Récits du "monde d'après" : faire entrer le soin dans les rapports économiques et politiques
Une approche relationnelle par l’artisanat
Étude – Novembre 2020
Introduction
La crise sanitaire globale de 2020 a révélé combien nous sommes les habitants d’un monde déboussolé. Les repères qui traçaient jusque-là nos cartes du monde se sont ébranlés instantanément et simultanément aux quatre coins du monde. Quel que soit le lieu où nous habitons, nos vies humaines se sont rencontrées de manière inédite dans un destin commun : la suspension d’activités « non essentielles » à la vie, le confinement. Les distinctions entre Nord et Sud, Est et Ouest s’en retrouvent brouillées, au point que le Nord n’apparaît plus vraiment comme une destination à suivre, puisque l’expérience de la crise est, cette fois-ci, globale.
La crise systémique engendrée par la pandémie de Coronavirus aura ainsi représenté le scenario le plus tangible pour figurer les évolutions futures de nos modes de vie à l’heure de l’Anthropocène, caractérisé par une précarité grandissante des écosystèmes.
Elle aura également révélé une crise des récits dans la fabrique d’un devenir collectif. Imaginer et faire le récit d’un « monde d’après » est apparu comme un instinct de survie, qui s’est manifesté par une « poussée de fièvre » narrative dans les discours officiels et non officiels[1]‘est ce que suggère Christian Salmon, écrivain et éditorialiste à Mediapart, dans son article « Coronarration ou les paroles gelées » publié le 03 avril 2020 sur … Continue reading. Une profusion de textes d’opinion, chroniques, analyses et autres lettres ou journaux de confinement[2]Un grand nombre de médias (narrateurs « officiels ») ont diffusé, durant la période de confinement, des lettres et carnets d’auteurs et autrices connues. Voir, entre autresnombreux … Continue reading se sont arraché l’audience sur la toile, tous domaines de connaissance confondus, pour tenter de démêler le présent qui nous échappe. Des appels à témoigner, écrire et dessiner[3]Voir par exemple l’appel à textes inspirés de l’écoféminisme « Dreaming the Dark » sur le thème « Demain le monde après la pandémie », et assorti d’une série de … Continue reading, des invitations à organiser « un gigantesque Décaméron virtuel », ont été lancés pour imaginer un monde nouveau.[4]En mars 2020 la revue culturelle colombienne Arcadia dressait une liste de livres « pour aider à penser (et passer) la crise » … Continue reading
Certes, pour fabriquer un nouveau monde, « peut-être faut-il en avoir perdu un, ou être soi-même perdu », comme le suggère Ursula Le Guin[5]Ursula Le Guin (1981), Faire des mondes, publié dans l’ouvrage « Danser au bord du monde », aux Editions de L’Eclat, 2020, pp. 67-68., et peut-être cette crise représentet- elle notre « dernière chance »[6]En référence a l’interview de Olivier De Schutter diffusée dans le magazine Alteréchos le 15 avril 2020 : https://www.alterechos.be/cette-crise-est-vraiment-notre-dernierechance/ de faire entendre d’autres histoires du monde jusque-là étouffées, et d’en écrire de nouvelles plus solidaires socialement, et avec toutes les formes de vie.
Cependant, l’humain en quête de récit lance aussi « un sérieux défi narratif, qui ne peut pas être opportuniste »,[7]Christian Salmon, Op. Cit. au risque d’aggraver « l’inflation » du discours.
Prenant en considération ce défi, comment imaginer et raconter le monde « d’après » la crise de 2020 ? Sur quelles bases ? Cette étude propose d’analyser, en première partie, combien la crise des récits du monde est liée à celle de nos modes de vie, et l’importance de placer le soin et l’imagination au coeur des projets politiques et économiques ; pour ensuite s’intéresser singulièrement, en deuxième partie, aux modes d’habiter, de penser et de faire le monde inspiré par l’artisanat, pouvant stimuler la construction de nouveaux récits sociaux et sociétaux désirables et vivables durablement.
Notes