Partout dans le monde, au Nord comme au Sud, nombreux sont les travailleurs qui ne perçoivent pas un salaire leur permettant de vivre dignement. Certains se tuent à la tâche pour que d’autres bénéficient des prix les plus bas. Une des causes de cette situation réside dans les dérives du commerce international tel qu’il est pratiqué actuellement[[highslide](1;1;;;)
Behets, E., “Le commerce équitable au service du droit des travailleurs”, Oxfam, 2014.
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Une alternative à ce commerce injuste est le mouvement du commerce équitable. La notion de prix juste payé aux petits producteurs est au cœur de l’action des organisations de commerce équitable (OCE). Mais un prix « juste » signifie-t-il que les petits producteurs perçoivent un salaire dit « vital » ? Ce n’est pas toujours aussi simple. Les stratégies adoptées à cet égard par les associations de commerce équitable sont assez variables[[highslide](2;2;;;)
Leal, N., Veillard, P., “Prix et salaires équitables: une perspective Européenne”, 22 février 2013 (page consultée le 2 mars 2014).
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Pourquoi une telle variabilité ? Est-ce difficile de demander un salaire qui permette à chaque individu d’avoir des conditions d’existence convenables ? Qu’est-ce qu’un salaire vital ? Et quelles initiatives ont été entreprises pour améliorer la position du secteur équitable sur la question ?
L’objectif de cette analyse est d’expliquer d’un côté les difficultés d’offrir une rémunération égale au minimum vital dans le commerce équitable et d’un autre côté, les initiatives mises en place par certains organismes afin de faire évoluer le cadre.
Après un aperçu du contexte global, nous verrons que la variété des situations provient en grande partie de la difficulté à définir ce qu’on entend par un « salaire vital ». Ensuite, nous examinerons les obstacles ou risques qui ralentissent la mise en œuvre d’un salaire vital pour tous les travailleurs. De ces difficultés a émergé le concept de salaire équitable. Cette notion sera définie dans la seconde partie de cette analyse puis comparée à la notion de salaire vital. Nous examinons finalement les initiatives émanant de certaines organisations de commerce équitable, telles que l’European Fair Trade Association (EFTA), Fairtrade International (FLO),… pour une plus grande cohérence entre les OCE sur la question du salaire décent.
A) Situation
Le commerce équitable est né au début des années 60’, en réaction au commerce international dont les règles étaient considérées comme injustes, favorisant certains acteurs au détriment d’autres. Même si ses formes sont aujourd’hui très variables, il est caractérisé, de manière générale, par une forte valeur ajoutée sociale et environnementale[[highslide](3;3;;;)
Oxfam-Magasins du monde, « Comprendre le commerce équitable », p.3.
[/highslide]]. Ainsi, au niveau social, un des principaux critères de base du commerce équitable est le fait d’assurer des conditions de travail décentes aux petits producteurs et aux travailleurs, sur base des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Ainsi, la plupart des labels équitables (ex. World Fair Trade Organization) garantissent aux petits producteurs du sud la liberté syndicale, le droit à l’organisation et à la négociation collective, l’abolition du travail forcé et des enfants, la lutte contre les discriminations, ou encore divers bénéfices sociaux complémentaires, notamment en matière de protection sociale (ex. congés maternité, assurance santé , etc.)[[highslide](4;4;;;)
Oxfam-Magasins du monde, « Comprendre le travail décent », 2013, p.6
[/highslide]]. Ce type de mesures permet de garantir aux producteurs une certaine stabilité qui n’est que rarement présente dans les filières commerciales traditionnelles. Mais qui dit travail décent, dit aussi salaire décent. C’est là où les choses se compliquent un peu. Les organisations de commerce équitable (OCE) font face à plusieurs difficultés dans la mise en place du principe d’octroi d’un salaire dit vital. C’est la raison pour laquelle, au jour d’aujourd’hui, la rémunération d’un grand nombre de travailleurs de la filière de commerce équitable n’atteint pas ce salaire vital. Bien que les OCE paient le plus souvent au minimum l’équivalent du salaire minimum légal[[highslide](5;5;;;)
Zollman, C., “Agir ici pour le travail décent”, Oxfam-Magasins du monde, février 2013
[/highslide]], celui-ci peut s’avérer insuffisant pour mener une vie digne. Mais pourquoi est-ce si difficile de payer un salaire vital ?
B) Obstacles au salaire vital
Le premier obstacle est l’absence de définition officielle qui soit acceptée par tous. Actuellement, il n’existe pas de méthodologie universellement reconnue pour le calcul du salaire vital, ce qui permet à chaque acteur d’utiliser ce terme de manière relativement libre. Il existe deux visions distinctes de ce que la notion de salaire vital signifie :
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH – Art 23.3) définit un salaire minimum vital comme[[highslide](6;6;;;)
Conventions 95 et 131 de l’OIT, Recommandations 131 et 135 de l’OIT et Article 23 de la déclaration universelle des droits de l’Homme
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une rémunération gagnée par un travailleur en une durée normale de travail, qui couvre les besoins essentiels du travailleur et de sa famille (se loger, se nourrir, se vêtir se soigner, accéder à l’éducation) et lui procure un revenu discrétionnaire qu’il peut éventuellement épargner.
Un revenu discrétionnaire est une partie du salaire qui peut être consacrée à des dépenses qui, dans sa classe sociale, ne sont pas considérées comme essentielles[[highslide](7;7;;;)
Academie des sciences commerciales, « définition revenu discretionnaire », (page consultée le 22 octobre 2013)
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Dans une optique assez différente, d’autres acteurs parmi lesquels des multinationales[[highslide](8;8;;;)
Par exemple, Starbucks Coffee Company affirme que, selon eux, : Fair wages are necessary to meet the basic needs of employees. De plus, dans beaucoup de pays, les gouvernements ont établi des salaires minimums qui sont loin de ce que de nombreuses institutions, ONG, … estiment être un salaire décent. (Cf: Ethical trading Initiative, “A living wage for workers” (page consultée le 20 mars 2014)).
[/highslide]] et des gouvernements, ont plutôt tendance à considérer le salaire vital comme une rémunération gagnée par un travailleur lui permettant de couvrir ses besoins essentiels. Deux notions ne sont donc pas reprises ici par ces acteurs: le fait que le salaire vital doive servir à couvrir les besoins d’une famille (et non d’un individu uniquement) et de la prise en compte ou non d’un revenu discrétionnaire.
Prenons l’exemple d’une ouvrière dans l’industrie textile dont le mari est malade, qui a deux enfants et qui a contracté un emprunt il y a cinq ans. Sans un salaire couvrant les besoins vitaux de tous les membres, il est impossible pour cette famille de survivre. De plus, sans un revenu discrétionnaire, il est également impossible pour cette ouvrière de rembourser son emprunt et de payer les médicaments de son mari.
La définition de la DUDH couvre donc un ensemble plus large des droits des travailleurs. Néanmoins, son application est plus complexe à transformer en une mesure opérationnelle car sa mesure ne se résume pas à un indicateur mathématique[[highslide](9;9;;;)
Boltvinik P., « El metodo de Medicion Integrada de la Pobreza. Una propuesta para su desarollo (the integrated poverty measurement method: a proposal for its development) », Comercio Exterior, Vol. 42, n°4, April 1992, pp.354-365.
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Ensuite, la grande variabilité des niveaux de vie, entre pays et même au sein d’un pays, signifie qu’il ne peut pas y avoir un salaire vital universel, mais uniquement des calculs spécifiques par pays, voire par régions[[highslide](10;10;;;)
Leal, N., Veillard, P., op.cit.
[/highslide]]. En Inde par exemple, les inégalités régionales sont notables, par exemple entre l’état d’Himachal Pradesh, où seulement 2% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et l’état attenant d’Uttar Pradesh, où 25% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Le troisième obstacle (et l’un des plus importants) concerne l’impact de l’augmentation de salaire sur le prix final du produit[[highslide](11;11;;;)
Williams, P., « Fair Prices & Fair Wages. How Fair Trade can improve impact on small scale producers », Efta managers meeting, Octobre 2012.
[/highslide]]. C’est l’argument avancé par beaucoup d’OCE (asiatique notamment) dans les négociations au sein de la WFTO, pour ne pas avancer vers un salaire vital, ou du moins, de le faire très prudemment. En effet, les consommateurs étant aujourd’hui habitués à des prix très bas et ne souhaitant souvent pas payer une même pièce plus cher, beaucoup d’OCE craignent que l’application d’un salaire vital mette en danger la viabilité des activités de commerce équitable exercées par des petits producteurs/entrepreneurs.
L’une des conséquences de cette augmentation de prix est potentiellement la perte de marchés conventionnels et donc l’accroissement de la dépendance des producteurs/entrepreneurs envers les importateurs de commerce équitable[[highslide](12;12;;;)
Leal, N., Veillard, P., op.cit.
[/highslide]]. Dépendre d’un client, aussi équitable soit-il, n’est jamais une bonne solution et est source d’instabilité de l’activité.
Enfin, l’exclusion des travailleurs effectuant leur travail dans l’économie informelle est également un phénomène à prendre en considération dans cette réflexion pour un salaire vital étant donné qu’un salaire vital négocié serait applicable pour les travailleurs de l’économie formelle mais ne serait en aucun cas une obligation au sein du secteur informel non contrôlé par l’Etat. A contrario, le commerce équitable, en offrant une plus grande stabilité ainsi qu’un cadre réglementaire à des activités souvent caractérisées par une grande informalité, a l’avantage d’englober l’ensemble de l’économie sans exclure les travailleurs du secteur informel.
C) Salaires équitables
Au vu de ces difficultés, les OCE ont décidé de s’orienter vers l’application d’un salaire équitable plutôt que d’un salaire vital. Comment définir dès lors un salaire équitable ?
Premièrement, un salaire équitable est un salaire qui est plus élevé que le salaire existant/minimum et qui tend vers le salaire vital. Le salaire équitable serait donc une étape qui permettrait, in fine, d’arriver au salaire vital. Peter Williams, consultant indépendant expert dans les domaines du commerce éthique et du développement, affirme dans une étude réalisée pour l’EFTA (une organisation regroupant dix importateurs reconnus de commerce équitable en Europe), qu’il est essentiel de bien distinguer la notion de salaire vital de celle de salaire équitable: ce dernier est au-dessus des salaires minimum légaux mais n’atteint pas le niveau d’un salaire vital car il est tempéré par le besoin essentiel de ne pas détériorer une activité créatrice d’emplois[[highslide](13;13;;;)
Williams, P., op.cit.
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Cette étude indique par ailleurs que la mise en œuvre d’un salaire équitable correspondant au salaire minimum légal majoré de 10% serait réalisable, et ce, sans compromettre la viabilité des petites activités productrices et en renforçant la crédibilité du mouvement de commerce équitable.
D) Initiatives entreprises par les acteurs du commerce équitable
Face à l’intensification des préoccupations liées au salaire vital, FLO, l’un des principaux acteurs du secteur[[highslide](14;14;;;)
Fairtrade International, « Who we are » (page consultée le 01 mars 2014)
[/highslide]]), a décidé de mettre en place une nouvelle stratégie concernant les droits des travailleurs au sein de sa filière labellisée[[highslide](15;15;;;)
Une filière labellisée contrôlée via un système de certification, permettant ensuite d’apposer un label sur les produits. Voir : World Fair Trade Organization et Fairtrade Labelling Organizations International , « Charte des principes du commerce équitable », Janvier 2009 (page consultée le 25 mars 2014).
[/highslide]]. Plusieurs scandales dans les médias, suite notamment à des enquêtes sur les conditions de travail dans les plantations certifiées Fairtrade, l’ont poussé vers cette révision de ses critères[[highslide](16;16;;;)
On peut citer l’exemple de violations des droits du travail dans des plantations de sucre aux îles Fidji.
[/highslide]]. L’une des principales avancées de la nouvelle stratégie est le renforcement des capacités de négociation collective des travailleurs. Ils devront entre autres avoir la possibilité, de manière systématique, de créer des syndicats et de négocier des augmentations salariales si nécessaire.
Surtout, FLO a introduit dans ces nouveaux standards une obligation de progresser vers un salaire vital : les entreprises devront régulièrement augmenter les salaires réels et ces augmentations devront être négociées avec les représentants des travailleurs[[highslide](17;17;;;)
Fair Trade Advocacy Office, « Revised Fairtrade International Standard for Hired Labour bolsters support for workers », by Fairtrade International (page consultée le 25 mars 2014)
[/highslide]]. Les acteurs de la chaine d’approvisionnement Fairtrade devront s’assurer que les employeurs aient suffisamment de ressources pour appliquer ces augmentations[[highslide](18;18;;;)
Fairtrade International, « A new workers rights strategy for Fairtrade », 20 juin 2012
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L’étude réalisée par l’EFTA a également établi une série de recommandations pour la WFTO (un réseau mondial d’organisations représentant la filière intégrée, où le contrôle de l’ensemble de la chaine d’approvisionnement est assuré par un ou un nombre limité d’acteurs, voir également encadré). Cette dernière semble démontrer une réelle volonté de mettre en œuvre cette stratégie dans un futur proche. Exemple, lors de la prochaine assemblée générale, deux jours de workshops seront consacrés à l’information et à l’éducation des membres sur la question du salaire vital, notamment son implémentation.
Williams, P., op.cit.
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- Reconnaître que les salaires et les prix sont de la plus haute priorité, à la fois pour les artisans et les travailleurs impliqués dans la filière de commerce équitable, et, pour la crédibilité du secteur en tant que tel. L’augmentation des salaires doit donc être une priorité pour la WFTO et ses membres.
- Adopter et promouvoir une politique obligeant les sociétés d’achat (détaillants, importateurs, exportateurs) à veiller à ce que les prix payés soient suffisants pour permettre aux artisans de gagner un salaire équitable
- Adopter des critères de salaire développés par d’autres organisations spécialisées plutôt que de fixer ses propres critères, et adopter «The Fair wage guide minimum » (Salaire minimum +10%) comme référence en vue d’une mise en œuvre initiale.
- Veiller à ce que les artisans et producteurs, membres de WFTO, soient consultés sur ce qu’ils considèrent comme un salaire équitable et les impliquer dans la fixation des prix.
Notons enfin qu’en dehors des OCE, de nombreuses entreprises du secteur conventionnel explorent également la mise en œuvre d’un salaire vital dans leurs filières. Elles sont encouragées en cela par des organisations de la société civile, qui développent des outils de calcul du salaire vital. L’Asia Floor Wage par exemple, une alliance internationale qui regroupe syndicats et organisations de travailleurs, a développé une mesure du salaire vital pour les travailleurs de l’industrie du textile et de l’habillement dans plusieurs pays du sud-est asiatique[[highslide](20;20;;;)
Clean Clothes Campaign, “Who are the Asia Floor Wage Alliance? » (page consultée le 17 février 2014)
[/highslide]]. Autre exemple, la Fair Wear Foundation, qui a développé l’échelle des salaires, un outil permettant d’évaluer les progrès d’une entreprise en matière d’augmentation des salaires[[highslide](21;21;;;)
Zollman C., op. Cit.
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Conclusion
Le salaire, résultat d’un travail accompli, est un élément clé dans nos sociétés. Il lie un individu à un employeur dans le cadre d’une relation d’emploi et devrait permettre aux travailleurs de vivre dignement, tout en contribuant à la vie économique de la région. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Cette analyse montre en effet que l’application d’un salaire vital reste extrêmement difficile. Cependant, percevoir un salaire vital est un droit fondamental auquel doivent avoir droit l’ensemble des travailleurs et la difficulté ne peut être une excuse pour rester inactif. A l’heure actuelle, les OCE ne peuvent pas encore prétendre appliquer un salaire vital pour l’ensemble des travailleurs de la filière. Toutefois, les initiatives entreprises par les deux principales filières du secteur (FLO et WFTO) montrent qu’elles ont clairement décidé de prendre le problème à bras-le-corps.
Elisabeth Behets Wydemans
Stagiaire