Savez-vous que plus de la moitié de notre impact environnemental est au bout de notre fourchette ? Selon l’ONU, rien que les activités agricoles représentent à elles-seules pas moins de 32 % des émissions mondiales de CO². Ajoutons à cela les impacts sociaux que peuvent avoir nos choix alimentaires (à savoir accaparement des terres, disparition de la petite paysannerie, privatisation de ressources utilisées par tous,…) et on comprend vite qu’il y a matière à agir !
Politiques, entreprises, consommateurs, nous avons tous un rôle à jouer pour que notre alimentation ne se fasse pas au détriment des agriculteurs et de la planète. Dans cette analyse nous nous centrerons sur les cantines scolaires, pour voir comment y instaurer une alimentation plus durable.
Pourquoi s’intéresser aux cantines scolaires ?
Des milliers d’élèves consomment chaque jour des repas chauds, froids, et collations diverses par l’intermédiaire d’une cantine scolaire. Le changement au sein d’une cantine, « consommateur collectif », représente un impact plus grand que le changement apporté par un consommateur individuel en termes de quantité consommée. De plus, tout le monde passe par l’école, qui constitue le lieu éducatif et de socialisation par excellence. Promouvoir une alimentation durable dans un établissement scolaire , non seulement dans le discours mais également dans les faits, c’est sensibiliser un large public à prendre de bonnes habitudes alimentaires.
Des cantines tout en diversité
Une étude, datant de 2006 et basée sur les réponses de 40% des établissements scolaires de communauté française, montre que 4 écoles sur 5 proposent des repas chauds (écoles primaires et secondaires confondues) [[highslide](1;1;;;)
« Rapport de l’état des lieux des pratiques culinaires et de l’organisation des cantines et autres restaurants des établissements scolaires », réalisé par l’Administration de la Communauté française en mars 2006
[/highslide]]. Lorsque l’on se penche sur la réalité de ces cantines scolaires, même en se limitant à la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est d’abord la diversité qui frappe.
Diversité au niveau de la gestion tout d’abord : la moitié des établissements de l’enquête font appel à une société externe pour la préparation des repas chauds. Il peut s’agir de sociétés telles que Sodexho (26,1% des cas), de traiteurs plus locaux, d’une initiative publique locale ou même du CPAS de la commune. Parfois c’est une cuisine interne à l’école qui est gérée par un extérieur. Parfois, il s’agit juste d’une livraison à l’école où du personnel se chargera de la distribution, voir de la cuisson des plats préparés. En ce qui concerne l’autre moitié des écoles, elles disposent de leur propre personnel pour préparer entièrement les repas scolaires en interne.
Dans une réflexion sur les processus de changement dans les cantines, cette variabilité de la gestion est un élément important. En effet, elle dévoile la diversité des personnes responsables du choix et de l’achat des aliments. Selon que la gestion est interne ou externe à l’établissement, l’école (direction, économe, profs, élèves, parents) aura une prise plus ou moins directe sur les changements possibles.
Diversité au niveau de la fréquentation ensuite : seuls 1/5ème des élèves se rendent régulièrement à la cantine de leur école pour y prendre un repas chaud. Ce taux est beaucoup plus faible dans l’enseignement secondaire (entre 11 et 15% de fréquentation) que dans le fondamental (entre 25 et 33%).
Pour un changement notable, vu la faible fréquentation des cantines, il est intéressant de ne pas limiter l’alimentation durable aux repas chauds. Celle-ci peut également être prise en compte dans le choix des collations et repas froids proposés à l’école.
Diversité au niveau des prix enfin : de 1€ à 4,8€ le repas dans l’enseignement fondamental, de 1,5€ à 6,7€ dans le secondaire. Les prix plus élevés peuvent être liés à des repas de meilleure qualité (plus de fruits, de soupe, moins de frites) mais aussi à la présence de sodas. Bref, il n’est pas toujours gage d’alimentation saine ou durable. Par ailleurs, on pense souvent à tort que le prix va être le principal frein vers une alimentation durable. En réalité, parmi les changements d’habitude à adopter, beaucoup permettent de faire des économies (légumes de saison, diminution du grammage de protéines animales,…) à réinjecter dans des aliments de meilleure qualité.
Vu la palette des fonctionnements de cantine, il est impossible de proposer des démarches « clé sur porte » pour les mener à une alimentation plus durable. Chaque établissement devra développer un processus de changement adapté à sa réalité :
- travail avec l’acteur externe qui prend en charge les repas ou processus en interne avec les cuisiniers et responsables des achats ?
- 50 repas chauds, 300 sandwichs ou 600 collations, par quelle offre de la cantine entamer le changement ?
Si les réalités diffèrent, les aspects sur lesquels jouer peuvent être répertoriés et peuvent s’adresser à toutes les écoles de manière semblable.
Quels changements impulser pour une cantine durable ?
Nous allons développer une série d’aspects sur lesquels les restaurants scolaires peuvent agir pour cheminer vers un fonctionnement plus durable. Nous ne rentrerons pas trop dans les détails pratiques, ceux-ci dépendant beaucoup du contexte local [[highslide](2;2;;;)
De plus, d’autres acteurs sont spécialisés dans l’accompagnement des acteurs de restauration collective pour un changement pratique. Ils proposent des fiches très concrètes et un suivi personnalisé. Voir pour cela la dernière partie « Qui peut amener le changement ? ».
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Limiter le gaspillage alimentaire
Selon la FAO, près d’un tiers de la nourriture produite dans le monde est aujourd’hui perdue ou jetée au lieu d’être consommée [[highslide](3;3;;;)
« Global food loss and food waste », FAO, Rome, 2011
[/highslide]]. Cette production finalement inutile est synonyme de gaspillage de ressources (eau, terres agricoles, matières premières) et d’énergie. Sans compter la quantité de gaz à effet de serre émise pour rien !
Dans nos pays industrialisés, c’est avant tout lors de la vente et de la consommation que le gaspillage alimentaire se manifeste. Et c’est là que les cantines, en tant que « consommateur collectif », peuvent être un des acteurs-clés. Selon Bruxelles Environnement, le gaspillage alimentaire à l’école représente 6 à 7kg par élève et par an. 68% des déchets alimentaires d’une école sont dus aux restes de repas chauds. Ce gaspillage se situe à deux niveaux. D’une part, une situation de surproduction lors de la préparation des repas. D’autre part, une situation où le consommateur ne termine pas son repas.
Quelques mesures peuvent être mises en place, parfois de manière très rapide pour diminuer ce gaspillage et donc aussi faire des économies qui peuvent servir à privilégier des aliments parfois plus coûteux ! Il s’agit par exemple de mieux connaître le nombre de repas à préparer, d’avoir la possibilité de réajuster ses achats auprès des fournisseurs en fonction des restes non utilisés ou de proposer un service permettant aux consommateurs de choisir lui-même la quantité qu’il consommera.
La consommation de protéines animales : moins mais mieux
La production industrielle de viande pose problème sur le plan environnemental (pour un même niveau de calories alimentaires, la production de viande émet nettement plus de CO² que la production céréalière) et sur le plan social (avec par exemple l’accaparement de terres pour la production de céréales destinées à l’alimentation du bétail). Sachant qu’un Belge consomme en moyenne 270gr de viande/jour alors que les diététiciens recommande 100 à 150 g de viande, volaille, poisson et œufs, n’est-il pas temps de réinterroger cette consommation de viande ? La restauration collective durable peut à nouveau jouer un rôle en diminuant la part de protéines animales dans nos assiettes et en privilégiant une viande de qualité, qui ne soit pas produites à partir de céréales cultivées de manière industrielle à l’autre bout du monde. En outre, le gain financier réalisé par un meilleur grammage de la viande permet de choisir des aliments de qualité (viande biologique issue d’élevage nourris à l’herbe).
Le respect de la saisonnalité
En choisissant les fruits et légumes frais en fonction de leur période de récolte, l’impact environnemental mais également le coût du repas s’en trouve réduit. Cela permet en outre de privilégier des filières courtes en recherchant des produits que les agriculteurs locaux peuvent fournir à cette saison.
Soutien à l’agriculture paysanne biologique et équitable
Que ce soit en Belgique ou dans le reste du monde, les agriculteurs ont de plus en plus de difficultés à vivre de leur métier. Pour beaucoup d’agriculteurs belges, le dilemme se situe entre « endette-toi pour t’agrandir et tenter de survivre » ou « ferme boutique ». Dans le Sud, les agriculteurs sont également confrontés à un problème de revenus insuffisants associé à la difficulté d’avoir accès aux moyens de production (terres, outils,…).
Le concept d’alimentation durable prend en compte des aspects sociaux tels que les conditions de travail et un principe de solidarité qu’il soit Nord-Nord (achat locaux en direct) ou Nord-Sud (commerce équitable). Dans ce soutien direct au métier d’agriculteurs entre également en compte les préoccupations environnementales. Le choix des fournisseurs directs doit prendre en compte le mode de production (respects de critères environnementaux et sociaux, éventuellement labellisation « Nature et progrès » ou équitable).
Impliquer les élèves et les cuisiniers
Le succès d’une cantine durable réside également dans la communication et la sensibilisation auprès du public mais aussi du personnel. Négliger cette étape, c’est risquer qu’un « les jeunes n’aiment pas les légumes » produise un effet de groupe ou qu’un plan anti-gaspillage ait peu d’effet. Beaucoup d’outils pédagogiques et de communication sont disponibles pour répondre à ce besoin de sensibilisation du public.
La motivation du personnel directement lié à la cantine (cuisiniers et responsables des achats) est également primordiale pour entamer la démarche d’alimentation durable. Il faudra en effet qu’ils soient prêts à adapter les menus existants, les modalités de fonctionnement,… Au final, cela permet bien souvent de revaloriser le métier des cuisiniers et d’augmenter la satisfaction professionnelle. Des acteurs tels que Bioforum propose un accompagnement prenant en compte ces aspects.
Qui peut amener le changement ?
La Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut contraindre les établissements scolaires au niveau de la restauration proposée à l’école. En effet, les repas sont actuellement considérés comme un « temps non scolaire ». Néanmoins, si la Fédération ne peut obliger, elle peut inciter. La Communauté a d’ailleurs développé un « plan attitudes saines » largement consacré à l’alimentation à l’école mais prenant principalement en compte les questions diététiques/santé [[highslide](4;4;;;)
Voir notamment www.mangerbouger.be
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Une première piste est donc la prise de mesures pour inciter les écoles à passer à l’alimentation durable. Mais si l’on se limite à cette incitation, on risque de voir l’offre de la cantine devenir un élément de plus d’inégalités entre écoles. Comme le propose la Ligue des familles, il semble alors judicieux, afin d’éviter que les écoles ne se servent des repas comme d’un « élément marketing », d’agir pour que le temps de midi soit considéré comme temps scolaire et pris en charge par la Fédération Wallonie-Bruxelles [[highslide](5;5;;;)
« Se nourrir : une alimentation de qualité à l’école », Analyse de La Ligue des familles, Avril 2009
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D’autres entités fédérées, ministères et administrations mettent déjà en œuvre des mécanismes pour aider les écoles à entrer dans une démarche d’alimentation durable. On citera par exemple le projet « Cantines durables en Région bruxelloise » lancé par Bruxelles Environnement (accompagnement de restaurants de collectivités dans une démarche vers l’alimentation durable) ou l’action « des fruits pour les écoles » de l’APQW (subsides aux écoles primaires distribuant gratuitement des fruits d’agriculture wallonne).
Dans le réseau d’enseignement libre, les écoles décident elles-mêmes, à travers l’association qui constitue le Pouvoir Organisateur, du fonctionnement général de leur restaurant scolaire. Dans l’enseignement officiel, selon que le pouvoir organisateur est la commune, la province ou la Fédération Wallonie-Bruxelles, ça sera cet acteur qui décidera du fonctionnement général de la cantine. En effet, le P.O. est responsable de la politique de sous-traitance, la politique de gestion du personnel et la définition du projet d’école (qui peut comporter des aspects liés à l’alimentation) [[highslide](6;6;;;)
« Alimentation à l’école : les enjeux de la campagne Citoyenparents, à la soupe », Analyse de La Ligue des familles, septembre 2009.
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A l’heure actuelle, le P.O. peut donc jouer un rôle important pour instaurer des changements dans la cantine. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris les élèves et profs de l’école communale de Marbaix-la-Tour.
Les élèves interpellent leur commune
Une classe de l’école communale de Marbaix-la-Tour a sollicité par courrier le collège communal, P.O. de l’établissement, pour que le traiteur propose à l’avenir des repas plus durables.
Les élèves ont élaboré et soumis un menu durable au traiteur afin qu’il prépare un repas pour leur classe. Légumes de saison, plat végétarien et produits locaux ont été dégustés par les élèves, les professeurs de l’école ainsi que les échevins invités pour l’occasion.
Lors de ce délicieux repas, l’échevin de l’enseignement a répondu favorablement à la demande des élèves et un nouveau cahier spécial des charges sera rédigé lors du prochain appel d’offres pour la fourniture des repas chauds dans les écoles communales de l’entité de Ham-sur-Heure.
www.biendanssonassiette.be
Les fournisseurs des restaurants scolaires peuvent également jouer un rôle-clé en facilitant le passage à une alimentation durable par les propositions de menus prenant en compte ces aspects. Ainsi, l’asbl Rescolie qui distribue des repas chauds dans des crèches et écoles liégeoises propose de la viande et des œufs toujours labélisés bio. Mais en général, c’est suite à la demande des clients que ces fournisseurs réagissent.
Parmi les acteurs qui soutiennent concrètement les changements au sein des cantines scolaires, des acteurs associatifs se retrouvent en bonne place. Pour cela ils ont besoin du soutien de pouvoirs publics. Ainsi, depuis 2008, BioForum Wallonie a été chargé par l’Administration bruxelloise de l’environnement d’accompagner des cuisines de collectivité vers une alimentation durable. Cette association possède une solide expérience en matière de mise en place de projets sur l’alimentation durable dans les cuisines de collectivités. Ils proposent entre autres des formations de cuisiniers, une aide dans l’élaboration d’un cahier des charges et des fiches techniques (recettes,…).
De son côté, Green asbl a mené pendant deux ans la campagne « Une école bien dans son assiette » soutenue par la Région Wallone. Cette campagne proposait également d’accompagner des écoles afin de diminuer l’impact environnemental de l’alimentation scolaire, en mettant plutôt l’accent sur la sensibilisation et l’implication des élèves et profs qui étaient ensuite invités à mener un projet particulier.
D’autre part, le Réseau wallon pour une alimentation durable (Rawad) rassemble 13 organisations et propose entre autre des journées de rencontres autour de l’alimentation durable.
Enfin, les acteurs au sein de l’établissement (cuisiniers, profs, élèves, direction, surveillants) sont primordiaux pour la réussite du projet. En faisant pression sur le P.O. et sur les fournisseurs, en prenant à leur charge les aspects communication/sensibilisation positive concernant les changements dans la cantine ou en étant ouverts à l’idée de changer leurs pratiques en cuisine, c’est sur eux que repose souvent la réussite du projet.
Conclusion
Le changement est un processus qui prend du temps. Néanmoins, de nombreux exemples tirés d’établissements belges prouvent qu’il est possible pour une cantine scolaire de passer à une alimentation plus durable. L’essentiel est d’y aller progressivement. De plus, vu les impacts que peut avoir notre alimentation et le caractère éducatif du cadre scolaire, il s’agit d’un lieu privilégié pour mettre en place un discours et des pratiques cohérentes d’alimentation durable. Etonnamment, les exemples montrent que, dans la pratique, le coût des repas n’est pas forcément augmenté par le passage à une alimentation plus durable. Il y a parfois même une réduction du prix de revient des repas. Les expériences montrent également l’importance de l’implication du public et du personnel de cuisine dans ce processus de changement. Pour cela un cadre structurel et/ou un accompagnement individuel de l’établissement constituent les principaux éléments facilitateurs.
Elisabeth Mailleux
Service mobilisation jeunes
Références et pistes pour aller plus loin
- « Global food loss and food waste », FAO, Rome, 2011, consultable sur
- « Rapport de l’état des lieux des pratiques culinaires et de l’organisation des cantines et autres restaurants des établissements scolaires », ’Administration de la Communauté française, mars 2006
- « Cuisiner et manger durable à l’école », in Symbioses, n°88, Automne 2010, p.10-11
- « Se nourrir : une alimentation de qualité à l’école », Analyse de La Ligue des familles, Avril 2009
- « Alimentation à l’école : les enjeux de la campagne Citoyenparents, à la soupe », Analyse de La Ligue des familles, septembre 2009
- Site de Bruxelles Environnement
Pour trouver des conseils et exemples pratiques :
- « Alimentation durable en collectivité : quelques conseils méthodologiques aux collectivités pour (oser) se lancer dans la démarche d’alimentation durable », in Symbioses, n°88, Automne 2010, p.17
- www.biendanssonassiette.be
- www.restaurationcollectivedurable.be
- www.achatsverts.be
- www.bioforum.be/fr/index.php?Section=Collectivites