Introduction
Depuis l’effondrement de l’usine du Rana Plaza au Bangladesh le 24 avril 2013, beaucoup d’attention a été accordée à la compensation des victimes, à l’amélioration de la sécurité des bâtiments, aux conditions de travail et aux salaires dans le secteur de la confection textile. Le mouvement du commerce équitable a soutenu et continuera à soutenir ces demandes, à travers son plaidoyer et ses campagnes, ainsi qu’en travaillant avec le secteur privé et les gouvernements pour assurer que les ouvriers de la filière textile obtiennent un salaire vital et des conditions de travail décentes. Mais très peu d’attention publique a été donnée aux producteurs de coton, producteurs qui sont pourtant à l’origine d’une majorité de nos vêtements. Les 10 millions de producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest et centrale subissent les conséquences d’un système commercial injuste et d’énormes déséquilibres de pouvoir dans la filière du coton. Ils font aussi face à des contextes nationaux défavorables en Afrique de l’Ouest, ce qui rend difficile l’accès à un revenu de subsistance pour les producteurs et leurs travailleurs.
Mettre les producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest à l’agenda
En septembre 2015, les gouvernements mondiaux ont adopté les nouveaux Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment l’objectif 2 (mettre fin à la faim, atteindre la sécurité alimentaire et améliorer la nutrition, et promouvoir l’agriculture durable), l’objectif 8 (une croissance économique soutenue, inclusive et durable, le travail décent pour tous), l’objectif 12 (production et consommation durables). Et non des moindres, l’objectif 17 prévoit un partenariat global pour le développement durable, qui souligne le rôle important des partenariats à multiples parties prenantes et qui vise à « promouvoir un système commercial multilatéral universel, réglementé, ouvert, non discriminatoire et équitable sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce, notamment grâce à la tenue de négociations dans le cadre du Programme de Doha pour le développement » et « Accroître nettement les exportations des pays en développement, en particulier en vue de doubler la part des pays les moins avancés dans les exportations mondiales d’ici à 2020 ».
Ces objectifs ont directement trait au commerce équitable, un partenariat à multiples parties prenantes basé sur de meilleures pratiques et qui prend déjà en compte les différentes dimensions du développement durable. Parmi les nombreux critères, on peut citer par exemple : des conditions commerciales justes, l’accès accru aux marchés pour les producteurs marginalisés, des partenariats à long-terme, des pratiques agricoles durables[1. Fairtrade International. Octobre 2015. Les Objectifs de Développement Durable et le Commerce Équitable : le cas pour un partenariat.].
Tous ces objectifs sont également liés aux problèmes auxquels font face les petits producteurs de coton de l’Afrique de l’Ouest. Le coton illustre les connexions entre les différents aspects du développement durable. Ce que vont faire les gouvernements pour soutenir plus d’équité et de durabilité dans les chaînes d’approvisionnement de coton servira d’indicateur sur le niveau de volonté politique mise en œuvre pour atteindre les nouveaux Objectifs de Développement Durable des Nations unies.
Tendances sur le marché international du coton
La production du coton dans les pays du C4[2. Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad.] et au Sénégal a connu de nombreux hauts et bas. La production tend à la hausse, mais les échanges commerciaux sont en déclin, alors que les coûts de production et d’intrants montent en flèche. Les performances globales sont donc assez faibles.
Celles-ci sont aggravées par les politiques d’autres régions, telles les subventions publiques. En 2014/15, les subventions totales au secteur cotonnier étaient estimées à un volume record de 10,4 milliards USD, une hausse par rapport au record précédent de 6,5 milliards USD en 2013/14[3. International Cotton Advisory Committee. December 2015. Production and Trade Policies Affecting the Cotton Industry.]. Ces subventions (par exemple, pour les producteurs des Etats-Unis, de l’Union européenne et de Chine) conduisent à des prix anormalement bas sur les marchés mondiaux. Celai crée un contexte très inégal pour les producteurs d’Afrique de l’Ouest, comme documenté dans le rapport “The Great Cotton Stitch-up” de Fairtrade Foundation en 2010[4. Fairtrade Foundation. November 2010. The great cotton stitch-up.].
En parallèle, on assiste à une financiarisation et à une spéculation croissante des marchés du coton. Là où les marchés cotonniers étaient autrefois utilisés pour gérer le risque (i.e. sécuriser la production et les prix du coton), ils sont maintenant vus comme une source de profit pour des acteurs non-cotonniers et comme un refuge lorsque les bourses et investissements classiques offrent de faibles retours (i.e. comme domaine de spéculation avec de bons retours sur investissement).
Toutes ces pressions externes sapent la capacité des petits producteurs d’Afrique de l’Ouest à gagner un revenu viable à partir de la production et de la commercialisation de leur coton.
Peu de pouvoir pour les producteurs Ouest-africains
Il y a 10 millions de producteurs cotonniers en Afrique de l’Ouest et centrale. Ces producteurs n’ont ni les volumes de production, ni les capacités de transformation suffisantes pour influencer les marchés.
Par ailleurs, la demande pour une qualité spécifique de coton Ouest Africain n’existe pas, ce qui empêche de créer de bonnes conditions de négociations.
Les producteurs Ouest Africains n’ont pas non plus le soutien de secteurs cotonniers bien organisés (ex. financements, intrants, connaissances), tandis que leurs terres de production sont en déclin (ex. fertilité des sols, climat/eau), sans que les retours soient suffisants pour les améliorer.
Les producteurs restent piégés dans un type de production qui n’est pas toujours adapté à leurs besoins. Cela aggrave les problèmes tels que la dette, l’impact des pesticides sur la santé et les problèmes de fertilité des sols.
En outre, bien que leur participation dans la gouvernance du secteur se soit accrue, ils n’ont pas encore assez de pouvoir pour influencer la forme de production. Le pouvoir des producteurs Ouest Africains provient des unions de producteurs et de l’Association des producteurs du Coton Africains (AProCA, l’organisation représentative régionale). C’est au travers de ces organisations, représentatives d’une majorité de producteurs, que ces derniers peuvent influencer les groupements régionaux tels que l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ou l’Union africaine. Le rôle de plateformes telles que l’AProCA est donc clé pour gérer les relations avec ces institutions, comprendre et suivre les politiques et les marchés, et in fine faire un plaidoyer efficace pour soutenir les producteurs.
Malgré diverses réformes, les secteurs cotonniers de l’Afrique de l’Ouest restent fortement réglementés, avec une concurrence limitée par la loi[5. Delpeuch C., Vandeplas A. 2013. Revisiting the cotton problem : a comparative analysis of cotton reforms in sub-Saharan Africa. World Development Vol. 42, pp. 209–221.]. Les secteurs cotonniers dans les pays du C4 et au Sénégal sont structurés comme des monopoles ou des monopsones[6. Un monopsone est un marché sur lequel un seul demandeur se trouve face à un nombre important d’offreurs. C’est la situation symétrique à celle du monopole dans lequel un seul offreur fait face à de nombreux demandeurs.]. Bien que le contrôle par l’état ait diminué et que les producteurs participent davantage à la gouvernance du secteur, leur pouvoir reste faible. Les blocages entre les acteurs locaux et le marché constituent un obstacle majeur pour garantir des modes et moyens de vie durables aux petits producteurs de coton[7. BASIC. November 2014. Who´s got the power ? Tacking imbalances of power in supply chains. Rapport commissionné par le Fair Trade Advocacy Office, Plate-Forme Française du Commerce Equitable, Traidcraft and Fairtrade Deutschland.].
Le Fonds de Lissage du Burkina Faso
“L’Association fonds de lissage” a été établie au Burkina Faso en 2008 pour mitiger les effets de la volatilité des prix sur les producteurs et les compagnies cotonnières. Le Fonds fonctionne sur un principe de stabilisation et de solidarité vis-à-vis du secteur. Pour cela, il établit des surplus les bonnes années, surplus qui sont reversés aux différentes parties prenantes (sociétés cotonnières, producteurs) les mauvaises années. Les prix au producteur sont basés sur les prix côtés de deux années avant la saison courante et les estimations pour les deux saisons suivantes. Tout restant est payé aux agriculteurs. Le Fonds est géré par des banques. Bien qu’il soit trop tôt pour parler de la durabilité du fonds dans sa forme actuelle, c’est une idée qui vaut d’être l’objet d’attention de la part des décideurs politiques et qui pourrait être mise à l’échelle sur toute ou partie de l’Afrique de l’Ouest.
Le modèle qui perdure jusqu’à aujourd’hui est un modèle basé sur l’export, conçu pour assurer la qualité, la quantité, la consistance et la disponibilité du coton pour les marchés internationaux. C’est sur ce modèle que se basent encore les stratégies actuelles (la dépendance aux exportations devenant un facteur plus important). Il n’est pas possible d’identifier un modèle ‘“parfait”’ de gouvernance. Chaque pays producteur de coton a conçu un rôle différent pour l’état et le marché. Tous les systèmes nationaux ont des pours et des contres, liés aux situations locales. Mais en gros, les secteurs du Burkina Faso et du Sénégal semblent être ceux qui rencontrent le moins de problèmes. Le Fonds de Lissage du Burkina Faso (voir encadré) est un exemple de bonne pratique qui gagnerait à être répliqué dans les pays du C4 et au Sénégal.
Conclusion
Dans ce contexte difficile, le mouvement du commerce équitable, et plus particulièrement Oxfam-Magasins du Monde, peut avoir un rôle d’exemplarité à jouer vis-à-vis des autres acteurs, i.e. montrer qu’il est possible de produire du coton équitable de manière viable.
Plusieurs études indépendantes ont démontré les impacts positifs des outils du commerce équitable sur le terrain, notamment dans le coton[8. Aidenvironment. December 2015. Baseline Study of Fairtrade Cotton in West Africa. Report commissioned by Fairtrade International. Nelson V., Smith S. 2011.Fairtrade Cotton : assessing impact in Mali, Senegal, Cameroon and India. Ferrigno S., Monday P. 2014. The economic impact of sustainability standards in the cotton sector in Africa.]. La filière du coton équitable reste néanmoins très peu développée, et n’a en particulier pas produit encore suffisamment d’impact pour représenter un réel modèle à suivre.
L’une des raisons essentielle est qu’il n’y a pas assez de coton équitable utilisé par les marchés consommateurs, et par conséquent pas assez de ventes de textiles à base de coton équitable. À l’exception du Sénégal, le coton équitable n’est pas vu non plus comme un secteur d’intervention stratégique, mais concerne plutôt des projets pilotes isolés, financés par des bailleurs.
Un autre domaine dans lequel le secteur équitable peut intervenir est celui du plaidoyer politique, en accord avec la 2e partie de la définition officielle du commerce équitable : « Selon cette définition officielle, « les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel »[9. FLO – WFTO. January 2009. A charter of Fair Trade principles.].
L’étude du contexte politique et des recommandations politiques vis-à-vis des gouvernements Ouest Africains, de l’Union européenne (UE) et des pays du G7 feront l’objet d’un prochain travail de recherche.
Fair Trade Advocacy Office, AProCA, Max Havelaar France, Fairtrade International, World Fair Trade Organization, Oxfam-Magasins du Monde