposées par les théoriciens, nous pouvons véritablement parler de Service-Learning.
Enfin, nous questionnerons l’intérêt de l’insertion du modèle du Service-Learning dans le cadre des études et de sa valorisation par des crédits ECTS[7. Système de mesures quantitatives des heures de travail pour les études supérieures : https://diplomeo.com/actualite-credits_ects_european_credits_transfer_system]. Ne perdrait-il pas son sens premier ? L’engagement citoyen ne serait-il pas alors vu seulement comme un « devoir » comme les autres ?
Nous éclairerons cette réflexion avec les propos de Maxime Mori, ex-étudiant engagé et ancien président de la FEF[8. F.E.F. = Fédération des Étudiants Francophones] , qui s’est intéressé à ces questions lors de son mandat. Les deux cas précis mentionnés plus loin ont été amenés lors d’une interview qu’il nous a accordée.

Définitions du modèle :

Il nous a été difficile de trouver des travaux francophones sur le sujet tant la pratique est plutôt développée, et existe depuis bien plus longtemps, dans les instances éducatives anglo-saxonnes, même s’il apparait qu’elle est également mise en place dans le monde académique hispanophone[9. https://aprendizajeservicio.net] . En France et en Belgique francophone, on voit tout doucement éclore la pratique sous le terme de « valorisation de l’engagement », mais nous verrons par la suite que ce terme ne recouvre pas forcément la même chose que le Service-Learning car il n’entre pas dans le cadre des cours et ne se focalise pas sur l’apprentissage de l’étudiant.e.
La définition la plus ancienne, reprise par tous les articles ultérieurs, a été donnée par Robert Sigmon en 1979. Ses termes ont été repris par Andrew Furco : « Il définit le Service Learning comme une approche expérientielle de l’éducation, et qui se base sur « l’apprentissage réciproque ». Il suggère que, parce que l’apprentissage provient des activités de service, autant ceux qui rendent le service que ceux qui le reçoivent « apprennent » de cette expérience. [10. A. Furco « Service Learning : A balanced approach to experiential education », in Expanding Boundaries : Serving and Learning, january 1996]» Furco reconnait ensuite que le terme « Service Learning » a été et peut être utilisé pour une large gamme d’approches d’éducation basées sur l’expérience. Afin d’aider à distinguer le Service-Learning de ces autres types d’apprentissage basé sur l’expérience, Furco établit le schéma suivant [11. Id.] :

Ce schéma permet d’illustrer la définition plus précise, donnée plus tard par Sigmon : « il s’agit d’un projet de Service-Learning lorsqu’il y a un équilibre entre les objectifs d’apprentissage et les résultats grâce au service donné.[12. Ibid] » Cela veut dire que les deux sont recherchés à travers le projet. Ce qui permettra également de différencier le Service-Learning d’autres projets basés sur le service et l’apprentissage par l’expérience est de voir quel est le premier bénéficiaire visé. Dans le cas du Service-Learning, il y a un équilibre entre le « Pourvoyeur » (Provider) et le « receveur » (Recipient). Tous les deux sont les premiers bénéficiaires visés, sans que l’un soit favorisé au détriment de l’autre. Par exemple, dans le cas du volontariat, même si au final le « Pourvoyeur » percevra quelque bénéfice de l’expérience (par ex : se sentir content de soi) et en apprendra certainement quelque chose, Furco précise que ces résultats n’étaient clairement pas intentionnels. De même, dans le cas du stage, l’objectif premier est l’apprentissage de l’étudiant·e par l’expérience, ce n’est donc pas du Service-Learning puisque, même s’il se produit par la suite, le bénéfice du « Receveur » n’était, à priori, pas recherché.
L’auteur donne alors un exemple concret de Service-Learning : des étudiant·e·s en prépa de médecine qui, dans le cadre d’un cours de physiologie des personnes âgées, appliqueraient les théories et compétences apprises en cours en pourvoyant des services d’assistance en mobilité aux séniors du centre pour personnes âgées du quartier.
Le projet correspond à un besoin existant des deux côtés du continuum (Pourvoyeur et Receveur). De plus, les objectifs de ce programme sont autant l’apprentissage des étudiant·e·s que l’amélioration de la mobilité des personnes âgées. La notion de besoin déjà existant, introduite ici, est également primordiale dans un projet de Service-Learning.
Lors du colloque sur l’engagement étudiant mentionné ci-dessus, les trois intervenants ont repris les éléments de la définition de Sigmon, comme la réciprocité entre l’apprentissage de l’étudiant·e et le service rendu. Une notion supplémentaire apparait, selon nous, dans l’exposé des intervenants de la KULeuven : la réflexion (« Serve, reflect, learn »)[13. https://www.kuleuven.be/english/education/sl/nieuwelayoutEN/whatisservicelearning/whatisservicelearning ] . Tous les deux la définissent comme des va-et-vient entre le service et l’apprentissage, pouvant entrainer une redéfinition du projet en fonction des apprentissages tirés et/ou des résultats du service rendu. Cette notion de va-et-vient entre les différentes étapes du projet est également reprise par une autre théoricienne du Service-Learning, Cathryn Berger Kaye. Elle décrit les cinq étapes de définition d’un projet, expliquant que ce n’est pas linéaire et qu’elles peuvent parfois être expérimentées de manière simultanée[14. C. Berger Kaye, « The Five Stages of Service Learning », Originally printed on the Education Week web site for a Global Learning blog hosted by the Asia Society, June 26, 2013 ].

Et en Belgique francophone ? Discussion avec Maxime Mori[15. Cette partie de l’analyse reprend les vues et réflexions de Maxime Mori, recueillies lors d’une interview téléphonique effectuée le 20 décembre 2018] :

Afin d’avoir une meilleure compréhension de la situation en Belgique francophone, nous avons contacté Maxime Mori. Il s’est intéressé au Service-Learning dans le cadre de son mandat comme président de la FEF d’août 2016 à août 2018. Il explique que ce type de projets est en réflexion dans le monde académique francophone mais qu’il n’est pas pour autant appliqué comme dans le modèle anglo-saxon décrit ci-dessus.
Le décret Marcourt a même été amendé en septembre 2018, indiquant qu’un jury d’étude peut valoriser en crédit un engagement de l’étudiant·e. Les modalités de cette valorisation restent cependant à la discrétion de l’établissement et dudit jury. De plus, l’engagement ne doit pas forcément être effectué hors de la communauté étudiant·e. Pas de réciprocité, ni de réflexion explicitement recherchées ici.
Maxime Mori, pour sa part, parle plutôt d’une « valorisation de l’expérience », comme on en trouve en France, lorsqu’une institution d’enseignement supérieur accorde des crédits pour un engagement extérieur au cursus, que ce soit un engagement professionnel, militaire, associatif, etc.[16. https://www.univ-rennes1.fr/luniversite-de-rennes-1-valorise-lengagement-etudiant ]
Il nous a présenté deux exemples que l’on trouve dans deux Hautes Écoles francophones : la Haute École Albert Jacquard (HEAJ) et la Haute École Louvain en Hainaut (HELHa). Au sein de ces deux Hautes Écoles, l’engagement au Conseil Étudiants peut être valorisé par l’obtention de quelques crédits.
Ces deux cas présentent pourtant des biais majeurs. À l’HEAJ, les crédits sont accordés (ou non) par le président du Conseil Étudiants, ce qui pose un problème d’impartialité de l’évaluateur et de liberté de parole pour l’évalué·e.
Dans le cas de l’HELHa, cette valorisation avait été décidé lorsque les étudiant·e·s membres du Conseil s’étaient mobilisé·e·s pour demander de meilleures conditions d’étude. Estimant alors que les étudiant·e·s prenaient une vraie part à la vie de la communauté de l’établissement, il a été décidé d’accorder des crédits à ceux et celles qui s’y engageaient. Cependant, toujours selon Maxime Mori, il y a également une limite ici en termes de Service-Learning car les crédits seront donnés, que les étudiant·e·s s’engagent à améliorer les conditions de vies et d’étude de la communauté étudiante de la HE ou qu’ils/elles décident d’utiliser tout le budget alloué au Conseil pour offrir des Student Pack[17. « Un goodiebag bien rempli, distribué au début de l’année académique sur les campus. » https://www.guidooh.be/fr/guido-student-pack/ ] à chacun·e. Nous ne retrouvons donc ici ni réciprocité dans le service, ni le cadre d’un cours. Il s’agit bien d’un engagement étudiant hors cursus, valorisé dans les crédits mais il ne s’agit pas de Service-Learning au sens de la définition de Sigmon.
Du point de vue de son parcours personnel, Maxime Mori estime avoir vécu une expérience proche de ce modèle avec son engagement au sein de la FEF, qu’il qualifie de « donnant-donnant ». Cependant, nous pensons que nous pouvons qualifier ce cas-ci de volontariat. En effet, le but premier recherché ici est plutôt le service rendu à la communauté étudiante et non l’apprentissage, même si, avec le recul, Maxime Mori estime qu’il y a eu une réciprocité. Il a « plus appris en dehors que dedans »[18. M. Mori, itw du 20 décembre 2018] et a pu faire le parallèle avec ses études qui en ont été enrichies.
Même s’il n’a pas vécu de projet en Service-Learning à proprement parler, Maxime Mori reste convaincu qu’il faudrait laisser plus de place à l’engagement dans le cursus des étudiant·e·s. Il préconise un autre calcul des crédits qui, pour le moment, prennent uniquement en compte le temps de cours et le temps d’étude et/ou de préparation en dehors des cours ex cathedra. Selon lui, s’il y a plus de temps qui est prévu dans ces crédits, cela permettra également aux structures extérieures (« comme par exemple Oxfam »[19. Id.] ) d’investir ce temps-là. Pour autant, il n’est pas non plus favorable à la revalorisation de l’engagement dans le cadre formel des cours, car cela dénaturerait l’objectif premier de l’engagement citoyen, il pourrait y avoir par exemple une mise en concurrence entre les étudiants et le type de service rendu.
Il insiste beaucoup sur la notion de temps supplémentaire car il estime que l’engagement qu’il a pu accorder à la FEF n’est pas accessible à tous. En effet, quelqu’un qui n’a pas la capacité de pouvoir réussir ses études sans aller régulièrement au cours et/ou la capacité financière de ne pas devoir exercer un travail rémunéré à côté de ses études, n’aurait pas pu s’engager comme il l’a fait.

Conclusion

Nous n’avons en définitive pas pu examiner de cas de Service-Learning dans l’enseignement supérieur en Belgique francophone. Mais il n’en reste pas moins que les réflexion de Maxime Mori sont intéressantes pour notre pratique et rejoignent en partie celles déjà évoquées par Bernard De Vos [20. S. Laffineur, « L’ONG, un partenaire dans la relation prof-élèves », 2019.].
Tous deux souhaitent que cette pratique soit accessible à tous et que l’on arrête de « prêcher des convaincus » [21. Id.]. Tous deux pensent également qu’il faut revoir la manière dont est conceptualisée et transmise la matière dans l’enseignement, qu’il soit secondaire ou supérieur. Cela passe par plus de temps laissé aux étudiant·e·s dans les heures comptabilisées en crédits afin qu’ils aient la possibilité de s’engager, selon Maxime Mori ; et par le Service-Learning, selon Bernard De Vos.
Dans le cas d’Oxfam-Magasins du monde qui tente de toucher les étudiant.e.s de l’enseignement supérieur, notamment via la création de groupes Oxfam sous la forme de Jeunes Magasins-Oxfam[22. https://www.oxfammagasinsdumonde.be/agir/agir-dans-mon-ecole/jm-oxfam ] en Haute École, l’opinion de Maxime Mori nous intéresse car elle fait écho à notre expérience. En effet, lorsque nous approchons les étudiant·e·s et professeur·e·s en Haute École, il est souvent fait état du manque de temps pour ce genre d’engagement.
Le projet des Jeunes Magasins-Oxfam, dans les écoles secondaires et dans l’enseignement supérieur ne satisfait pas aux critères de Service-Learning. L’objectif principal recherché est l’apprentissage des élèves, le projet se passe à l’intérieur et non à l’extérieur de l’école, et enfin il n’y a pas d’aller-retour avec la théorie apprise en classe. Cependant, ce projet reste intéressant pour susciter l’engagement des étudiants, par son côté pratique et le va-et-vient avec la réflexion proposée lors des journées de rencontres et de formations entre élèves ou étudiant·e·s qui ont lieu une à deux fois par an. Un service est également rendu via la vente des produits des partenaires de commerce équitable d’Oxfam.
Pour trancher sur le point de la possible « dénaturation » du sens du service à la communauté si celui-ci est effectué dans le cadre d’un cours, nous pensons qu’il faudrait une étude plus approfondie de divers cas.
L’étude de la mise en place, des impacts et des biais du modèle du Service-Learning, mériterait de plus amples recherches. Mais nous retiendrons qu’il s’agit d’un prisme intéressant par lequel aborder l’enseignement. Que ce soit pour le monde associatif, pour les étudiant·e·s ou pour le monde académique.
Julie Vandenhouten

Bibliographie

Articles

  • S. Laffineur, « L’ONG, un partenaire dans la relation prof-élèves », 2019
  • A. Furco « Service Learning : A balanced approach to experiential education », in Expanding Boundaries : Serving and Learning, january 1996
  • C. Berger Kaye, « The Five Stages of Service Learning », Originally printed on the Education Week web site for a Global Learning blog hosted by the Asia Society, June 26, 2013

Interview

  • M. Mori, itw téléphonique du 20 décembre 2018

Sites internet