Mais qu’est ce qui peut bien pousser des citoyens à s’engager dans un processus d’interpellation du pouvoir politique communal ?
Les interactions entre citoyennes, citoyens et hommes/femmes politiques communaux sont un vaste sujet qui permet bien des développements. Oxfam-Magasins du monde l’avait déjà abordé dans une analyse de février 2013 : « Le bénévole et le politicien. L’interpellation politique chez Oxfam-Magasins du monde »[1. Oxfam-Magasins du monde, Analyse : «Le bénévole et le politicien. L’interpellation politique chez Oxfam-Magasins du monde » Chloé Zollman, Février 2013.] L’objectif était à l’époque de creuser la mobilisation des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde dans le cadre de la campagne « Ça passe par ma commune » lors d’interpellations avant les élections communales de 2012.
La réflexion que nous souhaitons développer dans cette analyse-ci se concentre sur les motivations des citoyennes et des citoyens à s’investir dans la campagne « communes du commerce équitable » (CDCE). Cette campagne, menée en partenariat avec Fairtrade Belgium et Miel Maya Honing, consiste à sensibiliser au commerce équitable et à encourager la consommation de produits équitables et de produits agricoles provenant d’une agriculture durable et locale. Responsables politiques, commerçants, enseignants, travailleurs, consommateurs, citoyens, etc. tous sont acteurs et peuvent jouer un rôle pour donner plus de chances au commerce équitable et aux produits locaux. La participation de ces acteurs est essentielle à la réussite de cette campagne, et l’obtention du titre honorifique « Commune du Commerce Equitable » nécessite un engagement collectif.
Oxfam-Magasins du monde a repris le pilotage de la campagne CDCE en octobre 2015 avec l’intuition qu’en tant que mouvement de bénévoles, elle pouvait apporter une dynamique particulière à l’implication de citoyens et de citoyennes dans celle-ci. Pour conforter cette intuition et atteindre les objectifs 2016 de CDCE, nous souhaitons creuser dans cette analyse la question de la motivation. Qu’est-ce qui motive des citoyennes et des citoyens à s’engager dans une démarche de dialogue/action avec les politiques, écoles, entreprises, associations et horeca de leur commune ?
Nous avons donc interviewé différents profils de citoyennes et de citoyens s’investissant dans CDCE pour sonder leurs motivations. Un grand merci pour leurs réponses et en particulier à Eloïse Blond, Evelyne Van pee, Guy Vanroy, Jean-Pierre Monseur, Jacques Mayer, Rose-Marie Faway et Véronique Petit-Lambin.
Nous les avons classés en trois catégories :
- Les Bénévoles Oxfam s’impliquant avec leur équipe Oxfam auprès de leur commune
- Les citoyennes et les citoyens s’impliquant auprès de leur commune
- Les échevins et échevines étant les interlocuteurs politiques de ces citoyens.
L’analyse se décline en trois questions qui nous permettent d’évaluer et de comprendre les mécanismes de l’implication et de la motivation des différents profils interrogés. Suite à ces questions, nous dressons un constat et terminons par une conclusion/réflexion.
Pour interpeller sa commune, faut-il la fibre politique ?
Au cours de nos interviews, nous avons très vite été confrontés à 4 types de motivations à s’investir dans la campagne CDCE.
Ceux qui perçoivent cela comme un « engagement » politique : Comme Jean-Pierre Monseur, bénévole Oxfam-Magasins du monde à Arlon. Il a déjà interpellé sa commune à plusieurs reprises et est initiateur (avec d’autres bénévoles Oxfam) de la campagne CDCE à Arlon. Pour lui, « s’impliquer dans Communes du commerce équitable a été très dynamisant et enthousiasmant, c’était une réelle reprise en main de la vie publique par les citoyens ».
Ceux qui y vont un peu par devoir: Guy Van Roy, bénévole Oxfam-Magasins du Monde à Rixensart nous raconte son expérience : « il y a 8-9 ans, nous avons beaucoup agit dans la campagne « Ça passe par ma commune », notamment en interpellant les différents partis avant les élections. Avec plusieurs bénévoles de l’équipe Oxfam de Rixensart, nous avons essayé de suivre le processus, à travers la campagne CDCE. Ma participation à cette démarche ? Je n’avais pas le choix. J’ai été poussé par Oxfam. Il fallait des bénévoles pour parler de ce projet. Nous étions 3 à l’époque. De plus, intensifier la présence du Commerce équitable au niveau communal est une démarche qui répondait bien aux valeurs d’Oxfam, c’était normal de la soutenir. Je l’ai donc fait autant par raison que par nécessité. Mais je n’ai pas de fibre politique à priori ».
Ceux qui s’y impliquent par hasard : Eloïse Blond, citoyenne de la commune de Mons, à qui une connaissance a proposé d’intégrer « Mons équitable », une association qui défend le commerce équitable (sud-nord et nord-nord) et qui dénonce des pratiques non-éthiques. « Je ne me suis pas mise dans la campagne CDCE, l’association était déjà active dedans. » Rose-Marie Faway, bénévoles Oxfam à Herve mais active pour CDCE à Thimister. On est venu la chercher parce qu’elle organise un petit déjeuner Oxfam dans sa commune depuis plusieurs années. Elle a accepté de faire partie du Groupe de réflexion et d’actions Nord-Sud. Suite à cela, et tout naturellement, au début 2013, l’échevin en charge des relations Nord-Sud et les membres du groupe ont choisi de poursuivre l’objectif CDCE ».
Enfin ceux qui le font pour obtenir un « résultat concret » : Christian Host, bénévole Oxfam-Magasins du Monde à Soignies, a dépensé énormément d’énergie dans la campagne CDCE. Sa motivation, il l’a puisée (entre autre) dans son envie de voir des produits Oxfam à la carte des restaurants et des cafés de sa commune. Il précise : « Un beau moyen de doper les ventes extérieures du magasin du monde-Oxfam » dans lequel il est investi.
Et du côté des communes, quelles sont les raisons qui les motivent à s’investir dans la campagne CDCE ?
Quand on questionne les citoyennes et les citoyens sur le sujet, ils y voient une raison liée aux valeurs : la commune est un acteur clé de développement durable, équitable et solidaire ; un acteur idéal pour s’impliquer dans ce type de projet. Mais, ils y voient surtout l’occasion pour la commune de se positionner favorablement par rapport à ses citoyens. En effet, s’impliquer dans la campagne permet de valoriser l’engagement des citoyennes et des citoyens de la commune ; communiquer sur la participation à la campagne renforce l’image positive d’une commune et finalement, favoriser le commerce équitable répond à l’intérêt du public puisque ce type de commerce est tout à fait positif pour 86% de la population.
Quand on questionne les échevines et les échevins des communes concernées, les raisons peuvent également être variées. Pour Véronique Petit-Lambin, échevine à Eghezée, l’implication dans CDCE entre naturellement dans des valeurs de solidarité : « Eghezée -sa commune- se doit d’être ouverte sur le monde. La solidarité internationale permet de découvrir de nouvelles pratiques sociales, culturelles et politiques. Les problématiques sont vécues au nord et au sud, on doit voir des solutions au niveau global, cela permet un échange qui va dans les 2 sens ». Afin de motiver et d’impulser une démarche CDCE dans sa commune, elle fait référence au soutien à l’agriculture locale et durable. Elle renvoie donc directement au critère 6 de la campagne CDCE : « la commune soutient une initiative en faveur de la consommation de produits agricoles locaux et durables. Elle précise : « Grâce à l’attention qu’accorde la campagne CDCE aux produits locaux, il est facile de sensibiliser les citoyennes et les citoyens en évoquant l’intérêt que cette campagne apporte aux producteurs de la commune ».
Pour Evelyne Van Pee, échevine dans la commune de Nivelles, ce sont davantage ses valeurs et ses convictions personnelles (elle a toujours été très sensible au commerce équitable) qui l’ont poussé à s’impliquer dans CDCE. Au début de son mandat d’échevine, elle avait l’ambition de valoriser le commerce équitable au niveau de la commune mais elle ne savait pas comment s’y prendre. Le lancement de la campagne CDCE a été, pour elle, une opportunité de favoriser la consommation de produits équitables.
Quel est le rapport des citoyens au pouvoir communal ?
De façon générale, les gens interrogés attendent de leur commune qu’elle soit proche des citoyennes et des citoyens et qu’elle s’implique pour un développement durable tant dans le Nord que dans le Sud. Rose-Marie Faway nous dit :« j’attends de ma commune qu’elle prenne des engagements réels et sur le long termes dans le domaine de la solidarité nationale et internationale entraînant dans son sillage les écoles communales, les nombreux clubs sportifs ou autres associations/organisations, les entreprises du zoning industriel etc., sans négliger l’aide aux commerçants et aux producteurs locaux pour autant. L’Echevin qui nous accompagne dans cette démarche perçoit de façon très positive l’investissement des citoyen(ne)s dans ce domaine ». Véronique Petit-Lambin nous affirme qu’à Eghezée, il y a de la place pour les citoyennes et les citoyens qui s’impliquent via le conseil consultatif de solidarité internationale. Les demandes qu’ils font sont entendues et acceptées par le collège du bourgmestre et échevins.
Christian Hoste de Soignies et les bénévoles de Rixensart se sont rendus compte de l’importance du jeu politique. Ils précisent que l’appui des acteurs communaux permet de donner une certaine dynamique à la campagne. Dans le cas de Rixensart, le changement de majorité, en 2012, a donné un fameux coup de frein à la campagne. Le pouvoir communal ne soutient plus la campagne CDCE. En 2015, 350 habitants de Rixensart signaient une pétition soutenant la démarche CDCE, sans que cela ne provoque de réactions du bourgmestre.
La perception de l’intérêt des hommes et femmes politiques est loin d’être toujours positive. Beaucoup de citoyennes et de citoyens interrogés ont également besoin de se sentir soutenus dans leurs démarches pour garder leur motivation. Ce qui est loin d’être toujours le cas. Dans ces conditions, Guy Van Roy est plutôt pessimiste et « n’attend plus rien de la commune ». Eloïse Blond va dans le même sens à Mons : « Il y a un gros fossé entre les attentes de notre groupe de citoyens et le travail de la commune. Alors qu’il y a beaucoup d’attentes et beaucoup d’énergie dépensée de la part des citoyens qui veulent changer les choses ; la commune ne fait pas grand-chose ».
A Arlon, la commune était peu enthousiaste au départ pour s’engager dans une aventure CDCE. Selon Jean-Pierre Monseur, un manque d’acceptation et une peur d’intrusions citoyennes dans les affaires publiques, « que les élus considèrent encore comme leur chasse gardée », sont certainement les raisons de cette réticence communale. « Il a fallu batailler pied à pied pour obtenir la levée de la méfiance » témoigne Jean-Pierre. Pour y parvenir, les citoyens ont eu et ont toujours le soutien, non négligeable, de la Plateforme du Luxembourg pour le Commerce Equitable.
Pour tous, un même constat : la motivation, l’énergie diminue avec le temps !
Tous nous racontent leurs éventuelles difficultés dans le processus CDCE : créer un comité de pilotage, convaincre les établissements horeca d’entamer une démarche équitable ainsi qu’établir un lien citoyens-politiques. Mais la raison qui est chaque fois présente, c’est de tenir dans le temps : « Ce qui est difficile, c’est d’avoir la patience de cheminer au rythme du groupe dont je fais partie » nous raconte Rose-Marie Faway. En effet, ce qui tient les citoyens motivés, c’est de voir le projet avancer !
Evelyne Van Pee nous raconte : « La campagne a été très rapide à Nivelles. En 6 mois, ils ont obtenu le titre. Les entreprises, commerces, écoles, etc. étaient motivés par le projet, ça a été très facile. Par contre, tenir dans la durée est quelque chose de beaucoup plus difficile. Au niveau communal, Evelyne arrive à avoir un œil et une emprise sur la consommation de produits de CE. Pour les entreprises, écoles, commerces, etc. ce n’est pas possible : « Le comité de pilotage en charge de suivre l’évolution de la campagne était composé de 6-7 personnes dont des bénévoles Oxfam-Magasins du Monde et des citoyens hors Oxfam. Lorsque les bénévoles Oxfam se sont retirées du comité, les autres se sont découragés. Il est nécessaire de mettre en place des actions ponctuelles pour garder une certaine dynamique dans le comité de pilotage ». Jean-Pierre va dans le même sens : «la locomotive Oxfam est souvent présente à Arlon, si nous ne sommes pas là, rien ne se fait plus … »
Le défi : entretenir la motivation
En guise de conclusion, la question est certainement de comprendre comment garder une dynamique active dans la durée pour la campagne CDCE : comment garder la motivation des citoyennes et des citoyens impliqués intacte et comment garder l’énergie des groupes qui pilotent ces dynamiques ?
Tout au long de cette analyse, nous avons pu découvrir que ce type de campagne avait le potentiel pour intéresser de nombreux citoyens pour de multiples raisons. Cette campagne s’inscrit notamment dans une dynamique de reprise en main de la vie publique par les citoyennes et les citoyens et elle constitue une piste d’action concrète pour les acteurs locaux. Néanmoins, ceux-ci ont besoin de se sentir soutenu dans leur démarche, tant par le pouvoir politique que par les associations actives dans la campagne. Ils ont également besoin, pour garder leur motivation dans le temps, de voir la campagne avancer et ce même lorsque la commune est titrée « commune du commerce équitable ». Si l’on veut continuer à faire perdurer cette énergie citoyenne, il faut se lancer dans de nouveaux challenges et avoir des critères plus élevés.
Enfin, après avoir analysé la motivation des citoyennes et citoyens, il serait certainement intéressant d‘évaluer l’efficacité de la campagne auprès des communes. Dans une prochaine réflexion, il serait donc nécessaire de creuser l’impact et l’état des engagements, des expériences et des politiques menées au niveau communal suite à des campagnes telles que « Ça passe par ma commune » ou « Communes Du Commerce Equitable ».
Martin Rose
Responsable Mobilisation Adultes
Références :
- Oxfam-Magasins du monde, Analyse : «Le bénévole et le politicien. L’interpellation politique chez Oxfam-Magasins du monde », Chloé Zollman, Février 2013.
- La Ligue des familles, Analyse : « Comment interpeller nos élus communaux ? », 2013.