Bilan 2006-2012
Taux de participation en berne, lobbies surpuissants, collusion avec les medias…: la désillusion du grand public vis-à-vis du monde politique semble plus que jamais immense. Face à ce désamour, la solution pourrait venir du local. En Belgique, deux campagnes impliquant Oxfam-Magasins du monde permettent ainsi à des citoyens de s’investir concrètement dans la vie politique de leur quartier ou de leur cité : « Communes du Commerce Equitable » (CDCE) et « Ca passe par ma commune » (CPPMC). Après plus de 5 ans d’existence, bilan d’Oxfam sur ces deux initiatives, sous l’angle du commerce équitable.
La campagne « Ca passe par ma commune » (CPPMC)
Initiée lors des élections communales de 2006, « Ça passe par ma commune » est une campagne de soutien aux plateformes associatives locales pour dialoguer et agir avec les élus communaux sur différentes thématiques de développement durable, social et solidaire. La campagne 2012 s’articule ainsi autour de onze thématiques différentes, du logement aux droits humains, en passant par la mobilité douce et le commerce équitable. Le soutien fourni aux associations consiste notamment en outils méthodologiques (entre autres un site web de référencement des activités), un appui technique et des informations fournis aux groupes locaux durant toute la mandature.
Les élections communales (en octobre 2012 pour la nouvelle mandature) sont un des moments clef de la campagne, donnant l’opportunité aux groupes locaux d’interpeller directement les candidats. L’un des outils d’interpellation est le petit train citoyen, convoi qui emmène citoyens et candidats à différentes haltes thématiques pour discuter de problématiques concrètes de durabilité et de solidarité dans la commune.
Selon Jean-François Rixen, secrétaire général d’Ecoconso (l’une des organisations partenaires), « l’idée est vraiment de décloisonner les organisations et de fédérer les énergies locales. C’est particulièrement vrai au moment des élections, mais l’ambition est aussi de s’inscrire dans la durée. On a ainsi constaté après 2006 une augmentation importante des communes enregistrées. Cela s’inscrit je pense dans une mouvance générale pour le durable, au-delà des simples promesses de candidats ». Il constate malgré tout un certain essoufflement. « Même s’il y a des exceptions, comme à Mons, Namur ou Jette, il est difficile de garder la dynamique des groupes locaux intacte pendant 6 ans, d’autres actions devenant prioritaires ». Nicolas Donck, secrétaire actuel de CPPMC, constate de même « une certaine fatigue chez les fonctionnaires locaux, lassés de devoir faire les états des lieux, souvent répétitifs. Pour résoudre cela, il est prévu de changer la méthode et la fréquence des analyses des actions, sous forme d’échanges de bonnes pratiques entre communes tous les 2-3 ans ».
Améliorations mineures néanmoins, pour une formule qui semble bien fonctionner, malgré le difficile contexte économique. D’après J.F. Rixen, « la formule à géométrie variable permet à toutes les organisations partenaires de s’y retrouver et de fonctionner en synergie. Certaines sont plus dans le soutien technique, d’autres davantage dans l’interpellation ponctuelle, d’autres encore amènent leur réseau de bénévoles, etc. Quant à la crise, nous la présentons comme une opportunité, au travers par exemple des réductions de coûts liées aux économies d’énergie, aux produits écologiques, etc. ».
Les « Communes du Commerce Equitable » (CDCE)
Nées en Angleterre au début des années 2000 (voir encadré), la campagne CDCE (en anglais, ‘Fair Trade towns’), est un prolongement naturel des CPPMC, offrant un cadre plus permanent sur les aspects de commerce équitable. Le principe des CDCE est en effet de demander aux communes de remplir une série de 6 critères structuraux en faveur du commerce équitable, à l’aide d’une collaboration locale entre élus et citoyens. Ces critères incluent la vente et l’achat de produits équitables par différents acteurs (autorités communales, commerces, entreprises, etc.) ainsi qu’un travail de communication et de sensibilisation. Une fois les critères remplis, la commune reçoit un ‘titre’ officiel.
- Autorité communale : vote d’une résolution faisant entrer la commune dans la campagne. L’administration s’engage à consommer du café équitable et au moins un autre produit.
- Commerces et Horeca : un certain nombre (en fonction du nombre d’habitants) de commerces et d’établissements proposent à leurs clients des produits du commerce équitable et communiquent sur cette offre.
- Entreprises, organisations et écoles : offre de produits du commerce équitable à destination de leurs publics et diffusion d’information sur leur engagement.
- Communication et sensibilisation : communication régulière vers les médias et organisation d’au moins un événement annuel de sensibilisation à destination du grand public.
- Comité de pilotage : constitué pour assurer l’engagement de la commune dans la durée et la mener vers l’obtention du titre.
- Produits agricoles locaux et durables : la commune ne limite pas son action au commerce équitable de produits du Sud et soutient une initiative en faveur des produits agricoles locaux et durables.
En Belgique, le concept des CDCE a ainsi gagné les rivages dela Flandresuite à la campagne de 2006 ‘ik ben verkocht’, campagne similaire à CPPMC. Le réseau d’organisations formé du CNCD-11/11/11, Vredeseilanden (les Iles de Paix), Max Havelaar et Oxfam Wereldwinkels a perduré après les élections communales et lancé le concept des Fair Trade gemeenten, sous le leadership de Max Havelaar.La Flandrecompte aujourd’hui plus de 200 communes titrées et près de 50 se sont lancées dans le processus.
Dans le Sud du pays, la dynamique de CPPMC en 2006 n’a pu être maintenue de la même manière, par manque à la fois d’organisations ressources – seule Max Havelaar y participe alors – et de citoyens / bénévoles. Malgré tout, le concept renaît de ses cendres en 2011, suite à la décision de Miel Maya et d’Oxfam-Magasins-du-monde de réintégrer le mouvement. Max Havelaar engage alors un coordinateur à temps-plein, Pierre Laviolette, chargé de dynamiser l’ensemble du réseau. Aujourd’hui, 9 communes francophones ont obtenu le titre, sur un total de 51 engagées dans le processus. Ces communes sont toutes suivies et soutenues par un comité stratégique (constitué de représentants d’Oxfam-Magasins du monde, de Miel Maya et de Max Havelaar), également en charge de la remise des titres CDCE suite à l’évaluation des différents critères.
Une action collective
Bruce Crowther, l’un des fondateurs et aujourd’hui coordinateur international des Fair Trade towns, explique le succès rencontré par le mouvement. « La clef est dans la capacitation de groupes de citoyens. A Garstang par exemple, l’élan collectif obtenu lors du repas initial a permis d’obtenir une promesse concrète, sans demande directe d’argent. Une fois ce pied dans la porte, on a pu progresser petit à petit à chaque nouvel engagement ».
Même son de cloche chez P. Laviolette, pour qui les CDCE se distinguent d’autres initiatives de démocratie locale par leur ancrage concret dans l’action collective. « L’idée est vraiment, au-delà de l’interpellation classique vers les politiques, d’être dans le concret, en suscitant des changements de comportements de manière collective. On a un projet qui sert de liant, de ciment entre les différents acteurs, qui se rassemblent autour de passages à l’action dans le quotidien ».
L’union des différents acteurs prend notamment la forme d’un comité de pilotage, représentatif des différentes parties prenantes : administration communale, entreprises, écoles, bénévoles, etc. Tous ces acteurs ayant des intérêts différents, les CDCE sont à géométrie variable, sous la forme d’un noyau dur autour duquel gravite un nuage d’organisations collaborant de manière plus ponctuelle. Les écoles n’interviennent par exemple souvent que pour élaborer/demander des animations scolaires, en collaboration avec des partenaires tels qu’Oxfam. Les entreprises elles sont souvent principalement intéressées par l’organisation de petits déjeuners ponctuels au sein de l’organisation, par exemple lors d’évènements festifs.
« Le principal défi est d’attirer un nouveau public »
Malgré le succès actuel, tout n’est pas toujours facile. Pour B. Crowther, « la principale difficulté de la formule tient en un mot : appropriation. On a d’un côté un mouvement de citoyens, avec des ressources humaines, et de l’autre des organisations telles que la Fair Trade Foundation [[highslide](1;1;;;)Le Max Havelaar britannique’[/highslide]], qui apportent des ressources financières mais avec un réel risque de récupération, notamment à des fins de promotion du label. Gérer et contrôler un tel mouvement est donc un véritable exercice d’équilibriste ».
Selon P. Laviolette, « les différentes organisations ont trouvé en Belgique cet équilibre. L’obstacle le plus important selon moi dans un projet de CDCE est de trouver une personne de référence au niveau local, prête à consacrer une part importante de son temps au projet. Cette personne a un rôle crucial, c’est elle le véritable déclencheur du mouvement ».
Ces personnes de référence, souvent des éco-conseillers, mentionnent eux les difficultés à impliquer les citoyens au-delà des publics déjà convaincus. Ainsi Bernard Keris, fonctionnaire à la cellule Solidarité Internationale de la ville de Bruxelles : « Le principal défi est d’attirer un nouveau public. Nous essayons d’impliquer les associations de migrants par exemple, mais ces publics ne voient pas toujours l’intérêt de l’équitable ou sont parfois dans des situations financières difficiles. Des évènements tels que repas, dégustations avec des produits biologiques ou équitables sont un des moyens que nous utilisons pour les sensibiliser ».
Autre difficulté selon P. Laviolette, le risque de récupération politique. « Nous essayons de limiter ce risque à travers plusieurs mesures. Aucun titre n’est remis dans les mois précédant les élections communales par exemple. De plus, c’est le comité de pilotage qui décide et contrôle les différentes interventions dans les medias ».
Concernant le décollage plus lent au Sud du pays, Karlien Wouters, responsable de la campagne en Flandre pour Max Havelaar, avance des raisons culturelles. « Les Flamands se situent davantage dans l’acte que dans la discussion politique. Les Wallons sont sans doute plus latins, à l’image des voisins français, où les ‘territoires du commerce équitable’ donnent également lieu à beaucoup de discussions politiques. Les fonctionnaires flamands cherchaient de plus un modèle porteur et concret pour soutenir leur vision politique, et les CDCE ont constitué en cela un vecteur idéal. Enfin, la Wallonie a une tradition de produits locaux du terroir, davantage que la Flandre, elle plutôt tournée vers les produits exotiques ».
Ces produits locaux, inclus parmi les 6 critères à remplir, sont l’une des originalités de la campagne belge. D’après P. Laviolette, « peu de pays ont inclus ce critère sous la forme de produits, la plupart ayant plutôt une composante ‘coopération au développement’. Ce critère local permet, entres autres, de répondre à certaines interrogations des consommateurs sur les aspects environnementaux du commerce équitable et d’être plus cohérents au niveau des changements des modèles commerciaux au Nord et au Sud ».
Et après ?
Comme pour CPPMC, le risque le plus important des CDCE ne serait-il pas l’essoufflement ? Pour B. Crowther, « c’est un problème mineur. La plupart des communes s’impliquent dans des projets qui permettent de conserver ou renouveler la dynamique initiale ». Exemple avec Garstang, la commune par où tout a commencé : célébration des anniversaires, relance de la campagne en 2007, échange d’expérience avec d’autres communes, implication avec une communauté agricole de cacao équitable au Ghana, etc. « Les projets Nord/Sud ne sont pas nécessairement la voie universelle à suivre, mais les échanges entre consommateurs au Nord et producteurs du Sud renforcent nos campagnes, ils éduquent à la citoyenneté, au développement, etc.».
Ces projets, qui s’apparent au 4ème pilier [[highslide](2;2;;;)
Le 4ème pilier comprend tous les acteurs et initiatives de coopération au développement qui n’appartiennent pas à la coopération gouvernementale bilatérale (1er pilier), multilatérale (2ème pilier) ou non gouvernementale (3ème pilier).
[/highslide]] pourraient donc être le prolongement naturel de la campagne CPPMC – vecteur de sensibilisation initiale des citoyens – et des CDCE – élément d’engagement structurel et dans la durée – en mettant en action commune des citoyens du Sud et du Nord. Autrement dit, un vecteur de globalisation culturelle et un moyen de lutte contre les inégalités à l’échelle mondiale. A quand des communes du commerce équitable au Sud ?
Il était une fois Garstang…
Les CDCE (ou Fair Trade town en anglais) naissent en 2000 dans une obscure commune d’Angleterre nommée Garstang. Rien ne distingue de ses consœurs cette petite agglomération de 5000 habitants, mis à part son groupe de volontaires Oxfam, en campagne pour promouvoir le commerce équitable. Frustrés du manque d’implication de leurs concitoyens, ces bénévoles organisent un repas durantla Quinzainedu commerce équitable. Dans un mouvement d’émulation collective, l’ensemble des participants – églises, écoles, commerces, etc. – y signent une promesse de vente de produits du commerce équitable au sein de leurs établissements. Suivent un vote de la population puis une résolution du Conseil communal, attirant les médias ainsi quela Fairtrade Foundation(le ‘Max Havelaar britannique’), qui développe durant 2001 une série de 5 critères génériques permettant à n’importe quelle entité – ville, quartier, comté, etc. – de devenir officiellement une Fair Trade town. Pour Garstang, c’est chose faite le 22 novembre 2001. Aujourd’hui, plus de 1000 communautés, sur trois continents, bénéficient du titre.
Patrick Veillard
Service Positionnement-Expertise-Partenariat