[wpdm_package id=’50355′]
En tant que consommatrices et consommateurs, nous pensons disposer d’une large gamme de choix de café en grandes surfaces : le café traditionnel moulu, le soluble, les dosettes, l’Espresso, le frappé du rayon frais et les nombreuses marques (Nescafé, Carte Noire, Jacqmotte, Senseo, etc.). Cette multitude d’options dissimule, néanmoins, une chaîne mondiale extrêmement concentrée.
Le café est un produit exclusivement cultivé dans les pays subtropicaux à faible IDH (Indice de Développement Humain)[2. L’indice de développement humain (IDH) est un indicateur du développement d’un pays. Il se fonde sur trois critères : l’espérance de vie à la naissance, le PIB par habitant et l’accès à l’éducation.] mais essentiellement consommé dans les pays industrialisés et développés. La production et la consommation étant géographiquement éloignées, les intermédiaires entre agriculteurs.rices et consommateurs.rices sont inévitables. Aujourd’hui, seul un petit nombre d’entreprises contrôle cette longue chaîne et se partage ce marché florissant.
La filière du café est un oligopole dominé par un petit nombre d’entreprises.
Dans une étude menée en février 2018[3. Erhart D. (2018), Une filière équitable au Pérou, le café de Cecovasa, Une union de coopératives en quête de qualité pour rompre avec l’isolement, Fédération Artisans du monde.], le mouvement citoyen français Artisans du monde montre que la filière du café est un oligopole[4. Un oligopole est un « marché dans lequel il n’y a qu’un petit nombre de vendeurs, en principe de grande dimension, en face d’une multitude d’acheteurs ». (Larousse en ligne)] dominé par un petit nombre d’entreprises. « Si les acheteurs et exportateurs locaux sont assez nombreux dans les pays producteurs, dès lors que l’on entre sur le marché international, la filière se resserre et se concentre autour de quelques négociants jouant sur le marché boursier (spéculation), quelques torréfacteurs assurant la transformation finale du café pour les pays consommateurs (multinationales) et comme dans toute filière les acteurs de la distribution classiques (Grandes et Moyennes Surfaces). », explique le réseau associatif.
Le Baromètre du café 2018 partage le même constat : la filière du café est plus concentrée que jamais. Et cette concentration ne profite pas aux 25 millions de petits producteurs/rices locaux. De récentes fusions et acquisitions semblent avoir, par ailleurs, un effet paralysant sur les programmes de développement durable des entreprises et ce, dans un contexte de réchauffement climatique qui a des conséquences négatives sur la rentabilité des terres.
1. À chaque étape de la filière
1.1. Les productrices et les producteurs de café
Le nombre de producteurs.rices de café se chiffre entre 20 et 25 millions de travailleurs.ses. Il est difficile de vérifier l’exactitude de cette donnée. En cause : le manque de fiabilité des statistiques des pays producteurs de café. Puis, d’autres facteurs jouent un rôle:
- Pour beaucoup de petits producteurs/rices, le café n’est plus l’activité principale et/ou la principale source de revenu. Ils et elles développent d’autres cultures ou cumulent plusieurs emplois pour compléter leur revenu.
- Dans les pays où le développement économique crée des opportunités de rémunération plus élevée, de nombreux agriculteurs migrent vers les zones urbaines ou à l’étranger. L’exploitation est souvent tenue par les épouses et les enfants, qui ne sont pas recensé.e.s en tant que producteurs de café.
- Plus généralement, la production de café est considérée comme une profession d’hommes alors que les femmes jouent souvent un rôle central dans la plupart des activités. Elles restent une main d’œuvre invisible. Elles gagnent des revenus moindres, possèdent moins de terres et disposent de moindres opportunités de formations.
Au cours de l’année 2016-2017, les producteurs/rices ont récolté 160 millions de sacs de café[6. Le transport et le stockage du café se fait dans des sacs fabriqués en toile de jute et ayant une contenance de 60 kg.] : un record.
Environ 75% des grains sont exportés, générant aux pays producteurs un total de 20,2 milliards de dollars.[7. Il s’agit d’une moyenne pour la période 2010-2015.]Ce chiffre ne représente que 10% de la valeur totale de la filière du café estimée à 200 milliards de dollars en 2015. Autrement dit, seuls 10 % des richesses engendrées par le café restent dans les pays producteurs de café !
Depuis le début des années 80, les prix mondiaux du café ont baissé de deux tiers. Lorsque les prix du café sont bas, alors que la concurrence mondiale est intense, les producteurs/rices sont constamment sous pression pour réduire les coûts. En 2016, une étude sur la rentabilité des exploitations agricoles menée dans les quatre plus grands pays producteurs de café par l’Organisation Internationale du Café note que les producteurs/rices de café ont connu des pertes entre 2006 et 2016 et que le café ne constitue plus un moyen de subsistance viable.[8. ICO (2016). Assessing the economic sustainability of coffee growing. International Coffee Council 117th session 19-23 September 2016 London, United Kingdom. ICO.]
1.2. Les sociétés d’importation
Pour être consommés, les grains de « café vert » doivent être torréfiés.[9. La torréfaction est une « opération qui consiste à traiter par la chaleur, au contact de l’air, certains produits alimentaires (café, cacao), le tabac, pour les déshydrater, développer certaines qualités aromatiques et faire apparaître la couleur brune. » (Larousse en ligne).] Par « café vert », on entend les grains arrivés à maturité et qui n’ont pas encore été torréfiés. Seules quelques multinationales, appelées « maisons de commerce », font le lien entre les producteurs locaux et les torréfacteurs de café : Neumann Kaffee Gruppe, ED & F Man Volcafe et ECOM, par exemple. Elles approvisionnent les torréfacteurs de café vert.
Ces maisons de commerce non seulement possèdent la majorité des installations de stockage du café dans la plupart des pays producteurs, mais gèrent aussi l’importation, la logistique et les risques financiers. Elles font face aujourd’hui aux exigences de plus en plus poussées des torréfacteurs.[10. Par exemple, en raison de sa taille et de son influence sur le marché, la JAB, l’un des leaders de la torréfaction, demande des conditions de paiement allant jusqu’à 300 jours.]
N’étant pas soumises à des obligations de transparence, les maisons de commerce ne partagent pas leurs données publiquement. Néanmoins, il est évident que ce marché est hyper-concentré. A titre d’exemple, en 2017, le groupe appartenant à la famille Neumann dirigeait la manutention de 10% du café vert à l’échelle mondiale, soit 15 millions de sacs de café, c’est-à-dire, plus de la production de café en Colombie !
1.3. Les torréfacteurs
Après des années de leadership, la multinationale de la torréfaction Nestlé est aujourd’hui concurrencée par la JAB Holding, une société d’investissement allemande détenue par la famille milliardaire Reimann. Au cours des six dernières années, la JAB a construit un empire mondial, en investissant plus de 50 milliards de dollars pour acquérir non seulement des marques de café « grand public » mais aussi des chaînes de restauration qui vendent de grandes quantités de café. La JAB est composée de plusieurs sociétés et marques gérées indépendamment par ses filiales.
La nouvelle stratégie commerciale de la JAB est de faire du café une alternative au soda et donc un produit à consommer toute la journée. Elle a acquis, en janvier 2018, Dr Pepper Snapple. D’autres grands groupes poursuivent le même objectif. Pepsi fabrique désormais sa gamme de cafés « prêts-à-boire » quand Coca-Cola possède Georgia, la plus grande marque de café « prêts-à-boire » au monde, en plus de ses nouveaux partenariats avec Dunkin’Donuts et McDonald’s aux États-Unis.
Le géant de l’agroalimentaire Nestlé, basé en Suisse, a identifié le café comme l’une de ses plus grandes opportunités de croissance. Réputé pour ses marques Nescafé et Nespresso, Nestlé a surpris le secteur en s’associant à Starbucks. Cette collaboration, réalisée en mai 2018, lui a permis de gagner des parts de marché aux États-Unis et d’augmenter son avance sur la JAB. L’accord de 7,1 milliards de dollars entre Nestlé et Starbucks comprend la vente de produits Starbucks dans les supermarchés, ainsi que le développement de capsules de marque Starbucks.
A noter que Starbucks, le leader de la vente du café au détail, a, lui aussi, l’ambition de se développer. La chaîne a ouvert plus de 2.000 magasins en 2016, augmentant sa présence mondiale à plus de 25.000 magasins dans 75 pays. Et cela n’est que le début, puisque Starbucks prévoit d’ouvrir 12.000 nouveaux magasins dans le monde. Il vise à doubler son nombre de commerces en Chine en passant des 3.300 magasins actuels à 6.000 avant la fin de 2022.
Enfin, Lavazza, une société italienne, pourrait prendre la troisième place du peloton. Elle a acheté plusieurs marques au sein de l’UE et en Amérique du Nord, dont la marque de café française « Carte Noire » (ce qui lui a permis de tripler son chiffre d’affaires en France). Récemment, elle est arrivée sur le marché en Amérique du Nord, prenant une part majoritaire dans Kicking Horse, une entreprise canadienne spécialisée dans le café certifié équitable et bio.
1.4. Les consommatrices et les consommateurs
Entre 2012-2017, la production et la consommation de café ont, en moyenne, augmenté de 2% par an. La consommation augmente en dehors des marchés traditionnels de l’UE et des États-Unis, notamment en Asie du Sud-Est. Si ce rythme de croissance se poursuit d’ici 2050, la consommation de café pourrait atteindre 300 millions de sacs, ce qui signifie doubler voire même tripler la production actuelle.
2. Les cultures de café
2.1. Deux espèces : l’Arabica et le Robusta
L’Arabica et le Robusta sont les deux principales espèces de café. L’Arabica est majoritairement cultivé au Brésil, en Colombie et en Ethiopie. Le Robusta, quant à lui, est cultivé dans des zones humides à faible altitude au Vietnam, en Indonésie et en Ouganda. Le Robusta est plus résistant aux maladies et le rendement par arbre est beaucoup plus élevé puisqu’il rapporte grosso modo un tiers de grains de plus que l’Arabica. Le Robusta possède un arôme moins développé et un goût plus amer que l’Arabica.
Au cours des dix dernières années, la culture du Robusta a augmenté jusqu’à atteindre 40% de la production mondiale. Une augmentation qui devrait se poursuivre à mesure que le réchauffement climatique engendrera de plus en plus de terres inadaptées aux variétés Arabica.
2.2. Terres en mauvais état, réchauffement climatique et déforestation
Le Baromètre du café estime que 4 millions d’hectares de plantations ont besoin d’être remis en état, c’est-à-dire, plus que la superficie des terres caféières du Brésil, du Vietnam, de la Colombie et de l’Ethiopie.
Dans la zone équatoriale, le réchauffement climatique a un impact négatif sur les cultures de café. Les températures plus élevées, les sécheresses prolongées, les fortes pluies et gelées influencent la production à divers niveaux : de la diminution des zones adaptées aux plantations à l’augmentation des maladies végétales et des parasites (scolyte du caféier, « Roya », etc.). Des pays comme le Brésil, l’Inde et l’Ouganda pourraient perdre plus de 60% des terres adaptées à la culture de café d’ici 2050. Et même les pays qui devraient connaître des pertes moindres – comme la Colombie et l’Éthiopie – pourraient voir leurs terres caféières diminuer de 30%.
Le Baromètre du café note que le système actuel ne sera pas en capacité de répondre à la demande croissante de café (voir 1.4). Le déficit sera au minimum de 60 millions de sacs (un nombre plus élevé que la production annuelle actuelle du Brésil). Sans d’importants changements pour adapter la production de café au réchauffement climatique, la production mondiale pourrait même être moins élevée en 2050 qu’aujourd’hui.
Au même moment, à la place de prendre soin des cultures existantes et de les remettre en état, des terres boisées sont converties en terres caféières légèrement ombragées ou « plein soleil ». A l’exception du Brésil où l’augmentation de la production a été liée à la technologie, dans presque la totalité des pays où la production de café a augmenté rapidement – le Vietnam, l’Indonésie, l’Éthiopie, le Pérou, etc. cette augmentation est due à la création de nouvelles terres agricoles par des déforestations. L’augmentation annuelle de ces terres est estimée à 100.000 hectares, ce qui équivaut à la déforestation de 548 terrains de football par jour ! A noter que la croissance de telles cultures menace, par ailleurs, des zones avec une biodiversité unique.
3. Les engagements de durabilité
Il est urgent de définir des stratégies face aux défis de la filière : l’amélioration des conditions des producteurs/rices locaux dans un contexte de réchauffement climatique – avec des conséquences sur la production des terres – et la demande croissante.
En l’absence de réglementations publiques efficaces dans de nombreux pays producteurs, des systèmes de certification indépendants sont apparus comme des outils prometteurs pour promouvoir une production responsable du café. Il en existe plusieurs : biologique, Fairtrade, Rainforest Alliance et UTZ Certified. Certaines sociétés privées ont, parallèlement, créé leurs propres règles en matière de responsabilité sociale d’entreprise, notamment l’initiative CAFE de Starbucks (Coffee and Farmer Equity practices) et le Code commun pour la communauté du café (4C)[11. Le projet 4C est un code de conduite développé pour le secteur du café. Il repose sur le respect de 28 principes et l’exclusion de 10 pratiques inacceptables à l’instar de l’interdiction du travail des enfants. Parmi les membres de cette initiative multipartite, on retrouve des groupes internationaux comme Aldi, Kraft ou encore Nestlé (Source : Trade for Development Centre).].
Néanmoins, les systèmes de certification ne sont pas une solution miracle. S’ils s’avèrent utiles pour différencier un produit sur le marché, ils ne sont pas en capacité de modifier des rapports économiques qui maintiennent une situation où les producteurs/rices portent la plupart des coûts tout en obtenant le moins d’avantages.
De par leur nature non-contraignante, les systèmes de certification reposent sur l’engagement des entreprises. Et, bien que les nouvelles générations soient de plus en plus sensibles à la durabilité de la production du café, surpasser la concurrence sur des enjeux de durabilité ne représente pas une plus-value commerciale élevée, la plupart des grandes sociétés offrent aujourd’hui une gamme de produits certifiés. Par ailleurs, la multiplicité des labels et des étiquettes contribue à installer une confusion chez les consommateurs/rices.
Oxfam-International a rappelé, à plusieurs reprises, la nécessité de mettre en vigueur un traité contraignant obligeant les entreprises et les supermarchés à protéger les droits de l’homme au sein de leur chaîne d’approvisionnement : « Si nous voulons parvenir à un secteur réellement durable dans lequel les petits producteurs peuvent notamment compter sur un revenu décent, nous ne pouvons pas simplement placer nos espoirs dans l’autorégulation et les initiatives volontaires des acteurs privés. »[12. Extrait de la note de positionnement dans le cadre de l’action « pot de choco » du 13 octobre 2018. ]
L’organisation poursuit : « Sans réglementation contraignante, rien ne sert de faire quoi que ce soit. À cet effet, une convention contraignante de l’ONU visant à obliger les entreprises à protéger activement les droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement est en cours de négociation. »
Dans la filière du café, dont la valeur annuelle est actuellement de 200 milliards de dollars, l’investissement total dans les efforts de développement durable est estimé à 350 millions de dollars. Au moins 50% de ce financement est généré par le biais des primes pour le café certifié… Environ 20% sont un investissement direct du secteur privé et 20% proviennent de donateurs étrangers. Les 10% restants émanent de sources inconnues. Il va sans dire qu’il y a un sous-investissement, puisque 0% des bénéfices sont réinvestis dans la durabilité de la production du café.
En 2014, les leaders internationaux du café ont établi ensemble une vision pour la durabilité du secteur en 2020. Fin 2017, ils ont réaffirmé leur collaboration jusqu’à 2030. Le seul élément nouveau ajouté à la nouvelle version est une référence spécifique aux objectifs de développement durable (ODD) et la rédaction d’une vision pour la durabilité en 2030 qui prolonge l’échéance de 10 ans…
4. Conclusion
Le Baromètre du café 2018 révèle plusieurs défis.
- La concentration des pouvoirs nuit aux producteurs/rices locaux qui subissent des pressions exercées par les négociants et importateurs eux-mêmes sous pression des torréfacteurs. Le café ne représente plus un moyen de subsistance viable pour les petits producteurs/rices qui sont de plus en plus nombreux à quitter le secteur.
- Le réchauffement de la planète a un impact négatif sur les cultures de café. Les plantations actuelles sont en mauvais état. Il y a une augmentation des phytopathologies. Pour faire face à ces problèmes, des variétés de moins bonne qualité mais plus résistantes sont privilégiées. Par ailleurs, des terres boisées sont transformées en cultures intensives de type « plein soleil » via des déforestations (ce qui représente un nouveau danger pour la biodiversité).
- La demande de café en dehors des marchés traditionnels de l’UE et des États-Unis augmente, notamment en Asie du Sud-Est. Les réglementations publiques dans les pays producteurs sont quasi inexistantes et les engagements de durabilité des grandes sociétés sont insuffisants et disparates. Un effort concerté est urgent. Moins de paroles et plus d’actes. Sans quoi, la production de café ne répondra plus à la demande en 2050.
Hélène Brédart