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Oxfam-Magasins du monde

Prix et salaires équitables : une perspective européenne

Analyses
Prix et salaires équitables : une perspective européenne

Le paiement d’un prix ou d’un salaire équitable est au cœur de toutes les initiatives de commerce équitable. C’est une notion relativement facile à accepter et à soutenir, notamment par les bénévoles ou les consommateurs. Elle n’est par contre pas nécessairement toujours très claire. Que veulent dire exactement prix et salaires équitables ? Comment les mesure-t-on ? Sont-ils les mêmes partout dans le monde ? De nombreuses organisations explorent ces questions, en particulier Oxfam-Magasins du Monde (OMdm) au travers de son axe thématique ‘travail décent’. L’objectif de cette analyse est de contribuer au débat sur les prix et salaires équitables en présentant quelques éléments discutés au niveau européen, notamment au sein de la branche européenne de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO-Europe [[highslide](a;a;;;)
World Fair Trade Organisation
[/highslide]]) et de l’Association Européenne de commerce équitable (EFTA [[highslide](b;b;;;)
European Fair Trade Association
[/highslide]]).

Le prix équitable selon WFTO

Une première approche sur les notions de prix et salaires équitables est peut-être d’examiner la définition que fait WFTO du prix équitable. Organisation référence du secteur, elle regroupe en effet tous les acteurs de la filière intégrée (producteurs, transformateurs et distributeurs ayant le commerce équitable comme activité essentielle). Le paiement d’un prix équitable fait partie des 10 normes [[highslide](c;c;;;)
Normes complètes et détaillées sur www.wfto.com
[/highslide]] qu’une organisation de commerce équitable (OCE) doit selon elle respecter :

Un prix équitable est un prix convenu après dialogue et concertation, qui permet, selon les producteurs eux-mêmes, une juste rémunération (dans le contexte local), tout en étant soutenable par le marché. Ce prix couvre non seulement les coûts de production mais permet également une production socialement juste et respectueuse de l’environnement. Ce prix prend également en compte le principe d’égalité salariale entre hommes et femmes, pour un travail équivalent. Quand ils existent, des systèmes de tarification équitable sont utilisés comme minimum. Les organisations de Commerce Equitable assurent un paiement immédiat à leurs partenaires et, si possible, des préfinancements avant récolte ou production.

Plusieurs points peuvent déjà être notés dans ce principe :

  • Le fait qu’un prix équitable doit être calculé à partir des coûts de production, et non des prix du marché, souvent artificiellement bas et volatils.
  • Que ce calcul ne doit pas seulement intégrer les coûts de production mais également les coûts sociaux et environnementaux (‘internalisation des coûts’) ainsi que les aspects délais de paiement / préfinancement.
  • Qu’un prix équitable est un prix adapté aux circonstances locales.
  • Enfin et surtout, que ce prix doit être déterminé en concertation avec les producteurs eux-mêmes.

Pour surveiller l’implémentation de cette norme, WFTO demande à ses membres de remplir tous les 2 ans un rapport d’auto-évaluation (en anglais Self-Assessment Report – SAR). Les documents fournis avec ces rapports incluent le détail du calcul des marges, l’utilisation éventuelle des prix minimums FLO [[highslide](d;d;;;)
Fairtrade Labelling Organisation (affilié Max Havelaar en Belgique). Pour rappel, FLO est divisée en trois organismes :

  • FLO International définit les standards et les cahiers des charges par produit et accompagne les producteurs sur le terrain.
  • FLO-Cert assure la gestion du système de certification (contrôle du bon respect des critères auprès des organisations de producteurs, des importateurs et des industriels, agrément des acteurs économiques).
  • Les initiatives nationales comme Max Havelaar Belgium, qui ont pour principal objectif d’assurer les débouchés commerciaux.

[/highslide]], les procédures de négociation des prix, les délais de paiements, les fiches de salaire, les procédures de suivi des prix payés aux partenaires locaux.

Salaire vital : un calcul complexe

Malgré la référence de WFTO à une « rémunération juste », l’implémentation de prix équitables dans les filières de commerce équitable n’entraine pas toujours une rémunération adéquate. C’est là que le concept de salaire vital est utile. L’historien américain Lawrence Glickman le définit ainsi [[highslide](1;1;;;)
Cité dans Pollin R. 2008. « The economic logic and moral imperatives of living wages », in Pollin, R. et al., A measure of fairness: The economics of living wages and minimum wages in the United States, Cornell University Press, p. 14-34.
[/highslide]] :

un salaire minimum vital est un niveau de salaire qui offre au travailleur la possibilité de faire vivre sa famille, de se respecter soi-même et d’avoir tant les moyens que le temps de participer à la vie citoyenne de son pays.

Il s’agit donc d’un concept centré sur les droits humains et la qualité de vie plutôt que sur un prix ou un salaire fixe et universel. Concrètement, il se révèle bien au-dessus des salaires minimums et autres seuils de pauvreté le plus souvent utilisés. Au final, cette approche qualitative permet d’aborder la réalité de façon complexe et, idéalement, nuancée [[highslide](2;2;;;)
Zollman C. Décembre 2012. Agir ici pour le travail décent. Etude Oxfam-Magasins du monde.
[/highslide]]. Néanmoins, son calcul s’avère extrêmement difficile et sujet à interprétation, comme le montre la grande quantité de méthodologies existantes (SAI [[highslide](e;e;;;)
Social Accountability International 
[/highslide]], DAWS [[highslide](f;f;;;)
Dutch Association of World Shops
[/highslide]], Asia Floor Wage, ‘living wage calculator, etc.[[highslide](g;g;;;)
A noter également la collaboration de 3 systèmes de certification (Fairtrade International – FLO, Social Accountability International – SAI et GoodWeave – anciennement connu sous le nom RugMark) collaborent à un projet global visant à générer un ensemble de références de salaire vital.
[/highslide]]). Un principe de base commun à ces différentes méthodes est de calculer le coût moyen d’un panier alimentaire, sur base des régimes alimentaires locaux (la nourriture contenue dans ce panier devant être suffisamment nourrissante des points de vue nutritionnel et énergétique). Ce coût est multiplié par un facteur proportionnel aux besoins non alimentaires et par le nombre de personnes à charge, puis divisé par le nombre de personnes ayant un revenu dans le foyer. Problème, les résultats obtenus sont très variables, du fait notamment de la sensibilité aux hypothèses de base (par exemple sur la taille des foyers). D’autres méthodes existent par ailleurs, comme par exemple le Guide Minimum des salaires équitables, conçu par l’ONG américaine ‘Good World Solutions’, qui définit le salaire vital comme le salaire minimum + 10%.
A noter qu’un outil appelé ‘wages ladder’ (développé au sein du projet JO-IN, regroupant une large gamme de parties prenantes du secteur du droit du travail), permet de comparer n’importe quel salaire avec différents standards [[highslide](h;h;;;)
Voir notamment sur le site www.fairwear.org.
[/highslide]].

Un contexte difficile

Des éléments de contexte général contribuent à complexifier la mise en place de prix / salaires équitables ou vitaux dans les chaines de valeur :

  • Faibles salaires légaux dans la majorité des secteurs (ex. textiles) et pays concernés (ex. Bangladesh), liés à la faible gouvernance de ces derniers ainsi qu’à une forte mise en concurrence par les sociétés transnationales dans les chaines d’approvisionnement mondiales.
  • Très grande variabilité des niveaux de vie et par conséquent des salaires minimums légaux, et ce, au sein même de certains Etats [[highslide](i;i;;;)C’est le cas par exemple en Inde, où les minimums légaux varient grandement d’un Etat à l’autre.[/highslide]].
  • Prolifération du travail informel.
  • Consommateurs habitués à des prix extrêmement bas, ne reflétant pas les coûts réels des produits.
  • Travail de nature sporadique et complémentaire à d’autres activités rémunératrices dans les secteurs tels que l’artisanat (en plus du problème de la complexité et de la diversité des produits).
  • Impact potentiellement très fort du salaire équitable / vital sur le prix final du produit (surtout pour les produits artisanaux, plus intensifs en main d’œuvre), ce qui peut diminuer de manière significative les volumes d’achat et la viabilité d’une organisation.
  • Risque de dépendance, un prix trop élevé pouvant lier une entreprise à un seul marché et décourager l’innovation.
  • Risques d’exclusion des travailleurs informels les plus pauvres.

Recherche EFTA

De nombreuses études indiquent que les OCE sont relativement ambitieuses et transparentes en matière de prix et salaires équitables. Exemple : elles paient, le plus souvent, au moins les salaires minimums légaux. Les marges de progrès restent néanmoins considérables, ces salaires légaux étant encore très loin des standards de salaire vital. Les OCE ne sont par ailleurs pas seules, de nombreuses marques ‘mainstream’ (en particulier les membres de l’Ethical Trading Initiative) ayant fait sous la pression de la société civile des efforts significatifs, notamment dans certaines usines textiles au Bangladesh, en Chine ou en Inde (mais pas dans le secteur informel).
Soucieuse de se différencier et d’améliorer les performances de ses membres, l’EFTA, organisation composée de 10 grands importateurs de commerce équitable en Europe, finance depuis près d’un an un travail de recherche [[highslide](3;3;;;)
Williams P. December 2012. Fair Prices & Fair Wages. How Fair Trade can improve impact on small scale producers. EFTA managers meeting.
[/highslide]] sur les prix et les salaires équitables (en impliquant dans la discussion FLO et WFTO). Les objectifs de cette recherche sont multiples et représentatifs de la variété de défis à relever :

  • Elaboration d’une définition des prix et salaires équitables réaliste, consensuelle et applicable à la majorité de la chaîne d’approvisionnement.
  • Positionnement sur la possibilité de payer des prix et salaires équitables et sur les alternatives en cas de difficultés trop importantes.
  • Identification du meilleur instrument de calcul du salaire vital dans les pays ou régions du Sud (facile à comprendre, à mettre en œuvre et à gérer) et propositions sur la manière d’administrer un tel système.
  • Identification des freins à la mise en place de prix et salaires équitables dans le secteur et proposition de solutions alternatives.
  • Sensibilisation à la problématique et lancement d’un débat au sein du mouvement du commerce équitable.

Premières recommandations

Si cette recherche n’est pas finalisée, son auteur Peter Williams a déjà présenté quelques recommandations initiales aux membres EFTA (à débattre et à confirmer pendant la deuxième phase de la recherche) :

  • Collaborer pour établir des standards de salaire vital, en se basant sur les méthodes de calcul utilisées par d’autres organisations et en favorisant celles établies en consultation avec les travailleurs (ex. Asia Floor Wage Alliance).
  • S’assurer que les travailleurs et artisans sont systématiquement consultés. Convenir avec eux de rémunérations ou de prix équitables, sur base des standards susmentionnés. Ils peuvent être inférieurs mais uniquement dans une optique de création d’emplois durables pour les travailleurs et les producteurs.
  • Développer et implémenter des standards intermédiaires entre salaires minimums et salaires vitaux (objectif de mesure du progrès vers un salaire vital et de l’impact du commerce équitable).
  • Vérifier que les prix payés aux producteurs ou groupements de producteurs se traduisent par des salaires ou des prix justes.
  • Renforcer les capacités des producteurs et artisans, en particulier dans les régions où les salaires sont les plus bas :
    • En matière de productivité et de qualité des produits.
    • En termes de compétences pour établir les coûts et la tarification, afin d’améliorer leurs capacités à négocier avec les acteurs situés en aval de la chaîne de valeur.
  • Etre transparents, afin de démontrer que les termes de l’échange permettent le paiement de salaires et de prix équitables et pour promouvoir un partage équitable des richesses tout au long de la chaîne de valeur.

Selon P. Williams, l’application de ces différentes mesures par les OCE européennes serait une

déclaration forte et crédible, montrant qu’elles sont capables de payer aux organisations de producteurs un prix permettant aux producteurs de gagner un salaire équitable, au-dessus du salaire minimum, et convenu de concert entre producteurs et travailleurs.

Toujours selon le chercheur,

la mise en place d’un tel plan renforcerait de façon durable les moyens de subsistance des producteurs, afin de répondre aux besoins fondamentaux de leurs familles et permettre des dépenses discrétionnaires.

Un débat au niveau européen

La conférence biannuelle de WFTO-Europe en octobre dernier a permis aux différents membres présents de réfléchir à ces recommandations ainsi qu’à leurs propres pratiques en matière de prix et salaires équitables (exercice également répété dans les autres conférences régionales de WFTO). L’engagement et l’envie de ‘faire équitable’ étaient évidents, mais  les membres ont pu constater que ces thématiques restaient peu connues et qu’il restait une marge très importante entre cette ‘envie de faire mieux’ et la réalité. Pris par le travail quotidien de l’importation, de la vente, de la sensibilisation ou encore du plaidoyer, les acteurs du secteur délaissent souvent une activité fondamentale : s’assurer des moyens de subsistance pour les populations les plus marginalisées du Sud. Face à ce constat, P. Williams recommande de « faire une distinction entre l’aspiration à un salaire vital relativement élevé et un salaire équitable au-dessus des minimums légaux », ce dernier devant être « modéré par la nécessité de ne pas endommager le commerce pourvoyeur d’emplois ». Selon lui, une telle reconnaissance « peut être plus réaliste et acceptable, notamment dans le cadre d’un processus de développement ». Les discussions vont continuer au sein du groupe monitoring d’EFTA, avant la prochaine conférence WFTO au Brésil en mai 2013. Dans tous les cas, l’inaction n’est pas une option. Les OCE doivent se différencier en garantissant toujours une valeur ajoutée pour les conditions de vie et de travail des producteurs et artisans. Il en va de la crédibilité de l’ensemble du secteur.
Natália Leal
Coordinatrice WFTO-Europe
Patrick Veillard
Service Positionnement – Expertise – Partenariat (PEP’s)