Depuis plus de 15 ans, fleurissent les titres honorifiques de communes du commerce équitable en Belgique. Plus de 200 communes font partie de la campagne en Flandres, et 52 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Etre une commune de commerce équitable : ça veut dire quoi ?
Pauline Grégoire
L’objectif de la campagne est de sensibiliser les acteurs et actrices locaux∙ales au commerce équitable et d’intégrer la thématique au sein des communes. L’objectif à long terme est de générer un changement de comportement de consommation et de production dans ces localités. Les communes qui s’engagent de façon active et participative pour le commerce équitable reçoivent le titre honorifique de « Commune du commerce équitable ». L’obtention du titre est un chemin collectif et participatif qui engage de multiples acteurs à tous les niveaux (élu∙e∙s, corps enseignant, corps commerçant…)
En Wallonie et à Bruxelles, la campagne CDCE est portée par Oxfam-Magasins du monde, Miel Maya Honing et Fairtrade Belgium, avec le soutien de la Direction générale de la Coopération du Développement.
Pour accéder au titre honorifique de commune du commerce équitable il faut remplir 6 critères. A noter que les critères ne sont pas éliminatoires ou obligatoires : chaque commune décide de travailler sur ces critères, au rythme et avec les moyens qu’elle souhaite. Alors, que se cache-t-il derrière une certification commune du commerce équitable ? Quels sont les défis que rencontrent les communes certifiées pour influencer sur les changements de consommation et la transition économique ? Quel levier le commerce équitable peut-il offrir pour y contribuer ?
Nous avons recueilli quelques témoignages d’élu∙e∙s et membres des équipes communales pour en savoir plus.
Remettre la question du commerce équitable à l’agenda politique
Selon Caroline Laroye, coordinatrice de la campagne CDCE « Il y a pour les communes un réel défi à maintenir et intégrer le commerce équitable dans l’agenda politique, et ce malgré les élections ou les changements de majorité. Les comités de pilotage peuvent parfois se sentir peu soutenus ou non pris en compte dans les affaires courantes de la commune alors que l’intégration du durable et de l’équitable dans les discussions devrait être automatique ».
Etre commune du commerce équitable c’est combattre les idées reçues. Parmi elles, le fait que privilégier le commerce équitable irait à l’encontre de la valorisation des produits locaux et durables. Si la question des circuits courts, de l’agriculture locale, et la tendance au repli sur soi en sortie de pandémie sont plutôt à l’ordre du jour politique en ce moment, elles ne devraient pas entrer en compétition avec le commerce équitable. Tout simplement car circuits courts, agriculture locale et durable et commerce équitable ne concernent ni les mêmes produits, ni les mêmes critères de savoir-faire ou d’approche. Elles sont plutôt complémentaires.
Dans notre dernière analyse sur la relocalisation alimentaire, nous montrions qu’il était impossible de tout relocaliser dans une optique d’autosuffisance : nous ne disposons pas des surfaces suffisantes de culture pour l’être. Plutôt que de relocalisation complète, il semble donc plus pertinent de réfléchir en termes de complémentarité et de partenariats entre différents territoires, et entre campagnes et zones urbaines, tout en maintenant des échanges avec le reste du monde. L’agroécologie permet également de répondre à un certain nombre d’enjeux liés à la diversification des cultures et la valorisation des potentiels des territoires, car, local ne veut pas nécessairement dire durable. En ce qui concerne le lien avec le commerce équitable, il est impossible selon certains auteurs de développer une économie locale et écologique en concurrence avec une économie ouverte pour les échanges de biens. C’est-à-dire que le commerce équitable est une réponse au commerce injuste et libéral. Même si on peut reprocher aux commerce équitable les émissions liées au transport international, celles-ci sont faibles comparativement à d’autres étapes telles que celle de la production. Et dans ce domaine, les pratiques équitables sont exemplaires puisqu’elles soutiennent, au travers de différents critères économiques, sociaux et environnementaux, des modes productions plus durables et résilients.
« Un de nos défis reste d’assurer une formation continue aux différents fonctionnaires sur le commerce équitable, et les outils pratiques qui existent. Nous faisons en sorte que des réflexes soient pris, notamment en matière d’alimentation et de textile », partage Caroline Lhoir de la commune de Woluwe Saint Pierre.
Un témoignage étayé par Marion Mélanie de la commune de Rixensart, qui explique qu’une fois la certification reçue, les défis restent de taille : « Continuer à mobiliser les acteurs, maintenir la dynamique du comité de pilotage, définir les indicateurs de performance et mesurer l’action… ».
Remettre le commerce équitable à l’agenda politique est donc une clé de réussite pour des communes qui souhaitent promouvoir le local et le durable en plus d’un titre honorifique lié à l’équitable. Il faut en effet garder en tête que toute notre économie, nos moyens de productions et nos réseaux sont interconnectés. Utilisons cette interdépendance à bon escient. Nos choix politiques locaux auront un impact ailleurs dans le monde, et sur la planète. Pour cela la théorie économique du donut peut être une bonne manière d’explorer comment repenser certaines politiques publiques afin de les orienter vers des impacts positifs à tous les niveaux.
Se mobiliser pour une loi de devoir de vigilance : garantir la transparence, le respect des droits sociaux et environnementaux sur tous nos produits
Actuellement en discussion au Parlement fédéral belge et au niveau de l’Union européenne, le devoir de vigilance est une des réponses à l’impunité des multinationales, aux pratiques d’achats injustes, aux violations de droits humains et aux exactions environnementales. Techniquement, cette loi, si son niveau d’ambition est élevé, pourrait contribuer à mettre fin à la concurrence déloyale en mettant face à leurs responsabilités toutes les entreprises, de tous les secteurs quelle que soit leur taille.
Si l’objectif parait utopique, le changement est en cours, et est même envisagé au niveau international (Nations Unies) par le biais du binding treaty qui contraindrait légalement les multinationales à analyser, réparer et atténuer les risques liés aux droits humains et à l’environnement sur leurs chaines d’approvisionnement.
Une loi comme celle-ci permettrait de renverser la charge de la preuve et de ne plus faire porter aux victimes, communautés, parties prenantes ou consommateurs/rices le poids de la vérification et de l’enquête sur le contenu, l’origine et les conditions de productions des produits que nous consommons.
Au niveau d’un territoire ou d’une commune, l’enjeux est aussi important, puisque cela pourra permettre la valorisation d’alternatives à l’économie conventionnelle, stimuler la création de nouveaux métiers et de savoir-faire, et de garantir une économie locale véritablement durable même quand celle-ci propose des produits ou biens de consommations provenant de l’étranger. Pour certaines implantations d’entreprises liées par exemple à l’accaparement de terres[1]« Colruyt accusée d’accaparer les terres agricoles au détriment des fermes familiales », RTBF, consulté le 31 août 2022, … Continue reading, aux risques chimiques[2]« Pollution en Flandre : l’entreprise 3M déverserait illégalement la substance toxique FBSA dans l’Escaut », RTBF, consulté le 31 août 2022, … Continue reading, ou aux risques d’exploitation[3]Timo Kollbrunner, « Shein, le fantôme de Liège », consulté le 31 août 2022, https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/vetements/shein-le-fantome-de-liege., ce devoir de vigilance pourra être un outil au service des communautés et des gouvernements locaux pour faire valoir leurs droits.
En outre, être certifié commune du commerce équitable permet déjà de se mettre en route vers le renforcement d’une économie locale, durable et des approvisionnements étrangers éthiques et équitables. Au-delà des changements légaux en cours, on peut donc se demander en quoi la certification commune du commerce équitable contribue à tisser des liens plus solides avec le tissu économique de sa commune ?
Vers une transition économique locale durable et équitable ?
Selon Caroline Laroye « Le secteur économique joue un rôle de fournisseur mais aussi de vitrine pour sensibiliser les acheteurs∙euses qu’ils∙elles soient publics ou privés. La commune, en étant certifiée et en respectant les critères, participe à soutenir l’ensemble de la production de richesse localisée sur le territoire, et à influencer et sensibiliser les citoyen∙ne∙s sur des enjeux sociaux et environnementaux au niveau local et international. »
Du coté de certaines communes avec un tissu économique réduit (commerces de base), « il faudrait une volonté de la part des quelques acteurs économiques, notamment les restaurants, pour pérenniser et renforcer l’impact de l’action » explique Tanguy Wera, de la commune de Stoumont. À Nivelles, Evelyne Vanpée propose « Je pense qu’avoir en permanence un « tableau-baromètre » par commune, renseignant les associations, les commerces, les écoles qui sont partenaires créerait une certaine émulation. Il faut aller les voir en direct pour leur expliquer l’enjeu et mettre en avant le fait qu’on donnerait une certaine publicité à leur engagement ! ». A Rixensart, si certains commerces et membres de l’Horeca se lancent dans l’aventure du commerce équitable, l’enjeu du dynamisme et de la mobilisation reste le même : « impliquer l’agent∙e communal∙e responsable de la relance économique, et tirer parti du changement de pratiques de consommation induit par la crise sanitaire (plus orienté vers le local et circuit court) » pourraient permettre de renforcer les initiatives communales autour du commerce équitable, selon Mélanie Marion.
Des bonnes pratiques pour nous inspirer
Donner du sens à nos communes et à notre consommation peut être plus créatif et rassembleur qu’on ne le croit, et certaines initiatives regorgent de bonnes idées et d’originalité !
A Stoumont, « nous remettons des paniers de produits équitables Oxfam à la place des coupes lors des compétitions sportives et nous en donnons comme cadeau de mariage de la part de la commune aux jeunes mariés ». Du coté de Rixensart, Mélanie Marion conseille : « organiser des projets créatifs et ludiques avec un public d’enfants est générateur de changements de comportements dans les familles. » La commune a organisé régulièrement depuis 2017, des pièces de théâtre, chorégraphies, spectacles de marionnettes, chansons et fresques avec des écoles et des associations locales pour donner vie aux valeurs du commerce équitable.
A Woluwe Saint Pierre, Caroline Lhoir recommande de « créer des synergies. Notre Centre culturel et le service Développement durable organisent par exemple des événements culturels tournés vers l’alimentation durable ou la question du textile. Il faut aussi ouvrir plus largement le comité de pilotage et relayer les initiatives citoyennes ».
Un dernier conseil de la commune de Rixensart : « fédérer autour de la semaine du commerce équitable et sensibiliser en mêlant plusieurs thématiques et activités : commerce équitable, patrimoine, mobilité douce, repas équitable peuvent donner un rallye pédestre ou à vélo, des balades gourmandes, un village équitable etc… »
Toutes les initiatives et informations de la campagne des communes du commerce équitable sont disponibles en ligne : https://www.cdce.be/ !
Notes