En quelques années, les réseaux sociaux ont connu un développement fulgurant dans le monde, et particulièrement en Belgique : ainsi, en à peine 14 mois, de fin 2008 à début 2010, Facebook (FB) a vu ses membres plus que doubler, passant d’1,5 à 3,5 millions d’utilisateurs. En août 2010, 48,36 % des Belges sont sur FB, soit près d’un Belge sur deux [highslide](1;1;;;)Frederik Tibau, “Facebook encore loin d’être arrivé à saturation en Belgique”, 13/08/2010, www.datanews.be Si l’on considère le nombre d’internautes en Belgique, ils sont 52,7% à être membres de Facebook.[/highslide] ! Twitter progresse aussi dans notre pays, mais de manière beaucoup moins spectaculaire que FB [highslide](2;2;;;)Voir à ce sujet l’article de Christophe Lefevre « Pourquoi le Belge est accro à Facebook mais pas à Twitter », 22 juin 2010/[/highslide].
Les ONG doivent-elles surfer sur cette vague des réseaux sociaux, ou s’en méfier, car elle porte en elle des risques trop importants ? Quelles sont les questions importantes à se poser et les balises à mettre en place afin d’utiliser ces nouveaux outils de manière éthique et efficace ?
Réseaux sociaux, quels dangers ?
Les réseaux sociaux se sont imposés tellement rapidement que nous n’en mesurons pas encore toutes les conséquences. Mais nous pouvons déjà observer nombre de dangers auxquels nous sommes tous confrontés [highslide](3;3;;;)Nous nous pencherons dans cette analyse essentiellement sur le cas de Facebook, qui est de loin le réseau social le plus connu et le plus utilisé en Belgique.[/highslide] :
Respect de la vie privée
Un des principaux risques concerne le respect de la vie privée. Les données personnelles sont facilement accessibles et appartiennent à FB, qui peut les utiliser pour en faire ce qu’elle veut ([highslide](extrait;extrait;;;)
En publiant un contenu utilisateur sur tout ou partie du Site, vous concédez expressément à la Société (…) d’utiliser, copier, représenter, diffuser, reformater, traduire, extraire (en tout ou partie) et distribuer ce contenu utilisateur, à des fins commerciales, publicitaires ou autres, sur le site ou en relation avec le site (ou dans le cadre de sa promotion), (…) et d’en concéder des sous-licences des éléments cités.
Cette petite phrase extraite du règlement d’utilisation de Facebook veut simplement dire que TOUT ce que vous publiez sur le site appartient à Facebook, qui peut en faire ce qu’il veut.
[/highslide]). Avec le succès de FB, la frontière entre ce qui relève du privé et du public tend à devenir de plus en plus incertaine. Même si de nouvelles règles permettent aux utilisateurs de décider qui peut avoir accès à leur page personnelle, ces changements restent insuffisants aux yeux de la plupart des associations défendant le droit à la vie privée.
Manque de démocratie
Autre problème fondamental : le monopole d’une société privée sur un canal de communication qu’elle contrôle entièrement, et qui est entièrement maître dans la décision de ce qui peut et ce qui ne peut pas être publié. Afin de se refaire une façade démocratique, FB permet à présent à ses utilisateurs de se prononcer sur ses conditions d’utilisation – le fameux « Statement of Rights and Responsabilities ». Mais les conditions de cette consultation sont tellement restrictives qu’elles ne menacent pas vraiment la toute puissance de FB [highslide](4;4;;;)Voir à ce sujet les propos de Jean-Philippe Moiny, dans « Facebook : ces amis qui vous veulent du bien », propos recueillis par Edgar Szoc, « Politique », octobre 2009.[/highslide].
L’usage de la publicité
Facebook parvient à profiler ses utilisateurs, pour leur faire passer, comme si de rien n’était, des messages commerciaux. Grâce à FB, les annonceurs disposent d’une mine d’or pour mieux cibler leurs campagnes. Sans que l’on s’en rende vraiment compte, toutes les données qui constituent notre identité –notre âge, notre sexe, notre nationalités, notre domicile, nos goûts musicaux, nos préférences sexuelles, nos habitudes de consommation,…- peut être « vendu » à des annonceurs à des fins dont nous ne sommes pas toujours conscients, mais qui nous affecte dans notre vie de tous les jours.
Internet et les TIC imposent une « tyrannie de l’instant »
On sait que pour être percutant sur internet, il faut être court et rapide. Or, pour éduquer, il faut du temps. Selon le philosophe Paul Virilio, les réseaux sociaux peuvent aboutir à ce qu’il appelle la « tyrannie de l’instant » [highslide](5;5;;;)Paul Virilio : Entretien au journal du Dimanche, 11 juillet 2009. [/highslide] :
Le progrès est en même temps la pire des catastrophes; le pire et le meilleur sont liés, indissolublement; Twitter n’échappe pas à cette règle. Plus on entre dans l’accélération des phénomènes, plus on brouille les repères. On n’a plus d’affrontement entre la vérité et le mensonge, mais une succession toujours plus rapide d’instants irréfutables : des émotions globales, synchrones, instantanées, à l’échelle du monde entier. (…) L’échelle de l’homme et de la démocratie, c’est le temps long: une information arrive, je peux l’assimiler, l’analyser, décider de ce que j’en fais. L’instantanéité, l’immédiateté et l’ubiquité, ce sont des attributs du divin: Dieu est partout et, partout en même temps, et immédiat, incontestable et impensable. Ainsi va l’information instantanée, qui échappe au jugement humain. […]
Utiliser les réseaux sociaux, un risque à calculer en fonction de la stratégie globale
Sans contester tous ces dangers liés aux réseaux sociaux, on voit mal comment on pourrait lutter contre leur existence même, alors qu’ils attirent des milliers de nouveaux adeptes tous les jours.
Une des pistes les plus évidentes pour limiter les dangers ou effets pervers liés à ces nouvelles technologies est de recourir à l’éducation aux médias, un concept défini par un décret de la Communauté française en 2008 [highslide](6;6;;;)Décret du 5 juin 2008[/highslide] :
l’éducation aux médias a pour finalité de rendre chaque citoyen actif, autonome et critique envers tout document ou dispositif médiatique dont il est destinataire ou usager. (…)L’éducation aux médias ne s’adresse pas seulement au jeune en âge scolaire mais aussi au citoyen adulte, tout au long de la vie. Elle s’adapte et se développe de manière dynamique, face à un paysage médiatique en constante mutation.
Plusieurs associations se sont spécialisées dans le domaine de l’éducation aux médias, et intègrent les nouvelles technologies dans leurs programmes. Mais la tâche est énorme, tant les médias et les pratiques évoluent vite.
Il est certain que l’apparition des réseaux sociaux, et surtout de Twitter, modifie notre perception du temps lié à l’information. Mais plutôt que de parler d’une « tyrannie de l’instant » imposée par les nouvelles technologies, nous pensons qu’on peut à la fois dénoncer les dérives des réseaux sociaux lorsqu’ils privilégient l’émotion et l’instant ou lorsqu’ils manipulent l’information, tout en utilisant ces mêmes réseaux pour donner de l’information de qualité ou inviter à l’action. Si l’éducation s’inscrit dans la durée, elle se construit également par une succession d’instants et d’informations qui nous ont touchés, choqués ou amusés et qui nous donnent envie d’en savoir plus ou d’agir. Qu’on le veuille ou non, une majorité de citoyens évoluent dans une société du zapping, pouvant passer d’un intérêt ponctuel à un autre, ce qui n’empêche pas non plus des engagements à plus long terme. Ainsi, des milliers d’internautes peuvent être attirés par un buzz qui les sensibilisent à une cause, mais seule une petite partie d’entre eux iront voir plus loin et passeront à l’action.
Le rôle de l’éducateur sera alors de trouver la bonne formule, le bon « appât » pour dépasser le stade de l’émotion, de l’instant et pour attirer le public vers des explications, des balises pour comprendre les rouages, les mécanismes qui sous-tendent des faits d’actualité et pour pouvoir se forger un avis personnel. On peut très bien imaginer d’utiliser, parmi toute la gamme d’outils disponibles, les réseaux sociaux, les jeux vidéo ou d’autres outils, à partir du moment où le public est encouragé à dépasser le stade de l’émotion pour prendre connaissances d’analyses, pour comparer différents points de vue, pour remettre en question ses représentations… et enfin pour agir. Tout cela est non seulement possible, mais est déjà expérimenté tant par le monde scolaire [highslide](7;7;;;)Voir à ce sujet l’article de Jean-Marc Manach « Sur le chemin de l’école 2.0 »[/highslide] que par des ONG [highslide](8;8;;;)Voir le dossier « internet et synergies », Echos du Cota, n°146, mars 2010.[/highslide] qui ont réussi à tirer parti des avantages de ces nouveaux médias.
Comme pour n’importe quel outil, il est important de garder à l’esprit que les réseaux sociaux ne sont pas une fin en soi, mais doivent être adaptés aux objectifs de communication ou d’éducation que l’on se donne. En d’autres termes, l’utilisation d’un moyen technique doit découler de la stratégie de l’organisation et non l’inverse. Même si l’avancée technologique permet d’envisager de nouvelles formes d’actions ou de manière de communiquer, celles-ci doivent toujours s’insérer dans une stratégie globale qui renforce la cohérence dans l’approche des différents publics.
Une des questions qui se pose aux éducateurs est de savoir si ces outils peuvent les aider à transmettre des savoirs, à développer un regard critique sur le monde, à faire passer des valeurs, à susciter des changements d’attitude et de comportement. Nous verrons à travers quelques exemples que l’utilisation des TIC par les ONG est souvent à la frontière entre communication et éducation, les deux étant fortement liés. Et que le choix du canal technique sur internet dépendra des objectifs du projet.
Quand Facebook permet de découvrir l’histoire de la 1ère guerre mondiale
Le projet « Live and Remember » propose aux élèves à partir de 13 ans de créer des pages « fan » sur facebook au nom de soldats de la seconde guerre mondiale. En cherchant des informations sur le soldat qu’ils ont choisi, ils pourront découvrir de manière originale certains aspects du conflit.
http://www.liveandremember.be/
Des outils multiples et variés
Sans rentrer dans une description exhaustive, il est utile d’énumérer les différents médias ou réseaux sociaux afin de voir en quoi ils peuvent être utiles aux ONG actives en ED [highslide](9;9;;;)Cette liste est inspirée de Sandrine Warsztacki, « Introduction aux médias sociaux », Echos du Cota, n°146, mars 2010[/highslide] :
Les blogs
Très simples à utiliser et à mettre à jour, les blogs offrent la possibilité d’une approche beaucoup plus personnelle et liée à l’actualité. Dans un blog, c’est l’auteur qui met son expérience en avant, sans prétendre incarner la voix de son organisation. Ainsi, beaucoup de coopérants, de défenseurs des droits humains, d’acteurs de la solidarité internationale tiennent un blog sur lequel ils livrent leurs expériences, leurs impressions, leurs coups de gueule, ou présentent un journal de bord. Certaines ONG utilisent le blog pour relayer une actualité précise de manière dynamique. Ainsi, Oxfam International a lancé une chaîne de blogs liés à des campagnes ou des crises humanitaires . Ces blogs permettent aux internautes de réagir et sont en lien avec d’autres réseaux sociaux. Ainsi, un clic suffit pour faire connaître le blog à ses amis sur Facebook, Twitter ou My space, en ajoutant un commentaire. Certains blogs sont aussi des outils de partage d’expériences. Dans le secteur ONG, quelques initiatives, surtout au niveau français, méritent d’être soulignées : le cercle des ONG online permet aux ONG d’échanger leurs pratiques liées aux TIC. Dans le même esprit, le blog des associations recense un grand nombre d’initiatives menées sur les réseaux sociaux par les ONG françaises et encourage les échanges entre le monde des ONG et celui des entreprises .
Le micro-blogging, ou le phénomène « Twitter »
En grande progression, cet outil permet de poster des messages très courts (140 caractères max.), et de fidéliser une communauté d’internautes. Selon une analyse récente publiée par le blog « Solidaires du monde » , Twitter peut être intéressant pour les ONG à la fois comme outil de communication externe (avec la création de flux renvoyant vers les communiqués de presse, les vidéos, les événements, ou en épinglant des chiffres provenant d’études publiées, des extraits de témoignages, des invitations à des événements…) et comme outil de communication interne (pour l’organisation et la synchronisation des équipes). Twitter a l’avantage de pouvoir diffuser des messages vers des téléphones portables, ce qui permet aussi d’élargir le champ de diffusion et son impact. Le risque est évidemment de tomber dans l’excès, de faire du style pour du style, et donc de privilégier la forme au contenu. Certains observateurs dénoncent aussi le caractère nombriliste des adeptes de Twitter, plus occupés à vendre leur image qu’à faire passer un réel message. Mais si ce phénomène existe, il faut aussi voir que Twitter permet à des personnes ou des organisations de se créer un réseau très efficace de « followers » qui pourront faire connaître votre message de manière ultra-rapide et efficace auprès d’autres « followers », créant ainsi un énorme effet « boule de neige » [highslide](10;10;;;)Voir Philippe Laloux, « Twitter, carré VIP ou véritable outil d’information », Le Soir, 20/11/2010.[/highslide].
Le wiki
Il s’agit d’un site dont les pages sont modifiables par ses visiteurs. Ainsi, il permet à plusieurs personnes de travailler sur un même document. L’exemple le plus connu est l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Le wiki permet de fédérer autour d’une campagne plusieurs groupes de travail œuvrant à un objectif commun. Ainsi, la campagne «One Laptop Per Child » a donné naissance à une communauté sur wiki, où des personnes regroupées par pays réfléchissent ensemble à la meilleure manière d’atteindre leurs objectifs, à savoir l’offre d’un ordinateur portable à faible coût afin de faciliter l’accès à l’éducation pour tous . Peu d’ONG utilisent le wiki, du moins de manière publique, sans doute parce que cela nécessite un important travail de modération, même si cette tâche peut aussi être confiée aux utilisateurs du réseau, qui signalent d’éventuelles interventions inappropriées. Potentiellement, le wiki peut devenir un outil intéressant pour renforcer un réseau d’associations Nord-Sud, à condition que le projet soit réellement pensé et organisé en partenariat et qu’il implique, au Nord comme au Sud, un processus d’alphabétisation numérique [highslide](11;11;;;)Voir à ce sujet l’expérience « Franxophonie », reliant le Gabon avec d’autres pays francophones, avec comme objectif de former à l’informatique des instituteurs et des élèves d’une école primaire de Libreville. Mais il est pour l’instant utopique de prétendre mettre sur un pied d’égalité des pays du Nord et du Sud lorsque le projet repose principalement sur les TIC.[/highslide] . Par son aspect de construction collective, le wiki s’inscrit davantage dans la philosophie de l’éducation au développement.
Le Social Networking
Les sites les plus connus sont Facebook, Myspace, Linkedin, mais il en existe bien d’autres. Ces sites reposent sur le principe de créer des liens entre individus partageant les mêmes amis ou les mêmes centres d’intérêt. Si les réseaux sociaux sont souvent perçus comme relevant de la sphère non professionnelle (à la différence d’un wiki ou d’un blog), ils sont aussi de plus en plus utilisés par les ONG comme outil d’information et de mobilisation, mais aussi d’échanges de pratiques.
Les sites de partage d’images
Les plus connus sont youtube pour la vidéo (et dailymotion dans le monde francophone), Flickr pour la photo. La plupart des ONG importantes ont ouvert « une chaîne » sur youtube, reprenant l’ensemble de leurs vidéos. Certaines ont mis en place une « webtv », même si ce concept est un peu utilisé de manière abusive : peu d’ONG produisent de manière régulière des programmes audio-visuels spécifiquement destinés au net. Il s’agit le plus souvent de diffusion de reportages déjà vus ailleurs ou produits pour d’autres canaux. [highslide](12;12;;;)Voir la webtv de MSF. Voir aussi le site Green.tv qui réunit des vidéos de différentes ONG sur des thèmes environnementaux.[/highslide]
Une multitude de nouveaux réseaux sociaux ciblent les ONG et la solidarité internationale
www.oliceo.fr Le site Oliceo est une sorte de Facebook réunissant des personnes intéressées par les questions d’écologie et de santé.
www.couchsurfing.com Ce site permet à des personnes de voyager autrement et favorise les échanges interculturels
www.dreamshake.com Ce site a comme but de mettre en relation des personnes qui ont un rêve avec d’autres personnes qui peuvent les aider à le réaliser
www.ning.com Le projet Ning permet aux associations de lancer leur propre réseau social personnalisé.
www.dgroups.org dgroups fonctionne comme un grand forum à l’intérieur duquel des groupes sont créés sur des thématiques et projets de solidarité internationale.
www.changealliance.org Ce site propose d’accroître l’efficacité des partenariats entre les gouvernements, les citoyens, les entreprises et les organisations de la société civile. L’idée du site est à la fois de soutenir des projets de terrain mais aussi de mutualiser les leçons tirées de ces projets sur une plateforme globale d’apprentissage.
www.km4dev.com Le site km4dev.com a également comme but de favoriser les échanges d’expériences et de savoir dans le domaine du développement, par l’intermédiaire d’un forum créé sur dgroups. Il existe un groupe km4dev basé à Bruxelles.
www.jumo.com/ Lancé par un des fondateurs de Facebook, ce nouveau réseau social est destiné à « mettre en contact des individus et des associations travaillant à changer le monde ».
Les réseaux sociaux : de l’information au cyberactivisme
Oxfam-en-Action : une nouvelle génération de militants
Les trois composantes d’Oxfam en Belgique ont uni leurs forces pour former un nouveau groupe d’activistes, dont l’objectif est de porter les messages des campagnes vers un public plus large, notamment grâce à internet et aux réseaux sociaux.
www.oxfam.be/action
Un des grands points forts des réseaux sociaux réside dans l’interactivité et la mise en réseau. C’est également en cela qu’ils peuvent renforcer l’éducation au développement et la mobilisation.
Des personnes intéressées par les mêmes thématiques peuvent facilement se rencontrer sur internet, débattre, mener des actions ensemble et attirer de nouveaux visiteurs ou « recruter » de nouveaux adhérents. Les réseaux sociaux peuvent servir de « forum » pour faciliter le partage d’expériences menées en éducation au développement, mais aussi pour promouvoir celle-ci. Ainsi, beaucoup de groupes se sont créés sur Facebook autour d’une thématique spécifique ou autour d’un objectif commun.
Au niveau de la réceptivité du public, une récente étude menée par des chercheurs américains montre que les campagnes d’éducation à la santé sont plus efficaces lorsqu’elles sont diffusées vers des réseaux sociaux comme Facebook que lorsqu’elles sont diffusées de manière aléatoire : après un test mené auprès de deux publics sur internet, il apparaît que 54 % des participants du groupe Facebook touchés par la campagne font la démarche de s’enregistrer sur un forum de santé contre 38 % de ceux qui appartiennent à un réseau aléatoire. Les membres du réseau Facebook ont adhéré au forum quatre fois plus vite que les participants de l’autre réseau. [highslide](13;13;;;)Dubuisson Elise, Facebook est-il bon pour la santé ? – Les réseaux sociaux pourraient constituer une arme de protection massive, Le Soir, 3/09/2010[/highslide]
Au-delà de la diffusion d’informations et des campagnes de prévention, beaucoup d’ONG utilisent les réseaux sociaux pour la mobilisation de militants, qu’on appelle aussi « cyber-activistes ». Le plus souvent, leurs actions se limitent à l’espace internet, sous forme de pétitions en ligne, de vidéos ou modules de sensibilisation, de chaînes de lettres, de blogs, de jeux pédagogiques…
L’impact sera plus grand si le mode d’action proposé est original et si les différentes ressources des réseaux sociaux sont exploitées de manière intelligente. Ainsi, Greenpeace est passé maître dans l’art de la « cyber-guérilla ». La campagne contre Nestlé et la déforestation due à l’utilisation d’huile de palme dans ses produits alimentaires, a été préparée comme une machine de guerre. Elle détournait le logo de Kitkat avec le slogan : “Donnez aux Orang-Outans un break !”. Les internautes pouvaient participer en proposant leurs propres slogans et détournements d’images… Tout a été planifié, y compris le fait d’attirer Nestlé dans le piège de la censure d’un clip sur youtube détournant leur logo. Cette tentative de censure a déclenché en réaction une avalanche de protestations sur la page Facebook de la multinationale, provenant de milliers d’internautes à travers le monde…
On pourrait croire que cette campagne est « light » au niveau prise de conscience, qu’elle table surtout sur l’émotionnel et sur l’impact des images. Ce n’est pas tout à fait le cas. Avant de déclencher son plan de bataille « internet », Greenpeace s’est appuyé sur nombre d’articles, de témoignages et de rapports sur la déforestation et a développé une gamme d’outils adaptés aux médias de l’internet (clips, diaporama, reportages vidéo, dossiers et jeux vidéo pédagogiques [highslide](14;14;;;)Voir par exemple le jeu « Weather »[/highslide] , articles de fond…). En exploitant la force des réseaux sociaux (principalement Facebook, Twitter et Youtube) et en renforçant la campagne au niveau local grâce à toutes ses sections nationales, Greenpeace a réussi à forcer Nestlé à rompre ses relations avec les fournisseurs mis en cause dans la campagne, qui participaient à la déforestation. L’ONG a également réussi à « éduquer », ou du moins à sensibiliser, un grand nombre de consommateurs, et à les faire agir. Selon certains observateurs, cette campagne marque un tournant dans l’utilisation des réseaux sociaux par les ONG, tant elle a été organisée de manière professionnelle [highslide](15;15;;;)Lire à ce sujet l’étude très documentée de Fabrice Epelboin[/highslide].
Bien que sur un mode mineur, Oxfam-Magasins du monde s’inscrit dans la même ligne, en proposant aux internautes de poster leurs plus belles grimaces pour dénoncer l’esclavage des enfants dans les plantations de cacao en Afrique de l’Ouest ou en organisant des buzz dénonçant la pression des multinationales de la distribution sur les petits producteurs et sur les consommateurs .
Mais à force de se concentrer sur internet et les réseaux sociaux, ne risque-t-on pas de tomber dans le « slacktivism » (l’activisme mou) ? Comme le dit Rahaf Harfoush, qui a organisé avec le succès que l’on sait la campagne électorale d’Obama sur les réseaux sociaux,
nous ne devons pas nous habituer au fait qu’un simple clic sur un bouton suffise à montrer notre soutien ou notre indignation.
En d’autres termes, il ne faut pas seulement protester, mais également s’impliquer [highslide](16;16;;;)Citation reprise dans l’article de Hubert Guillaud, « comment favoriser l’engagement citoyen ? »[/highslide]. Un risque de plus à garder à l’esprit, tout en ne négligeant pas les possibilités de mises en action réelles qui peuvent commencer à partir des réseaux sociaux. Ainsi, la mobilisation via les réseaux sociaux peut également déborder dans la rue. Ce fût le cas, en 2009, avec une grande manifestation « anti Berlusconi » réunissant 300 000 personnes et partie d’un groupe Facebook. Le succès des « flashmob » est en grande partie dû à Youtube et à Facebook. Dans un autre registre, on se souvient aussi de la mobilisation massive contre la guerre en Irak, partout dans le monde, en 2006. Une telle coordination aurait été beaucoup plus difficile sans internet et les réseaux sociaux.
Réduire la fracture numérique
On a souvent tendance à penser que l’utilisation des TIC va fondamentalement changer le monde et la manière d’envisager l’éducation. Selon Alain Chaptal, docteur de l’Université Paris X en sciences de l’information et de la communication [highslide](17;17;;;)Op. cit. note 42.[/highslide] ,
on part toujours de l’illusion qu’en mettant à disposition une nouvelle technologie, ça va suffire à créer de nouvelles pratiques alors que, dans les faits, l’utilisation des Tics reste à la marge du système éducatif.
Le risque serait de croire qu’il suffit d’installer de beaux outils, dans l’air du temps, pour séduire un nouveau public, plus jeune et plus branché. Une autre erreur serait de penser que tous les jeunes sont des experts des nouvelles technologies. Une récente étude du centre de recherche « Travail et Technologies » de Namur montre en effet que la plupart des jeunes n’utilisent internet que pour communiquer et pour se divertir, et que 10% des jeunes Belges francophones peuvent être considérés comme « off line », c’est-à-dire des utilisateurs épisodiques. Il existe un réel fossé, selon cette étude, entre d’une part, l’expérience limitée des TIC chez ces jeunes et d’autre part, les comportements qui sont attendus d’eux dans leur insertion dans le travail, la formation et la vie autonome en société.
Si les jeunes en situation de quasi-déconnexion sont familiarisés avec la manipulation de l’ordinateur et d’Internet et sont à l’aise dans les relations avec leurs pairs (Internet, le chat, le téléchargement ou l’écoute de musique et de vidéos en ligne NDLR), ils sont par contre confrontés à des difficultés quand ils sont soumis à des épreuves imposées par le contexte socio-économique ou institutionnel: rédiger un document, remplir un formulaire en ligne, postuler un emploi, organiser une activité, etc.
remarquent les auteurs de l’étude [highslide](18;18;;;)Les jeunes off line et la fracture numérique, Etude, centre de recherche Travail et Technologies de la Fondation Travail – Université, 2009[/highslide].
Le monde de demain se construit avec les nouvelles technologies. L’enjeu de leur maîtrise par les nouvelles générations, au Nord comme au Sud de la planète, est donc essentiel pour éviter une fracture numérique grandissante, correspondant à la fracture économique. Ce défi concerne le champ de l’éducation, y compris de l’éducation au développement, qui peut former les citoyens de demain à utiliser ces nouveaux outils au profit d’un monde plus juste et plus solidaire. Dans un avenir peut-être pas si lointain, on peut espérer que ces nouveaux outils pourront rapprocher les citoyens du Nord et du Sud et favoriser les échanges entre ONG du Nord et leurs partenaires du Sud. Déjà nombre d’ONG implantées dans le Sud ont compris l’importance de ces nouvelles technologies dans leur travail [highslide](19;19;;;)« Les réseaux sociaux sur le web facilitent le partage de connaissances entre organisations de la société civile africaine », dossier internet et synergies, Echos du Cota, n°146, mars 2010. Nous recommandons aussi l’article pages 23-24, à propos du projet Yam Pukri au Burkina Faso.[/highslide]. Même si les nouvelles technologies offrent des avantages indéniables, il ne faut pas non plus perdre de vue le plus important : le droit à une éducation de base de qualité et accessible à tous, ouverte sur la solidarité internationale, doit être la première des priorités, bien avant l’accès à internet ou à toute autre technologie.
De l’éthique dans les TIC
Comme nous l’avons vu, les nouvelles technologies constituent des outils intéressants tant pour les communicateurs que pour les éducateurs. Il serait dommage de s’en passer, alors que la plupart des personnes que les ONG veulent toucher (du moins au Nord) ont déjà intégré ces TIC dans leur vie quotidienne.
Mais malgré leurs nombreux avantages, ces nouvelles technologies ne remplaceront jamais le contact direct avec un animateur, l’expérience d’un projet vécu sur le terrain, ou la formation en groupe. Ils s’inscrivent simplement dans la large palette dont disposent les communicateurs et les éducateurs pour informer, sensibiliser, mobiliser et faire agir leurs publics. Ce n’est pas seulement sur internet que l’on changera le monde, il faudra toujours des enseignants dans les écoles, des manifestants dans la rue, des citoyens impliqués dans leur vie quotidienne, des personnes capables de faire pression sur les décideurs et de créer un rapport de force durable !
Pour rester cohérentes et crédibles dans leur message, les ONG doivent veiller à une utilisation éthique des nouvelles technologies, comme pour n’importe quel autre outil. Avant de s’engager dans des campagnes de sensibilisation via des réseaux sociaux, elles devraient à notre avis s’engager à respecter une série de principes :
- respecter scrupuleusement la vie privée des utilisateurs et les conditions de leur engagement
- éviter d’exclure de leur communication ceux qui n’ont pas accès ou ne veulent pas s’inscrire aux réseaux sociaux (varier les canaux d’information afin de s’assurer que tout le monde reçoive l’information)
- ne pas se limiter à une mobilisation light (slacktivisme), qui ne crée pas un réel rapport de force, et laisser la place à diverses formes d’engagement
- ne pas s’associer à des démarches qui mélangent opérations commerciales, de récoltes de fond ou de promotion, et projets éducatifs
- favoriser l’accès de tous à l’information et à l’action, y compris auprès des personnes les plus défavorisées
- mettre en place un mécanisme de contrôle afin de ne pas autoriser la publication de messages contraires à la dignité humaine (messages racistes, sexistes, négationnistes,…).
En conclusion, nous pensons que le monde éducatif, y compris les personnes chargées de l’éducation au développement au sein des ONG, devraient mener une réflexion sur les nouvelles technologies. Au-delà des menaces qu’elles font peser sur le respect de la vie privée et sur d’autres aspects de la vie sociale, elles offrent une multitude d’opportunités. Pour les ONG, les nouvelles technologies peuvent permettre de lier de manière naturelle leurs missions d’éducation et de mobilisation. La révolution technologique n’est encore qu’à son commencement, et il appartient aux ONG comme à l’ensemble de la société civile d’y participer pour construire un monde plus juste et plus respectueux des droits fondamentaux.
Roland d’Hoop
Service éducation