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Oxfam-Magasins du monde

Une éthique et une lecture critique de la notion d’empowerment

2022 Analyses
Une éthique et une lecture critique de la notion d’empowerment

Que recouvre la notion d’empowerment ? Depuis ses débuts, le mot a été repris et étendu jusque dans des sphères très éloignées des mouvements sociaux afro-américains, féministes et sud-américains qui l’ont développé. Au point d’en devenir un énième exemple de la capacité récupératrice du système capitaliste. Faut-il alors parler comme Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener de différents modèles d’empowerment dont les finalités en viendraient à s’opposer ? Est-il possible de penser une éthique de l’empowerment composée de garde-fous visant à éviter un dévoiement et une vision réductrice du terme dans nos pratiques éducatives ?

Simon Laffineur

Empowerment ?

Avant toute chose, une définition du terme « empowerment » est indispensable. Dans le cadre d’une campagne sur l’égalité femmes-hommes, l’association Oxfam-Magasins du monde proposait l’introduction suivante, à propos de cette notion qu’elle estime essentielle tant pour l’égalité des sexes que pour le commerce équitable : «  L’empo… quoi ? Pourquoi encore utiliser un terme anglais? Malheureusement, il n’existe pas d’équivalent dans notre langue. Le mot regroupe en effet différentes notions, telles que le renforcement, l’émancipation ou l’autonomie. Les hispanophones parlent « d’empoderamiento », tandis que les Canadiens francophones ont créé le mot « empouvoirement ». Dans tous les cas, on retrouve dans ces termes le mot « pouvoir ». La notion fait ainsi référence au pouvoir que l’individu peut avoir sur sa propre vie, au développement de son identité, ainsi qu’à sa capacité ou celle de sa communauté à changer les rapports de pouvoir dans les sphères économique, politique, juridique et socioculturelle. »[1]https://oxfammagasinsdumonde.be/content/uploads/2020/11/dossier-du-mal-a-voir-l-egalite-des-genres.pdf (07/12/2021).

On peut diviser l’empowerment en plusieurs composantes :

L’avoir qui correspond aux moyens économiques, aux ressources matérielles et financières.

Le savoir qui correspond aux compétences et au bagage intellectuel.

Le vouloir lié à l’estime de soi, la confiance en soi, l’énergie, la motivation dont on dispose.

Le pouvoir qui renvoie à la possibilité de prendre des décisions, d’être libre de ses actes et de se positionner dans les rapports de pouvoir avec l’entourage direct ou dans la société[2]Pour d’autres manières de définir ou de subdiviser la notion d’empowerment (notamment pouvoir intérieur, pouvoir sur, pouvoir de et pouvoir avec) voir Les essentiels du genre 10 – Genre et … Continue reading.

On comprend évidemment que ces éléments peuvent interagir et se renforcer ou se déforcer l’un l’autre selon qu’on en bénéficie ou non.

Notons au passage que la définition proposée plus haut parle d’une capacité liée à un individu « ou à celle de sa communauté ». La notion pourrait donc avoir une dimension collective, mais elle semble davantage fonctionner pour décrire des situations individuelles car si l’on peut mettre en commun des ressources matérielles, c’est plus difficile pour la composante savoir et vouloir qui semble de toute façon devoir s’attacher à l’individu et participer à la différenciation entre individus.

Il manque encore à la définition donnée plus haut l’aspect dynamique d’apprentissage que peut recouvrir ce terme, et ce, dans les domaines les plus variés : « Si la notion d’empowerment arrive en France dans les années 2000, elle fait l’objet d’une littérature anglosaxonne pléthorique depuis les années 1980, dans des champs aussi différents que ceux de l’action sociale, de l’éducation, du développement international, et dans des registres variés, universitaire, professionnel ou politico-administratif. Il s’en dégage de multiples définitions, méthodes et critères d’évaluation qui témoignent de la polysémie du terme. Pour autant, des traits communs se dégagent de ces différentes interprétations. L’empowerment articule deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. »[3]L’EMPOWERMENT, UN NOUVEAU VOCABULAIRE POURPARLER DE PARTICIPATION ? Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales » 2013/3 N° 173 | pages 25 à … Continue reading

L’empowerment est en effet, en grammaire, un nom verbal. Il désigne un processus qui consiste en quelque sorte à accroitre les capacités (intellectuelles, sociales, …) d’un individu. Il y aura lieu de se demander quelles capacités sont particulièrement visées, lesquelles sont laissées de côté ou ignorées. Il y aura lieu également d’interroger les objectifs de l’empowerment ; accroitre ses capacités, bien, mais dans quels buts ?

Ne brûlons pas les étapes. Commençons par explorer dans quels champs de la pratique d’Oxfam-Magasins du monde l’on peut rencontrer la notion d’empowerment.

L’empowerment comme outil de développement et d’égalité femmes-hommes

L’on croisera d’abord l’empowerment explicitement dans la présentation des projets des partenaires de commerce équitable. L’empowerment des artisan·e·s ou des cultivateurs/trices des coopératives et associations est présenté comme l’un des objectifs poursuivis par le secteur de l’Equitable.

Il est aussi présenté comme outil pour combattre les inégalités femmes-hommes. L’empowerment a ici un objectif précis : si on leur permet de développer leurs compétences au travers de formations, qu’on leur donne un travail avec un revenu décent, qu’on augmente leur confiance en elles-mêmes, les femmes deviennent davantage dans les faits les égales des hommes par une forme d’émancipation économique et sociale.

On retrouve donc les différentes dimensions abordées dans la définition. Cela permet de rappeler que les critères de commerce équitable (comme ceux de la World Fair Trade Organization) ne se cantonnent pas à payer un prix juste, ce qui bien souvent est le seul point que retient le grand public lorsqu’il pense à une définition du commerce équitable.

L’empowerment dans l’éducation

Oxfam-Magasins du monde, comme nombre d’ONG, agit en Belgique francophone dans le secteur de l’éducation. D’une part auprès des jeunes, avec l’Education à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire (ECMS) et d’autre part auprès des adultes avec l’Education Permanente (EP).

Si le terme empowerment n’est pas particulièrement usité dans nos pratiques éducatives, il n’en reste pas moins que l’on peut considérer qu’il fait partie de la démarche, et qu’il fonde même certains aspects ou choix éducatifs qu’Oxfam-Magasins a initiés et continue de promouvoir auprès de ses publics jeunes et moins jeunes.

Nous pourrions parler d’« empowerment » quand nous parlions auparavant de « devenir acteur », d’ « autonomie », etc.

Prenons l’exemple du projet des JM-Oxfam[4]Pour une présentation plus complète du projet des JM-Oxfam : https://jeunes.oxfammagasinsdumonde.be/ au sein duquel les jeunes sont appelés à devenir des animateurs/trices dans leur école pour sensibiliser leurs pairs et les adultes de l’école aux thématiques d’ECMS. La philosophie des JM-Oxfam est de chercher à leur donner la confiance en eux nécessaire à la prise de parole en public ou à la mise en projet. Cela valorise leur créativité en laissant la place à leurs propres animations et actions. La confiance de l’équipe EduAction qui encadre le projet leur démontre qu’ils et elles sont aptes à transmettre ce qu’ils apprennent. Le projet leur donne les clés d’un vrai petit magasin alternatif dans l’école (du vrai argent, des vrais produits de commerce équitable) et il nourrit les jeunes de contenu tant sur la forme que sur le fond sans pour autant organiser d’examens à l’entrée ou à la sortie, mais en estimant que chaque jeune peut y puiser et grandir avec ce qu’il/elle y trouve.

Prenons ensuite l’exemple du mouvement des bénévoles adultes organisés en équipe et soutenus par un programme d’Education Permanente. Celles et ceux qui entrent dans le mouvement des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde ont accès à une série de formations portant tant sur les thématiques de citoyenneté mondiale et solidaire et sur les partenaires de commerce équitable que sur des aspects plus pratiques de la vente en magasin, de la sensibilisation auprès de différents publics ou encore de l’interpellation des pouvoirs locaux.

Comme le mentionne le portail de la Fédération Wallonie-Bruxelles : « Selon l’article 1er du décret du 17 juillet 2003, une organisation d’éducation permanente a pour objectif de favoriser et de développer, principalement chez les adultes…

  • une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société ;
  • des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation ;
  • des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique.

Ainsi, les associations d’éducation permanente des adultes travaillent à développer les capacités de citoyenneté active et la pratique de la vie associative. Nombre d’entre elles consacrent une attention particulière aux publics socio-culturellement défavorisés »[5]http://www.educationpermanente.cfwb.be/ (08/12/2021).

Au vu des exemples donnés ci-dessus du travail éducatif réalisé par Oxfam-Magasins et par ailleurs de cette définition de l’EP, il semble qu’il faille s’arrêter un instant et poser cette simple question : toute éducation n’est-elle pas empowerment ? Ne joue-t-on pas quelque peu sur les mots et les néologismes ?

Pour s’en sortir, postulons que l’empowerment intégrerait une notion d’obligation de résultat. C’est-à-dire qu’à la fin du processus d’empowerment, les bénéficiaires doivent effectivement être renforcés. Ainsi le processus d’éducation doit avoir conduit à une personne qui se sent plus confiante, plus compétente, plus libre d’agir. À l’inverse, le processus d’éducation ne doit pas avoir discriminé, relégué, découragé, diminué la confiance en soi, ou encore façonné une tête bien pleine plutôt que bien faite comme le dit le dicton. Il pourrait donc y avoir une éducation qui « empower » et une autre qui le fait moins ou qui échoue à le faire, soit par son absence, soit par sa moindre qualité, soit par de multiples autres facteurs.

L’empowerment dans le monde du travail

On l’a vu, la notion d’empowerment peut se retrouver en de multiples lieux. Pourquoi ne pas également l’analyser au sein de la sphère du travail ?

Peut-on tout au long de sa vie active faire du travail un outil d’empowerment ? Posons la question en écartant de suite les effets d’annonce des offres d’emploi bling-bling qui parsèment le marché et qui vous promettent souvent un poste idyllique et une carrière pleine d’expériences enrichissantes. Posons la question de manière plus authentique, celle d’un travail réellement épanouissant et émancipateur.

N’est-ce pas, entre autres objectifs, l’un des buts poursuivis par les organisations de Commerce équitable qui cherchent à défendre un travail décent et l’empowerment parfois à l’autre bout du monde ?[6]Rappelons que le 8ème principe du Commerce Equitable selon la World FAir Trade Oragnization (WFTO) est le « développement des compétences ».

Si nous appliquions, par analogie, la même distinction abordée avec l’éducation, peut-on considérer qu’il existe un travail source d’empowerment et un travail qui ne l’est pas (et toute une gradation entre les deux) ? Il n’est en effet pas difficile de constater dans la société nombre de jobs répétitifs, peu valorisants, peu enrichissants, sources de problèmes, de conflits ou de harcèlement au travail qui peuvent saper l’estime de soi (quand ce n’est pas plus grave encore). Il n’est pas difficile de pointer des études sur le burn-out, le bore-out, le stress au travail. Il n’est pas compliqué également de comprendre qu’un travail pénible aux horaires étendus et/ou à la rémunération minime limitera fortement l’utilisation des autres moments de sa vie pour apprendre, se former et cultiver une bonne estime de soi…

Les jeunes et moins jeunes qui débouchent sur le marché de l’emploi aspirent à y trouver un travail épanouissant, enthousiasmant, valorisant, oserions-nous même dire passionnant, et qui si possible continuera à l’être dans une certaine durée. L’empowerment peut donc être aussi un outil de mesure de la qualité d’un emploi.

Après ce tour d’horizon de l’empowerment dans trois sphères différentes, quel est donc l’intérêt pour cette analyse de ratisser si large ?[7]Adopter une vision aussi large de la notion d’empowerment est un parti pris. Dans une perspective féministe, il n’y a sans doute pas de sens de à parler d’empowerment pour des individus … Continue reading Le propos est de confronter une notion souvent présentée comme très positive et quelque peu in abstracto à différentes réalités afin de voir si nous pouvons en tirer davantage que des lieux communs éculés. Il faut développer, il faut autonomiser, il faut éduquer, il faut mettre en capacité, il faut émanciper… Très bien, mais le faisons-nous adéquatement d’une part, et à qui cela profite-t-il d’autre part ? La notion d’empowerment aurait-elle une part d’ombre ?

Une critique de l’empowerment

Dans un travail universitaire[8]Solenne Fierens, A Vertical ‘Cross-gaze’ : The influence of neoliberalism on NGOs’ programs for gender equality. The Example of Oxfam Magasins du Monde. consacré spécifiquement à l’analyse d’une publication d’Oxfam-Magasins du monde sur le genre, l’autrice S. Fierens critique la notion d’empowerment présentée comme émancipatrice pour les femmes dans le combat pour l’égalité entre les sexes.

Le propos n’est pas de dénier au commerce équitable son potentiel d’appui à la solidarité des communautés et à leur autonomisation, mais de faire remarquer que l’empowerment peut aisément s’inscrire dans une idéologie néolibérale visant à faire de chaque individu un.e chef d’entreprise responsable de son propre succès ou échec en mettant dans l’ombre les inégalités d’accès aux ressources, au marché du travail et autres plafonds de verre ou discriminations liées au système sociétal.

En d’autres termes, l’on peut reprocher à l’empowerment d’apporter une solution individuelle de productivité (essentiellement économique) à un problème politique, systémique et collectif de répartition des ressources et de justice sociale.

Comment ne pas voir, en effet, que de l’empowerment au « struggle for life » ou au « self-made man » cher à une certaine idéologie libérale, il n’y a qu’un pas. Il est facile dès lors de se débarrasser par la même occasion de tous les mouvements sociaux collectifs revendiquant une manière de combattre la pauvreté et les inégalités autrement qu’en promettant un avenir radieux à chaque sujet suffisamment laborieux pour « s’en sortir » seul·e.

L’empowerment ne serait-il que la promesse recyclée du libéralisme d’une ascension sociale des classes les plus défavorisées par le travail et la réussite économique ?

Pourtant lorsque le terme se répand dans la société civile (d’abord anglophone) dans les années septante, il apparait d’abord dans les mouvements féministes, d’éducation populaire ainsi que les mouvements afro-américains.

« Aux États-Unis, le mouvement des femmes battues qui émerge au début des années 1970 semble avoir été parmi les premiers à utiliser ce terme pour décrire le processus d’acquisition d’une « conscience sociale » ou « conscience critique » permettant aux femmes de développer un « pouvoir intérieur », d’acquérir des capacités d’action à la fois personnelles et collectives, et de s’inscrire dans une perspective de changement social »[9]L’EMPOWERMENT, UN NOUVEAU VOCABULAIRE POUR PARLER DE PARTICIPATION ? Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales » 2013/3 N° 173 | pages 25 à … Continue reading.

Le terme, dans les années qui suivent, est aussi souvent repris en opposition à une logique de développement top-down ou perçue comme hiérarchique et paternaliste.

Arrivent la fin de la guerre froide et la victoire du libéralisme comme courant de pensée opposé au communisme. « Au cours des années 1990, la notion d’empowerment est intégrée dans le vocabulaire international de l’expertise et des politiques publiques, en particulier dans celui des grandes institutions multilatérales comme l’Organisation des Nations unies (ONU) ou des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale. Dans différents pays du Sud et du Nord, on voit apparaître des programmes de politiques publiques dits d’empowerment tels que le Black Empowerment en Afrique du Sud ou les Empowerment Zones aux États-Unis. Le mot fait son entrée dans certains programmes de l’Union européenne comme Equal, financé par le Fonds social européen. Mais, dans un contexte où dominent les idées néolibérales, cette intégration se fait au prix de l’affaiblissement de sa portée radicale »[10]Ibid..

Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener proposent de distinguer trois idéaux-types comme outil d’analyse pour distinguer les sens différents donnés à la notion d’empowerment à partir de l’historique de son utilisation depuis les années septante. Retenons-en deux à présenter dans cette analyse[11]Parmi les trois modéles, radical, libéral ou social-libéral, et néolibéral, le modèle social-libéral peut être considéré comme un entre-deux, tenant en partie de l’un et l’autre. :

Le modèle radical

Dans ce modèle, l’empowerment entend combattre la stigmatisation de certains groupes sociaux par l’autodétermination, la redistribution des ressources et les droits politiques. Le but est de chercher une véritable transformation sociale qui suppose une remise en cause du système et non une ascension sociale réussie au sein de celui-ci.

Le modèle néolibéral

L’empowerment y est perçu comme un outil de gestion de la pauvreté et des inégalités, « pour permettre aux individus d’exercer leurs capacités individuelles et de prendre des décisions « rationnelles » dans un contexte d’économie de marché ». Ici, gagner en pouvoir est surtout compris dans son acception économique : avoir un travail rémunérateur et donc un accès à la société de consommation. « Cela implique une capacité de conduire rationnellement son existence, de faire des choix, mais la question de l’émancipation et de la justice sociale n’est pas posée ; tout au plus est évoquée celle de l’accès aux opportunités, sans remise en cause des inégalités sociales ».

En fait, depuis les années 80 et l’émergence de ces différents modèles qui se côtoient par la suite, le terme est resté ambigu. Il a été adopté tant à droite qu’à gauche, et continue de l’être.

Une éthique de l’empowerment

Sur base de cette analyse critique de la notion d’empowerment, et à présent que notre vigilance s’est accrue quant à sa récupération possible et son dévoiement, peut-on esquisser quelques balises pour éviter les écueils d’un empowerment qui ne se voudrait que purement économique et peu transformateur dans un projet social quel qu’il soit ?[12]Loin de l’auteur de cette analyse l’idée d’écrire de manière exhaustive sur la notion d’empowerment qui a fait l’objet depuis son invention par les mouvements sociaux, principalement … Continue reading

1. L’empowerment ne peut être restreint à l’économique

Il est important de toujours élargir la notion à d’autres compétences humaines que le seul gain économique d’un emploi pour l’individu. Se demander également, pour reprendre les exemples de communication autour du commerce équitable, si l’on ne représente pas trop facilement le seul fait d’avoir un meilleur revenu comme une cause directe d’un mieux-être, d’une meilleure confiance en soi, d’une place dans la société. Les coopératives de Commerce Equitable de manière générale font bien plus que de « donner du travail », il y a souvent autour de l’individu un collectif, un parcours de formation, une considération pour la personne, une participation aux décisions.

Le travail peut être émancipateur en soi comme il peut être abrutissant et asservissant. L’empowerment doit donc indiquer une voie plus large[13]Il faut également préciser qu’une critique de l’aspect uniquement économique de l’empowerment peut être faite « en soi ». Par exemple, dans une vision purement économique autour de … Continue reading.

2. L’empowerment doit émanciper « sans nuire à autrui »

De même que l’empowerment ne peut être seulement économique, il ne peut être centré uniquement sur l’individu comme artificiellement détaché de la société dans laquelle il vit. Il s’agit ici de battre en brèche le mythe de la réussite néolibérale promise à tous et toutes. Tout le monde ne peut pas s’élever dans la hiérarchie sociale sous peine de faire s’effondrer par définition cette hiérarchie. Tout le monde ne peut être gagnant à la grande loterie des inégalités, et si l’on gagne économiquement, c’est parce que d’autres y perdent.

L’empowerment qui se donne comme éthique de « ne pas nuire » va se poser à lui-même une série de garde-fous sur toutes les compétences acquises. Grandir en capacité me permet-il de prendre ma place dans le monde sans que mon action sur celui-ci se fasse au détriment d’autres personnes ? Dans un contexte de développement avec, par exemple, des populations rurales marginalisées, le raisonnement peut paraitre tiré par les cheveux, tant les personnes visées ont un mode de vie peu nuisible sur l’environnement. Mais les modèles de développement néolibéraux prônés dans les dernières décennies et qui aujourd’hui montrent tous leurs limites incitent à indiquer dès le départ une autre voie. Il ne suffit pas d’exploiter les ressources naturelles, de créer de l’emploi, de la richesse et des entreprises prospères pour amener le progrès florissant, car celles-ci sont trop souvent aujourd’hui source de nuisances pour l’humain et la planète. Les mouvements des Suds qui ont développé l’empowerment le savent bien mieux que les technocrates des grandes institutions internationales.

3. Qui est au lead de l’empowerment ?

Une troisième balise est de poser la question de qui est aux commandes de l’empowerment. La communauté de base qui cherche à se libérer de l’oppression ? Un collectif qui se reconnait comme collectif de femmes, de personnes racisées ou autres ? L’empowerment est-il voulu et piloté par les personnes qui en sont les bénéficiaires ? Ou bien l’empowerment est-il recherché par un autre ? Un management d’entreprise, un programme gouvernemental, un plan d’activation des personnes sans emploi ?

Selon la réponse à cette question, les tenants et aboutissants du processus d’empowerment promettent d’être bien différents. Non qu’il soit d’emblée néfaste lorsqu’il est voulu « pour l’autre », mais le risque est grand. Pour reprendre le slogan d’une asbl dédiée à l’inclusion des personnes porteuses d’un handicap dans la société : « Rien pour nous sans nous ». Ou encore cette phrase attribuée à Gandhi : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».

4. Empowerment, dans quel but ?

La notion d’empowerment est enfin souvent présentée comme un but en soi. L’on présuppose qu’un individu qui accroit ses capacités, son poids économique dans la société, son « avoir, savoir, vouloir, pouvoir », est d’emblée sur la bonne piste. Pourtant, qu’est-ce qui en donne la certitude ?

Foncièrement, si le système est générateur d’inégalités et d’injustice, la trajectoire d’un individu au sein de celui-ci d’une position défavorable à une position plus favorable ne modifie pas le système.

Indiquer des objectifs ultimes clairs à l’empowerment peut y apporter une visée plus politique et plus éthique. Dans le secteur de l’éducation par exemple, une équipe éducative peut vouloir une meilleure autonomie des apprenant.e.s simplement parce que c’est plus facile à gérer logistiquement. Un manager peut souhaiter responsabiliser son personnel afin de diluer une partie de ses propres responsabilités, tâches ou difficultés rencontrées. Il s’agit de se méfier de l’empowerment qui ne dit pas son vrai nom.

Quatre balises non-exhaustives, il en existe peut-être d’autres, parfois plus spécifiques à certaines situations ou certains secteurs d’activités. L’auteur de cette analyse se forge ainsi quelques balises dans sa pratique pour que la notion d’empowerment puisse devenir un outil mieux utilisé lorsqu’il s’en sert.

Notes[+]