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Moins de viande, plus de bien-être

Analyses
Moins de viande, plus de bien-être

Agir ici pour la Souveraineté Alimentaire, ça commence bien souvent par une modification profonde de son alimentation. Réduire sa consommation en viande est à cet égard un bon début.
Mais la transformation de notre système alimentaire dans le sens de la Souveraineté Alimentaire engage les citoyens à aller au-delà du geste individuel pour porter des projets collectifs. Comment par exemple faire en sorte que ce type de régime alimentaire puisse se généraliser à un plus grand nombre de personne et avoir un impact réel sur notre société ? Tel est le défi relevé par Jeudi Veggie qui veut rendre ce choix soit simple, positif et efficace[[highslide](1;1;;;)
Sur base de l’interview de Annemarie Ijkema, porte-parole du Jeudi Veggie
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En Europe, la Belgique figure à la 4ème place sur la liste des plus gros consommateurs de viande et de produits animaux dérivés. Sur toute sa vie, un Belge moyen mangera ainsi le tiers d’un cheval, 5 bœufs et veaux, 5 chèvres et moutons, 24 lapins et têtes de gibier, 42 porcs, 43 dindes et autres volailles, 789 poissons et 891 poulets.

Pourquoi consommer moins consommer de viande?

Selon le site de Jeudi Veggie, nous mangeons quotidiennement en moyenne 160 grammes de viande par jour, une quantité de plus de 50 % supérieure à la dose maximale recommandée de 100 grammes par jour pour les adultes. Une telle surconsommation d’acides gras saturés et de cholestérol peut s’avérer dangereuse pour la santé car elle augmente les risques de surpoids, de diabète, de maladies cardiovasculaires et de certains types de cancer. Nous ne faisons pas que manger trop de viande, nous mangeons également trop peu de produits végétaux. Le Belge ne consomme en effet en moyenne pas assez de fibres, de fruits et de légumes.
Ce régime « occidental » a non seulement des impacts négatifs sur notre santé, mais également sur le plan environnemental. Au niveau mondial, l’élevage, ainsi que le transport de la viande et du fourrage, sont responsables de près d’1/5 (18 %) des émissions de gaz à effet de serre, une proportion qui dépasse de loin celle du secteur des transports (Source : FAO : organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Il faut préciser que, outre le CO2, il existe d’autres gaz liés à la production de la viande dont l’effet de serre est plus néfaste encore : la production de méthane, principalement issu des gaz produits par la digestion des ruminants, et d’oxyde nitreux, qui provient de la dégradation du fumier. Par ailleurs, chaque année des forêts d’une superficie de la taille de la Belgique, susceptibles de convertir le CO2 en oxygène, sont rasées pour servir à l’élevage des bêtes que nous consommerons, explique-t-on chez Jeudi Veggie.
Point de vue qualité, il va s’en dire que pour satisfaire ces niveaux élevés de consommation en viande, les élevages se sont concentrés et industrialisés. Le fourrage, lui aussi est produit de manière industrielle et polluante tandis que la gestion des déjections animales saturent les sols. Les éleveurs ont recours aux aliments concentrés contenant des OGM et aux antibiotiques ; les animaux sont élevés dans des conditions qui posent question tant du point de vue sanitaire qu’éthique. Du point de vue éthique, il n’y a pas que le bien-être animal, mais aussi la destruction directe des conditions d’existence des modes de productions paysans : d’une part, la production paysanne durable de viande ne peut faire concurrence à la production industrielle à bas prix et, d’autre part, la production du fourrage animal a pris le dessus sur des cultures vivrières dans de nombreuses régions du monde.
La part de viande dans notre alimentation est déjà très importante en Belgique, avec quelque 285 millions d’animaux tués chaque année pour notre consommation. Au niveau mondial, il s’agit de 60 milliards d’animaux, explique Jeudi Veggie. Qu’en sera-t-il en 2050, lorsque nous serons environ 9 milliards d’individus sur Terre à se nourrir en viande ? Au niveau mondial, la production de viande, à travers des cultures de soja et céréales servant à l’alimentation des animaux d’élevage, monopolise déjà 78% des terres agricoles, alors que, selon l’ONG SOS Faim, un milliard de personnes souffrent de la faim, dont deux tiers sont des paysans et leur famille qui vivent principalement dans les pays en développement. Diminuer sa consommation de produits d’origine animale, n’est donc pas seulement une question d’hygiène de vie, c’est une nécessité éthique et environnementale.

Une solution citoyenne

Reste que sensibiliser ses concitoyens à la nécessité de consommer moins de viande ne va pas de soi, et il n’est pas forcément évident de faire passer ce message. En effet, comment sensibiliser à la surconsommation de viande sans passer pour les trouble-fêtes de l’assiette ? Comment faire connaître la richesse de la nourriture végétarienne sans forcer la main ? Et, côté consommateur, comment concilier ses envies culinaires et sa conscience environnementale ? Attentifs à ces questions, Jeudi Veggie a pris le parti de proposer une alternative concrète et efficace : proposer un jour par semaine sans viande.
En 2009, l’ASBL néerlandophone EVA, qui a pour but d’informer le grand public sur les bienfaits de l’alimentation végétarienne, lançait une initiative jamais vue en Belgique : Donderdag Veggiedag (« jeudi, jour végé »). A l’époque, les porteurs du projet cherchaient un outil accessible qui donnerait la possibilité aux citoyens de faire un geste positif pour leur santé et pour la planète à travers le végétarisme, tout en lui conférant une dimension ludique et positive. Car, en effet, « être végétarien, c’est rébarbatif pour beaucoup de gens, explique Annemarie Ijkema, porte-parole du Jeudi Veggie à Bruxelles, « C’est souvent synonyme de contraintes » et de privation.

Une première mondiale à Gand

Très vite, se dessine la nécessite de créer un événement positif synonyme de découvertes et d’expérimentations, qui s’inspirera du concept anglo-saxon de Meat Less Monday (« Lundi sans viande »). Créé en 2003, ce programme suit les lignes directrices de la Healthy Monday initiative du Département américain de l’Agriculture (USDA). Cette dernière veut encourager les Américains à prendre des décisions plus saines pour leur santé et celle de la planète au début de chaque semaine.
Chez nous, c’est donc à Gand que le projet prend forme. Il est soutenu par la Ville, enthousiasmée par une idée qui rencontre ses objectifs de durabilité et lui permet de réduire son empreinte écologique. Grâce à ce subside, la campagne Donderdag Veggiedag voit le jour et, dès 2009, invite les Gantois à découvrir un jour par semaine, en l’occurrence le jeudi, une assiette plus équilibrée, qui fait la part belle aux céréales, aux fruits et aux légumes.
Un véritable engouement se matérialise car c’est toute une ville qui joue le jeu : des initiatives de jeudi sans viande naissent dans les cantines des écoles communales, des services administratifs de la Ville et même des restaurants. Toutefois, il n’y a jamais d’obligation quant au végétarisme : « le jeudi est le jour où on met le plat végétarien à la tête du menu : là où il n’y en a pas habituellement, on en propose un et là où il y en a un d’habitude, on en propose un deuxième. » Mais il est important de conserver des suggestions avec viande : « Il ne faut pas que l’initiative reflète un quelconque caractère obligatoire », explique Annemarie Ijkema, « Le plus important, c’est la sensibilisation d’une façon positive ».
Le phénomène prend une ampleur inattendue : « c’était la première fois qu’une ville entière prenait l’initiative d’un jour sans viande, raconte Annemarie Ijkema, la presse internationale a débarqué à Gand ! » Bientôt, d’autres villes suivent l’exemple de la cité flamande, à commencer par Brême en Allemagne en janvier 2010. Cette même année, suivront San Francisco (USA), Zagreb (Croatie), Washington (USA), Le Cap (Afrique du Sud), Sao Paulo (Brésil), Gloggnitz (Autriche) ainsi qu’en Belgique : Hasselt, Malines, Eupen, Saint-Nicolas, et puis, en 2011, Bruxelles.

Comment implanter le Jeudi Veggie dans sa ville ? L’exemple de Bruxelles

Ainsi, dans la capitale belge, le Jeudi Veggie se met en place grâce à la collaboration de l’ASBL Planète-Vie et le soutien de Bruxelles-Environnement et de la Ministre Bruxelloise de l’Environnement, Evelyne Huytebroeck. La Ministre bruxelloise était assez seule dans sa prise de décision de subventionner le Jeudi Veggie : « Il faut espérer qu’il y aura toujours un ministre Ecolo à la tête du cabinet car c’est le seul parti qui a intégré une nutrition durable et saine et la diminution de consommation de viande à leur programme ». Une aide indispensable : « C’est grâce à la subvention du Ministère que l’on existe à Bruxelles, on ne peut pas utiliser des moyens financiers flamands pour travailler en Wallonie et à Bruxelles donc heureusement qu’on a ce soutien ! »
Outre les questions financières, Annemarie Ijkema ressent chaque jour les difficultés liées à la réalité politique et administrative bruxelloise : « Ce n’est pas comme à Gand où il s’agissait d’une décision de ville :  ce sont 19 communes avec qui il faut aller négocier individuellement, 19 conseils communaux à suivre, ça prend beaucoup de temps. » Parmi celles-ci, aucune ne fait particulièrement figure de « bon élève », mais « à partir du moment où une commune osera franchement passer le pas, je pense que les autres suivront plus facilement », assure la porte-parole du Jeudi Veggie.
Car, depuis 2011, petit à petit, la liste des partenaires s’allonge : « le secteur de l’Horeca et des repas de collectivités se montre très intéressé et le contact avec Sodexo, par exemple, est très constructif. » L’entreprise a également intégré le Jeudi Veggie dans sa charte durable : « Ils ont un rôle de précurseur, ils préparent chaque jour un très grand nombre de repas, c’est un levier très important. » Mais Rome ne s’est pas faite en un jour : « on doit les accompagner dans la création de plats convenables car on ne veut pas du végétarien à tout prix : on veut aussi que ce soit bon et rassasiant, sinon les enfants et clients n’en mangeront pas, c’est un processus long, mais solide. »

Être connu, c’est aussi être critiqué : quelles réponses apporter aux plus sceptiques ?

Côté participation des restaurateurs, la tendance est à une progression constante. Au départ, une vingtaine de restaurants (« déjà pro végé ou nourriture durable », précise Annemarie Ijkema) ont rapidement adhéré au concept. Au fur et à mesure, la logique s’est inversée : « Maintenant, ce sont les restaurateurs qui me contactent, ça va de la petite brasserie au restaurant haut de gamme. Le bouche à oreille marche pas mal. Et puis, on a été assez présent dans la presse francophone », commente Annemarie Ijkema.
Cette répercussion médiatique est très bien accueillie par les responsables de Jeudi Veggie, encore très peu connus en Wallonie ; et ce, même si le message relayé par les journalistes déforme parfois quelque peu la réalité : « Dans l’émission On est pas des pigeons (RTBF), par exemple, les stéréotypes habituels sont revenus sur la table : le Jeudi Veggie, c’est un truc de bobo, un truc luxueux. On essaye de « lutter » contre ces préjugés coriaces en expliquant que, souvent, les gens confondent bio et végétarien. Le bio est certes parfois plus cher que les aliments qui ne sont pas certifiés. Souvent, les végétariens sont aussi plus sensibles au bio et à leur santé, donc c’est vrai qu’il y a une corrélation, mais ce n’est pas une relation de cause à effet. Etre végétarien, acheter des légumineuses, ça ne coûte pas plus cher, que du contraire ! », défend Annemarie Ijkema. « De plus, le prix de la viande industriel ne reflète pas ses coûts réels : entre les subventions et les impacts sur l’environnement et la santé, par exemple. » Des coûts trop souvent oubliés à l’heure actuelle.
D’autres polémiques ont émergé avec la nouvelle visibilité acquise par Jeudi Veggie. Les plus dubitatifs mettent notamment en avant la théorie selon laquelle le végétarisme serait mauvais pour les enfants : « Il est clair que les plus jeunes ont besoin de protéines, mais pas forcément de protéines animales. Les protéines les plus saines sont végétales : on en trouve dans beaucoup de légumineuses et de graines. » Ainsi, loin des clichés, le message de Jeudi Veggie ne se veut pas absolu : « On ne veut pas transformer tous les Belges en végétariens. On parle d’un jour par semaine ! Mais, pour aider notre planète, si tout le monde faisait cet effort minime, cela profiterait à chacun et l’impact serait énorme. »
En effet, on estime qu’une journée sans viande par semaine permettrait d’économiser 170kg de CO2 par personne par an. Si tous les Bruxellois se prêtaient au jeu, cela représenterait ½ millions de voitures en moins sur les routes. S’il le faisait dès l’enfance, il épargnerait la vie de 250 animaux. Plusieurs études ont fait des découvertes étonnantes : « un végétarien roulant en 4×4 est moins néfaste pour l’environnement qu’un consommateur de viande sur un vélo », explique Annemarie Ijkema, « ou encore : rouler 3 heures en voiture tout en laissant les lumières allumées à la maison contribue moins au réchauffement climatique que manger 1kg de bœuf. » Concernant la santé, plusieurs études arrivent aux mêmes conclusions : entre les végétariens et les non végétariens, le risque de maladies cardiovasculaires, de diabètes type 2 et de certains types de cancer est significativement plus bas[[highslide](2;2;;;)
L’analyse a porté sur près de 45.000 volontaires âgés de 50 à 70 ans en Angleterre et en Ecosse enrôlés dans l’enquête dite « European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC). Dans cette étude publiée aux Etats-Unis, les chercheurs de l’Université d’Oxford en Grande-Bretagne ont déterminé que les personnes qui suivent un régime végétarien réduiraient de 32% le risque d’hospitalisation et de décès résultant de maladies cardiovasculaires par rapport à celles consommant de la viande et du poisson.
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Comment participer individuellement ?

Ces chiffres sont importants pour les initiateurs du Jeudi Veggie car c’est dans l’information que se situe leur mission principale : « Notre rôle, il est essentiellement là : sensibiliser le public le plus large possible. Pour ce faire, on participe à de nombreux événements de ville, et pas uniquement à des événements comme le salon Valériane, déjà sensible bio et/ou végétarisme. » L’année dernière, Jeudi Veggie estime avoir touché plus ou moins 2000 personnes de manière directe : « via des stands d’information, la participation au pique-nique de Brusseliscious, l’organisation de la table végétarienne la plus longue à Saint-Gilles ou des projections du film LoveMeaTender, et de bien d’autres encore ».
On le constate, la cible ne se limite pas au secteur de la restauration. Mais le nombre de participants individuels est le plus difficile à estimer. Les réseaux sociaux sont l’indicateur le plus parlant : Plus de 1.500 personnes à Bruxelles reçoivent la newsletter avec une bonne progression dans le nombre d’inscriptions. Le taux de clics et de retour vers le site web est très bon. Les articles les plus lus et partagés sont les recettes de cuisine : « ce qui prouve que les gens ont envie de participer. Ils veulent cuisiner sainement et différemment, mais ils ne savent pas comment et c’est là que se situe notre utilité. Notre but, c’est de démontrer que c’est facile, positif : on peut trouver les ingrédients au supermarché, les recettes sont simples et pas chères. »
C’est en gardant ce message ludique, non contraignant et positif que le Jeudi Veggie, avec la participation de chacun, compte continuer à séduire. Etre végétarien sans être rébarbatif, c’est possible et c’est même tous les jeudis dans nos assiettes !
Charline Cauchie et Corentin Dayez