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Résurgence du conflit au Kivu

Analyses
Résurgence du conflit au Kivu

La guerre en République démocratique du Congo (RDC) qui, de 1998 à 2002, impliqua plusieurs pays africains et une dizaine de groupes armés, et dont on estime qu’elle a coûté la vie à 5,4 millions de personnes, s’est achevée par la signature d’un accord de paix en 2002. Entre-temps, d’autres accords de paix ont été conclus, deux élections nationales ont été organisées et, depuis dix ans déjà, la deuxième plus importante mission de maintien de la paix au monde est présente dans le pays.
Malheureusement, des millions de Congolais n’ont connu qu’un progrès très limité et une paix toute relative. La violence fait toujours rage dans certaines parties des provinces de l’est et du nord du pays, dont le Kivu. La situation s’est en outre fortement détériorée depuis la mutinerie qui a eu lieu au sein de l’armée fin avril dernier. La situation actuelle est la plus grave depuis de nombreuses années.

Quelle est la situation actuelle dans l’Est de la RDC ?

En avril dernier, plusieurs anciens membres du groupe armé « Congrès National pour la Défense du Peuple » (CNDP), qui avait été intégré dans l’armée nationale ( la FARDC ) en 2009, se sont rebellés sous l’impulsion de leur commandant Bosco Ntanganda – ce dernier fait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par le Cour pénale internationale !
Le 6 mai 2012 les rebelles ont annoncé la création d’une nouvelle milice armée baptisée « M23 », à la tête de laquelle se trouve le colonel Sultani Makenga. Le nom de cette milice fait référence à l’accord de paix du 23 mars 2009 entre le CNDP et les autorités congolaises, dont le M23 exige l’entière mise en œuvre.
Une conséquence importante de cette mutinerie est le retrait de l’armée congolaise de certaines zones du Kivu pour pouvoir lutter contre le « M23 ». D’autres groupes armés dans l’Est congolais comme les FDLR, Raia Mutomboki ou Mai Mai Cheka profitent du vide du pouvoir pour se livrer une lutte acharnée pour le contrôle de ces territoires laissés sans défense.
Cette mutinerie, les activités croissantes des groupes armés et la perte de sécurité qui en résulte constituent une des évolutions les plus inquiétantes de ces trois dernières années en RDC.

Des défis structurels

La crise actuelle au Kivu est la dernière d’une longue série de situations d’urgences qui ont touché cette région particulièrement fragile, mettant à mal la capacité de la population à faire face à ces crises cycliques. Pour l’heure, les réponses apportées à ces situations d’urgences chroniques en RDC n’ont été que partielles. Et elle n’ont bien souvent eu que très peu de résultats parce qu’elles ont été imposées d’en haut et ne tiennent pas compte des opinions et solutions locales. Or, ce n’est qu’en s’attaquant aux causes profondes des conflits, de la marginalisation et de la pauvreté qu’une paix durable pourra être conclue en RDC.
Il y a des raisons structurelles de nature politiques et économiques au conflit et à l’insécurité dans le pays. La RDC possède d’importantes ressources naturelles dont beaucoup de gisements miniers à l’Est. Mais, ces mines sont souvent plus une source d’insécurité que de prospérité pour le pays parce que, comme le gouvernement, différents mouvements rebelles et des groupes armés se disputent leurs contrôles et profits. Cette situation relève de défis structurels, qui nécessitent inévitablement des réponses politiques.
Des opérations de maintien de la paix internationales ont apportées au fil des ans une protection aux communautés vulnérables. Mais pour un véritable changement en RDC, le maintien de la paix doit aller de pair avec un engagement politique régional et national sérieux, et une augmentation de l’aide humanitaire et de développement. Pour y arriver, l’écoute et le renforcement des capacités des hommes et des femmes les plus touchées par le conflit est indispensable.
Le gouvernement congolais et la communauté internationale mènent actuellement des programmes de « stabilisation » : le plan national de stabilisation et de reconstruction (STAREC) du gouvernement et la stratégie internationale de soutien à la stabilisation et la sécurité (ISSSS).
Toutefois, il n’existe pas de vision commune quant aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs communs des ces 2 stratégies parallèles, dont notamment : i) le renforcement de la sécurité ; ii) le rétablissement de l’autorité de l’État ; et iii) le soutien au retour et à la réintégration des réfugiés et des personnes déplacées internes (PDI) et le soutien à la relance socio-économique.
Sur le terrain, ces deux programmes de stabilisation ont engendré peu de résultats dans l’est de la RDC, pour ce qui est de leurs trois buts principaux :

  • La sécurité reste précaire et s’est encore détériorée dans de nombreuses zones en 2011, puis de manière encore plus significative en 2012. Les programmes de stabilisation ne sont pas parvenus à des améliorations tangibles avec les groupes armés. Les opérations militaires à leur encontre n’ont pas été décisives et n’ont souvent fait qu’empirer les souffrances humaines. Les programmes de stabilisation n’ont pas résolu les problèmes de cohésion et de rémunération au sein de l’armée, ni les abus de ces membres, dont le comportement varie énormément d’une zone à l’autre. À défaut d’améliorations durables en matière de sécurité, les avancées sur les autres objectifs restent inévitablement limitées.
  • L’autorité de l’État est encore quasi inexistante dans de nombreuses régions, et les efforts pour la restaurer ont surtout été consacrés aux infrastructures plutôt qu’à la gouvernance. La rémunération appropriée des forces de sécurité de l’État reste largement problématique et ce n’est pas un hasard si les cas d’extorsion et de racket des civils se multiplient. Selon les dernières informations disponibles, datant de mi-2011, 55 % des policiers déployés le long des axes routiers identifiés comme prioritaires par l’ISSSS dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu n’ont pas reçu de salaire de l’État. Les programmes de stabilisation soutenus au niveau international ont construit des postes de police, des prisons et des tribunaux, mais le gouvernement a tardé à y envoyer des agents ou à rémunérer ceux déjà en place. Ces programmes n’ont pas systématiquement soutenu les structures locales qui répondent déjà aux besoins de la communauté et pourraient grandement contribuer à demander aux autorités de l’État, qui ont souvent tendance à abuser de leur position, de rendre des comptes.
  • Le retour, la réintégration des réfugiés et des personnes déplacées internes (PDI) et la relance économique (RRR), s’ils sont mal gérés, pourraient remettre le feu aux poudres. Les programmes de stabilisation n’ont pas beaucoup progressé sur cet objectif ni résolu les problèmes liés aux déplacements, qui s’accentuent. Une démarche positive a été entreprise en se concentrant sur les projets locaux pour soutenir la prestation de services de base, la relance économique et la résolution des conflits par le biais d’interventions tenant de plus en plus compte des situations de conflit. Mais la capacité de ces programmes demeure limitée en l’absence de sécurité et d’un État légitime et fonctionnel. Dans un contexte d’instabilité constante, les multiples besoins dans une même zone exigent simultanément différents types d’aide, qu’il convient de coordonner étroitement. Plusieurs obstacles existent à une coordination véritablement efficace.

Des investissements importants doivent avoir lieu dans les trois domaines susmentionnés. Afin de garantir l’efficacité des programmes, les problèmes sous-jacents entre les communautés, notamment en matière d’utilisation des terres et d’autres ressources, doivent être résolus par le biais d’action de consolidation de la paix au niveau local, soutenues par les niveaux politique local et national. En outre, des élections provinciales et locales libres et justes doivent être préparées pour résoudre une situation dans laquelle la population n’a que pratiquement rien à dire concernant les décisions qui les concernent directement.

Situation actuelle et future

Depuis le début de l’année, près d’un demi-million de personnes ont été déplacées. La RDC compte aujourd’hui près de 2,2 millions de déplacés internes, le chiffre le plus élevé depuis 2009.
Baisser les bras en RDC condamnerait des millions de Congolais à vivre en permanence dans la violence et la pauvreté. Cela laisserait également libre cours à une instabilité dangereuse, en plein cœur du continent africain, qui représente une menace permanente pour les pays frontaliers impliqués ou touchés, à un moment ou un autre de leur histoire, par la violence dans l’Est de la RDC.
L’échec de la stabilisation en RDC n’est pas envisageable. Les bailleurs de fonds internationaux doivent réussir et encourager le gouvernement congolais à réussir. Ce dialogue ne sera certainement pas facile, mais il est indispensable car le coût de l’échec serait infiniment plus lourd à porter.
Le gouvernement congolais doit montrer l’exemple en procédant à des réformes politiques et à la restructuration de ses forces armées, mais une solution durable nécessite un soutien extérieur et la reconnaissance de l’aspect régional de cette crise. Les bailleurs de fonds doivent renforcer et mieux coordonner leurs efforts pour réformer l’armée, et augmenter leurs contributions afin de permettre à la société civile congolaise de demander des comptes à son gouvernement.
Nombre d’accords régionaux conclus au cours de la dernière décennie n’ont pas été mis en œuvre. Par exemple, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), composé de 11 pays de la région, donne priorité à la paix et la stabilité dans l’Est de la RDC. L’Accord sur la Sécurité, la Stabilité et le Développement dans la Région des Grands Lacs de la CIRGL contient entre autre un engagement de ces 11 pays membres à coopérer à tous les niveaux en vue du désarmement et du démantèlement groupes rebelles armés existants. L’Accord est également doté d’un Protocole sur la protection et l’assistance aux déplacés. Les gouvernements de la région doivent travailler ensemble pour mettre en œuvre cet Accord et ses Protocoles. La pression internationale doit augmenter afin d’assurer que les accords régionaux accordent la priorité à la protection des civils, la coopération entre les États et la résolution pacifique des litiges. Ces accords doivent être conclus de façon transparente et finalement mis en œuvre sur le terrain afin de garantir une véritable stabilité à la population.
Caroline Celis & Liesbeth Goossens
Pour en savoir plus sur la crise actuelle et la réponse fournie par Oxfam et ses partenaires