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L’emploi et le commerce équitable, des leviers importants pour l’intégration des migrant·e·s?

2019 Analyses
L’emploi et le commerce équitable, des leviers importants pour l’intégration des migrant·e·s?

Faut-il voir les migrant·e·s comme une menace ou une opportunité ? Faut-il les aider à trouver un emploi ? En quoi le fait d’encourager le travail des migrant·e·s permet-il de faciliter leur intégration ? Le commerce équitable a-t-il un rôle à jouer dans l’intégration et l’autonomisation des migrant·e·s  ? Cette analyse vise à faire le point sur ces questions.

Roland d’Hoop

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I. Migrations et droit au travail 

1. Définition

Dans cette analyse, nous utiliserons le terme « migrant·e·s » au lieu de « réfugié·e·s ». En effet, employé au sens de la définition du Département de la population des Nations Unies, ce terme est très large et permet de ne prendre ni le point de vue de l’autochtone ni celui de l’étranger dans la mesure où toute personne née dans un pays et qui vit dans un autre pays pour une durée égale ou supérieure à un an est un migrant.

2.La situation des migrant·e·s  dans le monde

Les migrations sont régulièrement instrumentalisées pour devenir le principal sujet politique permettant aux forces populistes de se refaire une santé : c’est Trump et son mur, c’est Salvini et sa politique d’immigration zéro, c’est Théo Francken et sa chasse aux migrant·e·s  du parc Maximilien à Bruxelles, c’est l’Union européenne confiant à la Turquie et à la Lybie le soin de garder les migrant·e·s  sur leurs territoires, c’est un peu partout la criminalisation de celles et ceux qui s’efforcent de secourir les migrant·e·s , en mer ou sur terre.

Face à cette vague populiste et aux « fake news » parlant d’invasion de migrant·e·s vers les pays occidentaux, voire de risque de « grand remplacement » de la population européenne par les nouveaux migrant·e·s, il est important de montrer que ces migrations peuvent aussi avoir un impact positif, tant sur les pays d’accueil que sur les pays d’origine.

Il faut d’abord rappeler que les principaux pays d’accueil ne se situent pas en Europe mais bien dans les pays voisins des conflits. La plupart (82,5% des réfugié·e·s) vivent dans des pays en développement[1]Chiffres cités par l’INED, mars 2018, https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/les-migrations-dans-le-monde/. Ainsi, comme le souligne l’OCDE, depuis le pic de 2016, les nouvelles demandes d’asile ont nettement chuté dans les pays développés et les pays de l’Union européenne (UE) : « Bien que les flux de demandes de protection dans les pays européens durant les trois années précédentes ont atteint des standards historiques, ils sont restés à des niveaux plus faibles à la fois en termes absolus et relatifs, que ceux recensés dans les pays voisins de la Syrie »[2]Citation extraite d’un article paru dans la Tribune le 11/01/2019, https://www.latribune.fr/economie/international/marche-du-travail-l-ocde-pointe-un-manque-d-integration-des-refugies-803442.html

Plus de 1,3 million de personnes ont dû fuir leur pays à cause d’un conflit et de persécutions pendant le premier semestre 2017. La plupart ont fui les combats en Syrie, en Afghanistan et au Soudan du Sud. La population de réfugié·e·s du Soudan du Sud a ainsi augmenté de 37 %.

Le Liban, voisin de la Syrie, a accueilli plus d’un million et demi de Syriens, sans compter les centaines de milliers de réfugié·e·s palestiniens/nes déjà présent.e.s. Le Liban est aujourd’hui le pays avec le plus fort taux de réfugié·e·s au monde – puisqu’un habitant sur quatre y a le statut de réfugié!

3. Les impacts positifs des migrations

3.1. Impacts culturels

L’immigration favorise la créativité et l’innovation, en apportant à la société d’accueil de nouvelles idées et de nouvelles compétences. Aujourd’hui, il nous semble tout à fait naturel de pouvoir choisir entre un restaurant chinois, italien, marocain ou indien… Cela n’a pas toujours été le cas. De même, nous avons pu découvrir les richesses des musiques asiatiques, africaines, sud-américaines, notamment grâce à la présence des communautés immigrées. Toutes les disciplines artistiques ont été enrichies par les apports d’influences venant d’autres cultures. Il en va de même au niveau des sciences, de la politique, du sport, des médias…

Pour mieux s’en rendre compte, il suffit de voir toutes les personnalités qui étaient au départ des réfugié·e·s, voire des sans-papiers, parmi lesquelles : Sigmund Freud, Jackie Chan, Marlene Dietrich, Thabo Mbeki, Albert Einstein, Victor Hugo, le Dalai Lama, Freddie Mercury, Bob Marley ou plus récemment Mika, Wyclef Jean, Rita Ora[3]Voir https://www.demotivateur.fr/article/13-personnalites-historiques-qui-prouvent-que-les-refugies-peuvent-rendre-le-monde-meilleur–5560 et voir … Continue reading… Un exemple parmi d’autres : Pierre Kompany, d’origine congolaise et père du joueur de football Vincent Kompany, a d’abord été sans papier avant d’être reconnu comme réfugié politique. En 1975, il s’installe à Bruxelles, où il suit des études d’ingénieur industriel mécanique, option aéronautique. Aujourd’hui, il s’investit dans la politique belge et est devenu le premier bourgmestre noir de l’histoire de Belgique (de la commune de Ganshoren).

Il n’est pas question de nier que les migrations peuvent provoquer des chocs culturels, des problèmes de cohabitation, de « vivre ensemble », mais ces problèmes seront mieux gérés en misant sur les valeurs de solidarité et d’accueil plutôt que sur les discours de haine et de rejet tels qu’on les observe dans de nombreux pays occidentaux actuellement.

3.2. Impacts économiques

Pour beaucoup d’économistes, les migrations peuvent avoir un impact bénéfique tant pour les pays d’accueil que pour les pays d’origine. Pour l’OCDE, les migrant·e·s ne représentent pas une menace pour l’économie européenne[4]Voir https://www.oecd.org/migration/OECD%20Migration%20Policy%20Debates%20Numero%202.pdf, contrairement aux idées véhiculées par les partis populistes. Des chercheurs de l’OCDE ont récemment estimé que l’impact de l’immigration sur les finances de l’État belge était positif : 0,5% du produit intérieur brut (PIB). Par ailleurs, l’évolution démographique et le vieillissement de la population en Europe rendent l’immigration de plus en plus nécessaire pour garantir la survie des systèmes de sécurité sociale, et en particulier des systèmes de pensions[5]Extrait du site du Ciré, https://www.cire.be/prejuge-5-les-migrants-sont-un-danger-pour-notre-economie/. Pour les pays d’accueil, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’immigration a un effet neutre, voire positif sur les grandes variables de l’économie d’un pays[6]Voir http://hdr.undp.org/sites/default/files/hdr_2009_fr_complete.pdf.

Selon Frédéric Docquier, économiste, chercheur et professeur à l’Université catholique de Louvain, « les inégalités entre les pays sont un déterminant important de la migration Sud-Nord mais il n’est pas le seul. D’autres variables (potentiellement corrélées avec le niveau de revenu) interviennent également comme le niveau d’éducation, la géographie, la structure de la population, les réseaux, etc. »[7]Extrait de l’interview publiée sur le site de Caritas International le 24/07/2018, … Continue reading. Selon lui, l’impact de ces migrations est plutôt positif pour les pays du Sud : « La migration est en moyenne positive pour tous les pays d’origine à tout niveau de développement. Les migrants envoient de l’argent vers leur réseau et favorisent le commerce, la diffusion de technologie et d’idées (égalité homme-femme, démocratie, etc.). En raison de cet impact positif, les politiques de développement et de migration doivent se coordonner. Des politiques de migrations restrictives et des barrières migratoires affectent l’efficacité de nos politiques de développement ».

Il y a bien entendu le phénomène de la fuite des cerveaux (brain drain) qui peut affecter l’économie d’un pays. Selon la CNUCED[8]Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, les pays africains dépensent 4 milliards de dollars par an pour compenser le départ de leurs personnels qualifiés[9]Chiffre cité par le site du musée de l’immigration, http://www.histoire-immigration.fr/questions-contemporaines/economie-et-immigration/que-signifie-l-expression-fuite-des-cerveaux. Mais ce phénomène ne concerne pas que les pays en voie de développement. Par ailleurs, la fuite des cerveaux pourrait constituer un gain ou « brain gain » en faisant du migrant un « passeur » ou un « intermédiaire ». Ainsi, en Afrique du Sud et en Amérique latine, des initiatives émanant de la base s’efforcent de promouvoir les liens entre les chercheurs expatriés et des réseaux établis dans leurs pays d’origine. De même, les diplômés Indiens expatriés aux États-Unis sont les principaux vecteurs des transferts de compétences et de capitaux vers l’Inde[10]Voir http://observateurocde.org/news/archivestory.php/aid/357/Fuite_des_cerveaux_:_Mythes_anciens,_r_E9alit_E9s_nouvelles_.html.

Ces effets positifs de l’immigration sur l’économie impliquent que les migrant·e·s soient autorisé·e·s à travailler, qu’ils ou elles aient accès à des formations, qu’on les aide à s’intégrer et qu’on lutte contre les discriminations. Si les politiques d’intégration des migrant·e·s, tout comme les politiques d’accueil des demandeurs/euses d’asile, peuvent être coûteuses à court terme, elles sont aussi créatrices d’emploi et sources de consommation. Et sur le plus long terme, elles permettent aux États de récolter les avantages économiques de l’immigration[11]Extrait du site du Ciré, op. cit. .

4. Les discriminations liées au travail des migrant·e·s

Le droit au travail est un droit fondamental, essentiel à l’exercice des autres droits fondamentaux. Il est également un outil d’émancipation économique et sociale qui donne un sentiment de dignité, de respect et d’estime de soi aux citoyen·ne·s.

Pour les migrant·e·s comme pour les autres citoyen·ne·s, l’emploi est aussi une réponse durable qui leur permet de trouver leur place dans la société. Le simple fait de travailler permet aux migrant·e·s de mieux comprendre les rouages de la société dans laquelle ils ou elles vivent, de rencontrer d’autres personnes et de créer de nouveaux liens sociaux. Tout cela leur permet également de progresser dans leurs capacités d’adaptation, qu’il s’agisse de l’apprentissage de la langue, de la culture, des valeurs, des habitudes, des démarches administratives…

Dans une étude de janvier 2019[12]Voir https://ocde.delegfrance.org/Privilegier-l-effort-d-integration-face-aux-flux-migratoires, l ’OCDE soulignait les discriminations que subissent les réfugié·e·s sur le marché de l’emploi en Europe. Les experts de l’OCDE regrettent notamment que les divisions entre pays de l’Union Européenne freinent les procédures administratives des demandes de protection et au final leur intégration dans la vie professionnelle : « En retardant leur accès au marché du travail, quelques pays empêchent les réfugiés de démarrer leur processus d’intégration. En accélérant la reconnaissance du statut de réfugié et leur accès au marché du travail, notamment pour les demandeurs d’asile à qui l’on peut octroyer une protection, cela pourrait accélérer leur intégration. »

La Belgique est un très mauvais élève en termes d’intégration des migrant·e·s par l’emploi, avec seulement 50% de taux d’emploi pour les migrant·e·s non-UE, soit 20 points de pourcent de moins que celui des personnes nées en Belgique. La Belgique affiche ainsi le taux d’emploi des migrant·e·s hors UE le plus bas de l’UE et le troisième plus grand écart entre les emplois occupés par des européens et non européens.[13]Voir … Continue reading

5. Les initiatives en faveur de l’intégration des migrant·e·s par le travail

En quittant leur pays, les migrant·e·s apportent avec eux tout leur savoir-faire. Ils peuvent en faire bénéficier les sociétés d’accueil et par la même occasion stabiliser leur situation.

L’intégration par le travail, Diane Binder, la cofondatrice d’Action emploi réfugié·e·s y croit dur comme fer malgré les obstacles : en France, seulement 5 000 à 7 000 réfugié·e·s obtiennent le droit de travailler chaque année pour 330 000 offres d’emploi non pourvues, selon le Medef, la fédération patronale française. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes », regrette Diane Binder, en précisant que « les deux principaux obstacles pour les réfugiés en France sont la langue et l’équivalence de leur diplômes »[14]Extrait d’un article paru le 06/08/2016 sur le site de France 24 : https://www.france24.com/fr/20160806-refugies-syrie-afganistan-ong-action-emploi-travail-france-reportage.

Cette association a réuni en 2016 des acteurs de la mode français et afghans pour créer une collection de vêtements mettant en évidence le savoir-faire des artisan·e·s migrant·e·s.

À Paris, une autre association, la Fabrique nomade, propose aux citoyen·ne·s de participer à une expérience créative, guidée par un·e migrant·e artisan·e qui peut les aider à créer un objet unique à emporter à la maison[15]Voir https://www.paris.fr/pages/la-fabrique-nomade-valoriser-le-savoir-faire-des-artisans-refugies-6240. Dans leur pays d’origine, ils ou elles étaient potier, sculpteur, couturier, brodeur, ébéniste… Ces savoir-faire sont transmis et valorisés, grâce à ces ateliers d’initiation qui s’adressent tant aux entreprises qu’au grand public[16]Voir https://lafabriquenomade.com/.

En Belgique, il existe plusieurs associations actives dans le domaine de l’accompagnement et l’insertion des migrant·e·s. Il n’est pas possible de toutes les citer dans cette analyse. Un exemple parmi d’autres : l’association Convivial accompagne les demandeurs/euses d’asile et les réfugié·e·s tout au long de leur installation et jusqu’à leur insertion sociale et socioprofessionnelle. Ainsi, Convivial leur offre un service de guidance socioprofessionnelle, des ateliers d’initiation à la citoyenneté et au monde de l’emploi, des cours de langue, des ateliers de formation par le travail…[17]Voir https://www.convivial.be/category/sinserer/ L’originalité de Convivial réside dans une démarche de co-création par les réfugié·e·s et les Belges, avec des réfugié·e·s impliqué·e·s à tous les niveaux dans différents programmes et dans une politique d’insertion par le travail offrant chaque année à une trentaine de personnes la possibilité de s’impliquer dans la vie de l’organisation.

6. Soutenir l’intégration des migrant·e·s au sein de la société

Comme nous l’avons vu au début de cette analyse, il est important de casser les idées reçues sur les migrant·e·s. Le fait de leur donner la parole, de les considérer comme des citoyen·ne·s, constitue une première étape dans ce travail de longue haleine. Il existe différents supports produits par le Ciré, Amnesty International ou d’autres organisations qui peuvent aider à démonter les préjugés.

En Belgique, face au manque de réponses apportées par le monde politique dans l’accueil et l’hébergement des migrant·e·s, des citoyen·ne·s ont fondé la « plateforme citoyenne de soutien aux réfugié.e.s »[18]http://www.bxlrefugees.be/. Cette plateforme veut construire une solidarité concrète avec tou.te.s les migrant·e·s. Elle dénonce et veut combattre les politiques migratoires belges et européennes actuelles et rappelle que le droit de vivre dans la dignité appartient à tou.te.s. Très concrètement, des milliers de bénévoles ont pris en charge l’accueil de migrant·e·s livré·e·s à eux-mêmes dans les rues de Bruxelles et essentiellement au Parc Maximilien, en organisant leur logement chez des citoyen·ne·s ou dans des centres d’accueil, en trouvant des moyens pour les nourrir, les vêtir, les soigner, les accompagner dans leurs différentes démarches…

Différentes campagnes permettent également de jouer un rôle plus actif dans l’intégration sociale des migrant·e·s au sein de la société : les campagnes « communes hospitalières » ou « universités hospitalières », coordonnées par le CNCD-11.11.11., en sont de bons exemples.

Communes hospitalières : cette campagne s’articule autour de 5 priorités concrètes : la commune garantit une égalité de prix pour les démarches administratives, quel que soit la nationalité ou le statut de la / du demandeur·deuse ; la commune n’enferme pas des enfants de migrant·e·s  ; la commune ne soupçonne pas les amoureux et garantit la reconnaissance d’un·e enfant et le droit au mariage aux personnes migrantes ; la commune met à disposition des migrant·e·s des bâtiments vides pour le logement ; la commune veille à ce que la police ne cible pas les sans-papiers[19]Voir https://www.communehospitaliere.be/.

Universités hospitalières : en s’inscrivant à ce projet, les universités et hautes écoles peuvent agir à plusieurs niveaux : faciliter l’accès aux études des migrant·e·s , soutenir la participation des migrant·e·s  pendant leur parcours académique, sensibiliser la communauté et agir en tant qu’acteur dans la société[20]Voir https://www.universitehospitaliere.be/.

II. Migrations et commerce équitable

1. Pourquoi s’intéresser au rôle des réfugié.e.s ou migrant·e·s  en lien avec le commerce équitable ?

Les migrant·e·s  sont aussi des personnes vulnérables qui ont souvent dû dépenser quasi toutes leurs économies pour payer un passeur ou pour financer leur voyage. Ils ont donc besoin d’un revenu afin de stabiliser leur situation et de pouvoir mieux s’intégrer dans leur nouveau pays.

Le commerce équitable a comme mission de soutenir les producteurs/trices défavorisé.e.s, dans les pays du Sud comme au Nord, en les aidant à trouver un revenu stable et des conditions de travail décentes. En valorisant les savoir-faire traditionnels de ces artisan·e·s et en les adaptant au goût du marché occidental, le commerce équitable peut faciliter l’intégration des personnes réfugiées et leur offrir un revenu stable.

Avec la crise climatique, les migrations vont encore s’accentuer[21]La Banque mondiale estime à plus de 140 millions le nombre de migrations climatiques d’ici 2050, voir … Continue reading, d’où l’importance de trouver des solutions économiques viables pour faire face à ces énormes déplacements.

Il faut aussi rappeler le rôle que peut jouer le commerce équitable dans les régions en situation de post- conflit ou de conflit latent, comme le souligne Patrick Veillard dans une analyse de 2012 : « (…) le premier et principal obstacle que rencontrent les populations dans ces régions est la difficulté à accéder aux marchés, du fait par exemple de l’insécurité latente ou des contrôles de soldats. Historiquement, le ‘code génétique’ du commerce équitable est justement d’aider les producteurs marginalisés à accéder à des marchés inaccessibles. (…) ».[22]Extrait de l’analyse « Les zones de conflit, nouvelle frontière du commerce équitable », septembre 2012, … Continue reading

Dans ces régions touchées par un conflit, il est essentiel de reconstruire l’économie sur des bases solides, en veillant à garantir des revenus stables aux producteur·trice·s. Ici aussi, le commerce équitable peut être utile, comme le rappelle Patrick Veillard : « Les critères économiques du commerce équitable (prix stable rémunérateur, prime de développement, préfinancement) constituent une autre plus-value majeure pour les producteurs situés en zone de post-conflit. Les gains générés, en particulier la prime de développement associée à chaque transaction commerciale, permettent aux communautés de reconstruire les infrastructures productives ou sociales les plus vitales détruites lors du conflit, rétablissant ainsi l’accès aux soins de base (santé, eau, etc.). On est ici dans une dimension plus humanitaire, assez éloignée des aspects habituellement développementalistes du commerce équitable (…).»[23]23. Op. cit.

L’appropriation par les producteurs/trices des modes de fonctionnement de l’entreprise et le caractère démocratique et participatif des coopératives de commerce équitable sont d’autres facteurs qui peuvent favoriser à la fois la paix et une relance durable de l’économie dans ces régions très fragiles. Un bon exemple est le Liban où le commerce équitable est perçu comme un levier important pour stabiliser le pays et réhabiliter le savoir-faire et la mémoire culturelle de la région.

Ainsi, Philippe Adaime, membre de l’organisation St Vincent de Paul au Liban, témoigne de l’origine du lancement de l’organisation Fair Trade Lebanon, née « de la volonté d’une poignée de Libanais de changer la vie des populations rurales les plus défavorisées du Liban. Faisant le constat qu’il existe dans les régions une infrastructure de production agricole sous-employée ainsi que des savoir- faire traditionnels, ils ont fait le choix du commerce équitable comme moyen de créer des débouchés à l’exportation pour les petits producteurs et les coopératives de transformation de ces régions »[24]Extrait de l’article publié sur le site Be fair de la CTB :  https://www.befair.be/fr/content/commerce-%C3%A9quitable-et-zones-de-conflit-fair-trade-lebanon. Le commerce équitable a permis également de développer un marché local et de soutenir la conversion des producteurs/trices de haschich de la plaine de la Békaa à la culture vinicole, afin de leur garantir des revenus plus élevés que du temps des cultures illicites.

2. MADE 51 : quand les réfugié·e·s deviennent producteurs/trices d’artisanat équitable

Ce projet lancé par le HCR en collaboration avec WFTO (l’organisation mondiale du commerce équitable) vise à connecter les artisan·e·s réfugié·e·s aux marchés en modernisant les compétences traditionnelles, en renforçant leur sens des affaires, en nouant des partenariats entre des réfugié·e·s et des entreprises sociales et en établissant des liens avec des marques et des acheteurs/euses du commerce de détail.

Ce projet s’inscrit dans les valeurs du commerce équitable, ce qui implique que les artisan·e·s réfugié·e·s travaillent selon certaines normes (paiement de salaires équitables, conditions de travail décentes, préoccupations environnementales, pas de travail des enfants etc.).

L’Organisation mondiale du commerce équitable WFTO appuie cette démarche en élaborant conjointement l’évaluation de la conformité à la déontologie, en effectuant des missions d’assistance technique et en assurant un soutien à distance.

MADE51 offre aux artisan·e·s réfugié·e·s un moyen de commercialiser leurs produits dans le monde entier. En collaborant avec un réseau mondial d’entreprises sociales, MADE51 procure aux réfugié·e·s du monde entier un moyen de subsistance durable, mais contribue également à préserver l’art traditionnel.

Selon Heidi Christ, directrice mondiale de MADE51, « les réfugiés sont bloqués dans des limbes indéfinis et ont souvent perdu leur sens de la liberté de travailler, de jouer et de vivre. MADE51 offre aux réfugiés la possibilité de gagner un revenu grâce à un travail intéressant. Nous nous efforçons de créer des opportunités commerciales durables pour les réfugiés en les associant à la chaîne d’approvisionnement mondiale. Lorsque les réfugiés participent à la chaîne de valeur mondiale des artisans, ils peuvent exprimer leurs traditions artistiques, préserver leur patrimoine culturel, acquérir des compétences commerciales et professionnelles et retrouver leur sens de la dignité et de l’autodétermination. Ils gagnent également un revenu qui réduit leur dépendance à l’aide et améliore leur autonomie. »

« (…) Il existe une grande variété de compétences et de matériaux à mettre en valeur dans une collection d’artisanat produit par des réfugiés. Et si nous combinons ces compétences traditionnelles au design contemporain, comme nous le faisons dans cette première collection, cela crée des produits qui portent les histoires de réfugiés tout en les adaptant à votre table de salon. »

Le succès du projet Made51 dépendra également de la manière dont les organisations importatrices de commerce équitable s’en empareront.

3. Comment les organisations de commerce équitable peuvent-elles contribuer à l’intégration des migrant·e·s ?

En Belgique, certain·e·s migrant·e·s créent des associations pour soutenir dans leur pays d’origine de petits projets de santé, d’éducation ou d’économie sociale. C’est ce qu’on appelle les OSIM (Organisations de solidarité internationale issues de la migration), qui seraient environ 300 en Belgique. Le commerce équitable pourrait bâtir de nouveaux partenariats avec ces OSIM, afin de renforcer les liens sociaux et économiques entre Nord et Sud. Voir par exemple le projet « Fémimain », soutenu par le centre culturel flamand Pianofabriek[25]Voir http://www.pianofabriek.be/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=60&moturl=4&lang=nl/fbclid=IwAR28oIEM9Bj3rRFrbeJcvzR6qteX4ohXP-E6D0Ose55mzHXJHNFf-w49byk et … Continue reading, qui développe une filière d’artisanat équitable entre femmes de l’immigration marocaine de Bruxelles et leur village d’origine. Oxfam-Magasins du monde pourrait également soutenir ce type d’initiative, par exemple en leur offrant une expertise en termes de co-design et de commercialisation. Ce type de projet pourrait également aboutir à une meilleure connaissance du commerce équitable au sein des populations plus défavorisées.

De manière plus large, les organisations de commerce équitable peuvent

  • Commercialiser certains produits développés par le projet Made 51 et/ou Fémimain ;
  • Valoriser les savoir-faire des personnes migrantes ;
  • Prendre un rôle plus actif au sein de la Plateforme de soutien aux migrant·e·s, en vendant par exemple des produits de solidarité comme la bière 100 Pap dans leur réseau de magasins ;
  • Proposer à leurs partenaires Sud de collaborer avec des organisations de migrant·e·s ;
  • Participer à des campagnes visant à valoriser le rôle des migrant·e·s  dans la société belge (communes hospitalières, universités hospitalières…), en lien avec une campagne comme Communes du commerce équitable ;
  • Contribuer à la sensibilisation aux droits des migrant·e·s et à la déconstruction des idées reçues, par exemple en distribuant via les magasins des dépliants (comme cela a déjà été fait en 2016 avec le toute boite « le Bienvenu » produit par le Ciré et Amnesty International).

Dans son nouveau plan stratégique 2030, Oxfam-Magasins du monde veut développer davantage sa capacité d’influence et son travail de plaidoyer (enjeu 1), s’engager dans la transition (enjeu 6) et développer une unité « Recherche et développement » pour insuffler de nouvelles idées (enjeu 7).  Le fait de développer des partenariats avec des organisations de migrant·e·s pratiquant le commerce équitable pourrait contribuer à chacun de ces objectifs.

Conclusion

Le commerce équitable, dont le but est de soutenir les producteurs/trices les plus marginalisé.e.s en leur offrant un accès au marché, peut jouer un rôle dans l’intégration des migrant·e·s dans leur pays d’accueil mais également dans la valorisation de leurs savoirs-faires.

Dans le cadre de son nouveau plan stratégique 2030, Oxfam-Magasins du monde pourra devenir un acteur plus reconnu au sein des différents mouvements qui soutiennent la cause des migrant·e·s.  L’Organisation pourrait apporter une plus-value, tant au niveau de la lutte contre les préjugés et du plaidoyer en faveur de politiques migratoires plus humaines et accueillantes que dans le soutien de projets d’insertion socioprofessionnelle des migrant·e·s via le commerce équitable.

Image par Devanath de Pixabay

Notes[+]