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Financement de l’agroécologie: le compte n’y est pas !

2024 Agroécologie Analyses
Financement de l’agroécologie: le compte n’y est pas !

Une nouvelle étude révèle que seuls 10% des financements agricoles et alimentaires soutiennent l’agroécologie en Wallonie, ce qui est largement insuffisant. Nous demandons au futur gouvernement wallon : 1) D’adopter et de mettre en œuvre un plan de financement massif pour la transition agroécologique des systèmes alimentaires wallons. Ce plan doit permettre d’arriver au minimum à 25% de fonds qui soutiennent effectivement d’ici à la fin de la prochaine législature. Ce plan doit être juste et renforcer l’équité des systèmes alimentaires. 2) De se doter d’une stratégie interministérielle cohérente de transformation agroécologique des systèmes alimentaires, élaborée de manière participative et qui s’applique à l’ensemble des politiques et flux publics destinés aux systèmes alimentaires, assortie d’un système de monitoring.

Introduction

À la demande d’un collectif d’organisations, l’équipe de recherche du SYTRA (UCLouvain) a mené une étude intitulée « Financement de la transition agroécologique en Région wallonne ; Etablissement d’un référentiel d’évaluation et aperçu de la situation ». Cette étude est une première en Wallonie. Elle révèle le manque criant de financements publics qui soutiennent la transition agroécologique : seuls 10% des fonds publics wallons destinés aux systèmes alimentaires soutiennent effectivement la transition agroécologique.

Le monde agricole traverse une nouvelle crise profonde, à laquelle n’ont pour l’instant été apportées que des solutions court-termistes, centrées sur l’abaissement des exigences environnementales. Or, ce n’est pas ce que réclament la majorité des agriculteur·rices, qui ont besoin au contraire d’un large appui pour mettre en place des solutions systémiques et transformationnelles. De telles solutions, c’est ce que propose l’agroécologie. Elle vise à faire de l’agriculture en s’inspirant et en travaillant avec la nature, par exemple au travers de pratiques telles que l’agriculture biologique. Elle cherche également à favoriser des systèmes alimentaires distribuant de manière plus équitable l’accès aux ressources, le pouvoir économique et politique[1]. Cette solution est de plus en plus reconnue pour ses multiples bénéfices sur la sécurité alimentaire, l’équité des systèmes alimentaires, le climat, la biodiversité, la performance socio-économique des fermes, la santé des producteur·rices et des consommateur·rices.

Aujourd’hui, les discours politiques multiplient les références à l’agriculture durable et à la transition agroécologique. Au niveau wallon, le Code wallon de l’agriculture engage les pouvoirs publics à soutenir un modèle d’agriculture “familiale, à taille humaine, rentable, pourvoyeuse d’emplois (…) et écologiquement intensive” (article premier). Et ces dernières années une série de politiques et de plans ont été adoptés par le gouvernement wallon : le ‘Plan de transition agroécologique’ dans le cadre du ‘Plan de relance de la Wallonie’ (PRW) ; le plan ‘Relocaliser l’alimentation’ ; les stratégies ‘Manger Demain’ et ‘Food Wallonia’ ; le ‘Plan de développement de la production biologique à l’horizon 2030’.

Si cette multitude de plans et stratégies semble aller dans le bon sens, l’étude révèle que le financement de ces plans reste toutefois marginal. L’étude démontre “qu’une proportion considérable des financements octroyés par la Région wallonne demeure de nature adaptative, suggérant la nécessité d’une réflexion plus audacieuse pour orienter davantage de ressources publiques vers une transition profonde et inclusive”. L’étude vient confirmer d’autres recherches menées au niveau international qui ont montré que les approches agroécologiques sont souvent marginalisées dans les flux de financement existants[2].

Recommandation 1 : financement

Malgré certaines limites méthodologiques, notamment à cause de la difficulté d’accès aux données, l’étude met en lumière que seulement 10% des budgets alloués aux secteurs agricole et alimentaire entre 2019 et 2024 en Wallonie sont effectivement consacrés à l’agroécologie[3]. Il existe donc une attention à l’agroécologie en Wallonie, mais cette attention et le soutien qui en découle sont largement insuffisants pour accompagner l’indispensable transition des systèmes agricoles et alimentaires, et permettre à l’agroécologie de passer à l’échelle.

En analysant la taille des budgets des différents outils financiers, l’étude fait également apparaître deux tendances.

Premièrement, les financements contribuant à l’agroécologie ont une valeur moyenne de 10 millions d’euros, contre 50 millions d’euros pour les budgets n’y contribuant pas. Il existe donc des financements avec une orientation très favorable à l’agroécologie en Wallonie, mais leur enveloppe budgétaire limite fortement leur impact. Ces financements sont certes importants pour expérimenter et montrer la voie mais ils apparaissent surtout aujourd’hui comme une niche qui coexiste à côté du système dominant.

La deuxième tendance montre que certains financements plus importants intègrent également l’agroécologie mais de manière très partielle, avec des scores agroécologiques assez faibles, compris entre 0 et 40%. Cela atteste de financements de nature adaptative qui n’engagent pas de manière suffisante la transformation nécessaire des systèmes alimentaires.

Deux types de financement de l’agroécologie sont donc présents en Wallonie, tous deux insuffisants : quelques projets très agroécologiques mais de faible ampleur et touchant peu d’acteurs et d’actrices (par exemple Food Wallonia) ; de grands financements avec un spectre plus large mais qui n’intègrent que de manière très superficielle les principes de l’agroécologie et qui n’influencent qu’à la marge le système sociotechnique dominant (par exemple le premier pilier de la Politique Agricole Commune (PAC)).

Les financements sont également très différents en fonction du ministère à l’origine du financement. Pour le ministère en charge de l’agriculture, qui est à l’origine de 96% du budget total étudié, seulement 8% de son budget soutiennent effectivement l’agroécologie. Pour le ministère de l’environnement en revanche, qui dispose de peu de financements destinés aux systèmes alimentaires, 41% de ce budget sont identifiés comme contribuant effectivement à l’agroécologie. Au vu de ces différences de priorités, il apparait important de renforcer des objectifs communs transversaux aux différents ministères finançant les systèmes alimentaires pour aligner leurs objectifs.

Il apparaît également que certains principes agroécologiques sont plus souvent avancés que d’autres par les politiques publiques wallonnes, selon la méthodologie utilisée par l’étude. Par exemple les principes de diversification économique (ex. circuits courts) et de connectivité (voir figure ci-dessous)[4]. Inversement, seul un quart des financements étudiés prend en compte les principes identifiés comme clé pour l’agroécologie, à savoir la cocréation des connaissances, les valeurs sociales et culturelles de l’alimentation, l’équité[5] et la participation. S’il y a encore beaucoup de progrès à réaliser sur les dimensions environnementales, les faibles scores agroécologiques attribués aux financements wallons s’expliquent aussi en grande partie par le focus sur les aspects agronomiques et la faible prise en compte de ses dimensions sociales. Or, les dimensions sociales et environnementales doivent être traitées.

Les résultats des financements de la PAC, qui représentent 79,8% des financements analysés, méritent également quelques explications. Pour la PAC 2014-2022, seuls 2% du premier pilier et 15%[6] du deuxième pilier sont identifiés comme contribuant effectivement à l’agroécologie. La contribution est donc faible, surtout que les montants du premier pilier dépassent largement ceux du deuxième pilier. Ces résultats sont en phase avec les conclusions de la Cour des Comptes européenne selon laquelle la contribution de la PAC aux objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique est nulle ou limitée[7]. Il y a une légère amélioration avec la nouvelle PAC 2023-2027 mais sans augmentation drastique : 5% pour le premier pilier malgré l’inclusion des éco-régimes et 27% pour les éléments du deuxième pilier qui ont pu être analysés. Cette étude, malgré ses limites, renforce le sentiment déjà largement partagé au sein de la société civile et du monde académique[8]: la PAC a des ambitions de transformation de l’agriculture et de l’alimentation beaucoup trop faibles par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux du secteur.

Recommandations spécifiques

Nous demandons à la Région wallonne :

  • D’adopter et de mettre en œuvre un plan de financement massif qui permette d’arriver au minimum à 25% de fonds qui soutiennent effectivement d’ici à la fin de la prochaine législature. Cela suppose de renforcer le soutien au développement de l’agriculture biologique.
  • De dépasser les financements agroécologiques de niche pour intégrer de manière ambitieuse les principes de l’agroécologie dans les financements structurants du secteur, notamment dans la négociation et la mise en œuvre de la PAC. Cela demande d’impliquer de manière plus importante le ministère de l’agriculture et ses financements dans la transformation agroécologique des systèmes alimentaires.
  • D’accorder une attention particulière aux principes sociaux de l’agroécologie, qui sont aujourd’hui largement sous investis et qui sont fondamentaux pour permettre une transition juste du secteur agricole et alimentaire. Cela implique notamment que le financement accru doit aller de pair avec des mesures réglementaires et/ou financières qui améliorent les revenus et les conditions de travail des agriculteur·rices, les couvrent contre les risques liés à la transition et les rémunèrent pour les services environnementaux fournis.

Recommandations 2 : gouvernance

Un premier enseignement de l’étude en matière de gouvernance est la nécessité d’un pilotage plus cohérent et systémique de la transition agroécologique. La Région wallonne dispose certes d’une série d’outils politiques dans ce domaine[9] : un référentiel qui définit une vision commune et partagée de l’alimentation durable ; la stratégie Manger Demain (MD) qui a fixé un cadre de travail via 10 outils plus opérationnels, dont la cellule Manger Demain et le collège wallon de l’alimentation durable (CwAD[10]) ; et le plan d’action Food Wallonia, issu du CwAD, qui liste des actions complémentaires pour durabiliser les systèmes alimentaires wallons[11].

Mais au-delà du manque de financements tel que décrit par l’étude, ces initiatives restent dispersées, cloisonnées et sans vision commune, impactant leur efficacité. On peut noter plus spécifiquement certaines limites à ces outils et politiques :

  • Le caractère peu agroécologique de la définition de l’alimentation durable dans le référentiel wallon, ouvrant la voie à multiples interprétations / récupérations.
  • L’incohérence de certaines politiques sectorielles, en particulier au niveau agricole, vis-à-vis de la stratégie Manger Demain.
  • Le caractère dysfonctionnel du CwAD, freiné dans ses ambitions et son efficacité par l’influence de groupes de pression représentant des intérêts privés, au détriment de l’intérêt commun et des droits des plus marginalisés.
  • Ou encore le pilotage de la stratégie et de la cellule Manger Demain par le seul cabinet de l’environnement et le peu (voire l’absence) d’appropriation par le ministère de l’agriculture.

Ce dernier point est particulièrement criant et préjudiciable, étant donné de nouveau les importants budgets gérés par le ministère de l’agriculture, qui pourraient être consacrés à renforcer ces initiatives.

Un autre enseignement essentiel de l’étude est le manque de données publiquement accessibles, et quand elles sont disponibles, le peu de détail des informations, en lien entre autres avec la complexité administrative au sein de la RW. Comme l’indique SYTRA, cela dénote un manque de transparence et de redevabilité de la Région et peut véritablement freiner le pilotage efficace de la transition, notamment l’identification des domaines d’intervention prioritaires. Plutôt qu’un Etat des lieux de l’alimentation durable, peu pertinent et détaillé[12], il faudrait donc développer des outils de monitoring plus structurés, systématiques et quantitatifs. Dans un souci de redevabilité et de potentielle utilisation par les parties prenantes, les données devraient par ailleurs être facilement accessibles et utilisables[13], par exemple sur un portail public et en format standard, avec des descriptions les plus complètes possibles des projets financés.

Enfin, une autre leçon à tirer de l’étude est la nécessité d’améliorer non seulement la quantité mais aussi la qualité des financements, à l’image du financement de l’agroécologie à l’international[14]. Les financements publics wallons souffrent en particulier d’une forme de dispersion, cf. la complexité administrative et le nombre croissant de plans soulignés par l’étude, en lien aussi avec la forme des appels à projets. Par ailleurs, la transition agroécologique des systèmes alimentaires est complexe et souvent difficile, ce qui requiert d’assurer des financements à la fois pérennes et flexibles à certains projets[15]. Exemples : la cellule Manger Demain, ou les conseils de politique alimentaire (CPA), auraient besoin de conventions-cadre assurant leur financement au-delà d’une période donnée ou législature, ce afin de développer les politiques et projets sur la durée.

Recommandations spécifiques :

  • Prévoir dans la prochaine Déclaration de politique régionale le développement, la mise en œuvre et le financement sur le long terme d’une stratégie interministérielle de transformation agroécologique, en se basant notamment sur le référentiel wallon de l’agroécologie en construction[16]. Cela pourrait se matérialiser par la création d’une task force interministérielle chargée de fixer des objectifs, des plans et des instruments communs afin d’assurer la cohérence des politiques pour des systèmes alimentaires durables.
  • Parallèlement, renforcer la démocratie alimentaire, notamment en fournissant un soutien structurel (financier) aux CPA existants et émergeants et en renforçant, au sein du CwAD, la place des syndicats agricoles et de la société civile tout en limitant l’influence des groupes de pression du privé.
  • Afin d’appuyer ces différents organes stratégiques et de démocratie alimentaire, financer des scénarios de prospective de la transition agroécologique, comme outils scientifiques d’aide à la décision et d’objectivation des pistes et moyens à mettre en œuvre (à l’image des scénarios TYFA ou Afterres 2050 aux niveaux UE et français[17]).
  • Mettre en place un baromètre de suivi, ainsi que des indicateurs quantitatifs et qualitatifs associés, sur base de ce qui est prévu notamment dans la mesure 6 de la stratégie Manger Demain.

 

Humundi, Oxfam-Magasins du Monde.

 

[1] « L’agroécologie est à la fois une science, un ensemble de pratiques et un mouvement social, elle se caractérise par l’application de principes écologiques à l’agriculture et par une utilisation régénérative des ressources naturelles et des services écosystémiques, elle favorise des systèmes alimentaires socialement équitables dans lesquels les personnes peuvent exercer un choix quant aux aliments qu’elles consomment et à la manière dont ceux-ci sont produits ».  HLPE. 2019. Agroecological and other innovative approaches for sustainable agriculture and food systems that enhance food security and nutrition.

[2] DeLonge, Miles, et Carlisle 2016 ; Vermeylen et Schutter 2020 ; Biovision Foundation for Ecological Development & IPES-Food 2020 ; Moeller 2020 ; ActionAid Malawi 2021.

[3] Ce sont au total 246 949 797 euros qui soutiennent effectivement l’agroécologie. Ce résultat est obtenu en multipliant les montants des financements ayant une contribution mesurable à l’agroécologie par le score agroécologique obtenu.

[4] Pour plus d’information sur les 13 principes HLPE de l’agroécologie, voir par exemple le site Terrae : https://www.terrae-agroecologie.be/pratiques-agroecologiques.

[5] Ce qui implique notamment d’assurer l’équité de genre.

[6] Les MAEC (Méthodes Agro-Environnementales et Climatiques) et l’enveloppe de soutien à l’agriculture biologique sont les principaux constituants du score de 15%.

[7] Rapport spécial 16/2021 : Politique agricole commune et climat – La moitié des dépenses de l’UE liées au climat relèvent de la PAC, mais les émissions d’origine agricole ne diminuent pas, https://www.eca.europa.eu/fr/publications?did=58913. Rapport spécial 13/2020: Biodiversité des terres agricoles: la contribution de la PAC n’a pas permis d’enrayer le déclin, https://www.eca.europa.eu/fr/publications/SR20_13.

[8] Voir par exemple les analyses d’ARC2020 (www.arc2020.eu/cap-strategic-plans/).

[9] Ce qui est relativement rare dans l’UE, puisque seuls 7 pays (ex. Royaume Uni, Suède) et 4 régions (Catalogne, Flandres, Wallonie et Bruxelles Capitale) disposeraient d’une stratégie ou politique alimentaire avec une approche holistique intégrant différentes dimensions des systèmes alimentaires. City of Milan. 31/10/2023. Clever Food. Comparative analysis of existing urban food policies.

[10] Le CwAD est une structure de démocratie participative à l’échelle régionale, qui s’ajoute aux conseils de politique alimentaire (CPA), qui opèrent eux à l’échelle locale (actuellement au nombre de 11 sur différents territoires, notamment à Liège, Namur et Charleroi).

[11] Le plan d’action Food Wallonia est composé plus précisément de 19 actions qui contribuent aux six objectifs stratégiques du référentiel « Vers un système alimentaire durable en Wallonie ».

[12] Géré par la cellule Manger Demain, cet état des lieux ne recense que des chiffres et acteurs de manière globale, dans un objectif essentiellement de mise en réseau et d’échanges de bonnes pratiques entre acteurs locaux (ex. CPA, GAL). https://www.mangerdemain.be/etat-des-lieux-alimentation-durable/.

[13] Ces données doivent de plus être ventilées par genre afin d’évaluer leur équité en termes de genre.

[14] Voir à ce sujet : Coventry University, CIDSE. Avril 2021. Réorienter les financements au service de l’agroécologie. Transformer l’aide au développement pour soutenir l’agroécologie. Note politique.

[15] Dans une approche d’Etat partenaire. Voir à ce sujet : De Schutter O., Dedeurwaerdere T. L’État partenaire. Transition écologique et sociale et innovation citoyenne. Presses Universitaires de Louvain.

[16] Voir le site de la RW : www.terrae-agroecologie.be/projets-terrae.

[17] Scénarios développés respectés par l’IDDRI au niveau UE et Solagro au niveau français.